La libéralisation du dirham marocain : une révolution en marche

Par Michel Ruimy  Économiste, professeur à l’ESCP (Paris)

Il n’y a pas plus compliqué pour un pays que de se donner un régime de change optimal. Fixe, flottant ou variante de ces deux régimes, chacun comporte des avantages et des inconvénients. Pour des pays à revenu intermédiaire comme le Maroc, le choix ne porte plus sur la fixité ou sur le flottement de la parité de change, mais sur le degré de fixité ou de flexibilité pouvant favoriser au mieux leur expansion économique.

Depuis les années 1970, le dirham a été rattaché à un panier de devises composé d’abord à 80% en euro et à 20% en dollar américain puis, depuis 2015, à 60% en euro et 40% en dollar. Le taux du dirham fluctuant à l’intérieur d’une bande inférieure à +/- 0,3% de part et d’autre du cours central, la banque centrale garantit cet arrimage en achetant (vendant) du dirham quand le marché tend à faire baisser (monter) le cours afin de maintenir le taux de change au niveau souhaité. Le régime de change du dirham est donc semi-flexible. De fait, la valeur du dirham par rapport à l’euro est d’une remarquable stabilité sur de longues périodes.

Une mesure s’inscrivant dans un programme de réformes économiques

C’est, dans ce contexte, que le gouverneur de la Bank Al Maghrib (BAM) a annoncé, en avril 2017, que le processus de libéralisation du dirham débuterait en juin 2017. Cette mesure s’inscrit dans le cadre du programme de réformes économiques conclu avec les créanciers internationaux du pays, notamment le Fonds monétaire international (FMI). Le Maroc avait annoncé jusqu’ici que la réforme du régime de change de sa monnaie serait mise en œuvre au deuxième semestre 2017 mais la fermeté actuelle du dirham permet d’avancer le calendrier.

Différents scénarii sont envisagés par la BAM et le FMI. Dans un premier temps, la bande de fluctuation serait élargie et les réactions du marché face à ce changement seraient observées. La parité centrale serait maintenue et la banque centrale continuerait d’intervenir si le dirham s’éloigne trop de la parité fixe. Dans un second temps, le cours du dirham sera déterminé, de manière progressive, en vertu de la loi de l’offre et de la demande du marché des changes (i.e. suppression de l’ancrage à un panier de devises) avec une intervention limitée de la BAM. La dernière phase, lointaine, verrait la libre convertibilité du dirham.

Régime de change et convertibilité d’une monnaie : une nécessaire distinction

Un régime de change plus flexible n’implique pas forcément la libre convertibilité de la monnaie. Seul un régime de change flottant pur implique la libre convertibilité d’une monnaie.

Bien des pays ont des régimes de change flottants mais imposent des restrictions à la convertibilité de leur monnaie. A contrario, il existe des pays qui, tout en ayant adopté un régime de change fixe, ont fortement réduit leur contrôle sur le change. C’est le cas du Maroc, où depuis 2007, une politique de libéralisation des changes a été progressivement mise en place, si bien qu’aujourd’hui, pratiquement l’ensemble des opérations courantes est libéralisé

Ce changement de régime de change requiert du temps. En optant pour cette démarche voulue, ordonnée et graduelle, le Maroc veut éviter l’échec de la réforme initiée par certains pays (par exemple, la Turquie et l’Égypte s’étaient vus imposer ce régime du fait de la fragilité de leur économique. Ils avaient connu une dépréciation soudaine de leur monnaie avec des conséquences catastrophiques sur leur économie) en s’appuyant, comme prérequis, sur des équilibres macroéconomiques maîtrisés de façon permanente, comme par exemple, un niveau suffisant de réserves de change, un faible volume de capitaux spéculatifs, une inflation maîtrisée, une réglementation des changes rigide, un déficit budgétaire contenu, un secteur bancaire solide.

Une démarche progressive

 La flexibilité totale du dirham sera donc progressive et extrêmement lente. Il pourrait falloir attendre jusqu’à 15 ans pour atteindre le résultat final.

Au-delà de la technicité de la procédure, il reste à envisager les conséquences de cette migration pour le Maroc.

Il convient, tout d’abord, de bien comprendre que cette réforme structurelle du régime de change, nécessaire et obligatoire, s’impose car le pays ne peut plus concilier un taux de change fixe, une politique monétaire indépendante et une ouverture économique. L’incertitude dans laquelle évolue actuellement l’économie mondiale comportant de forts risques, le Maroc serait contraint, face à un choc extérieur de grande ampleur, de dévaluer fortement sa monnaie et de gérer d’importantes conséquences sur l’économie et la Société.

Un taux de change plus flexible permettrait d’une part, de lier davantage la politique monétaire à l’économie domestique et moins à un ancrage externe et d’autre part, d’atténuer les effets négatifs dus notamment à la faible diversification de l’économie marocaine. Le pays gagnerait ainsi en liberté d’action et en indépendance en matière de pilotage de son économie.

A contrario, passer à un taux de change flottant pourrait conduire à une baisse de la valeur du dirham. Si tel est le cas, cette situation provoquerait, de facto, une augmentation du coût des importations et une hausse de l’inflation et, in fine, une perte du pouvoir d’achat. Elle présenterait ainsi un risque élevé de pression sur la balance commerciale et, incidemment, sur les réserves de change.

Elle risque d’impacter, par ailleurs, les investissements en dépit des politiques de libéralisation et d’attractivité des investissements directs à l’étranger (IDE) menées depuis plus d’une vingtaine d’années. Aujourd’hui, ceux-ci sont relativement stables (autour de 3,5 milliards de dollars).

Même si cette démarche semble être maîtrisée, il n’en demeure pas moins qu’une des clés de la réussite de cette initiative réside dans un travail d’éducation financière du secteur privé.

 Fin janvier, les réserves de change, en recul de 25 % sur un an, s’établissaient à 229,5 milliards de dirhams, soit l’équivalent de 6 mois et 29 jours d’importations de biens et services. Selon les prévisions de la Bank Al-Maghrib, elles devraient toutefois se renforcer, en 2017, pour assurer la couverture de 8 mois et 15 jours d’importations de biens et services.

OEG

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