La Cour maritime du Panama déboute les séparatistes du Polisario

Jean-Yves de Cara, Professeur de droit international Président du conseil scientifique de l’OEG

 

Le 7 juin, la Cour maritime du Panama a rejeté la demande introduite par le Front Polisario aux fins d’obtenir la saisie d’une cargaison de phosphate (55,000 tonnes de minerai représentant 6 Millions USD) de l’Office Chérifien de Phosphate (OCP), chargée par la compagnie Ultrabulk (Danemark) sur le navire Ultra Innovation, battant pavillon panaméen, lors de son passage du canal de Panama, en provenance de la mine de Phosboucraa au Sahara marocain, à destination de Vancouver pour la société Agrium.

La demande du Polisario, se fondant sur un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en 2016, arguait de l’illégalité de l’exploitation des ressources naturelles du Sahara marocain et de leur commerce sans le consentement des populations locales. Pour les mêmes raisons, depuis le 4 mai, le vraquier Cherry Blossom, battant pavillon des Iles Marshall, est retenu à Port Elisabeth (Afrique du Sud), au titre de mesure provisoire ordonnée de la juridiction civile maritime locale en attendant un jugement sur le fond. L’Afrique du sud est, avec l’Algérie, l’un des derniers fervents soutiens des séparatistes. Pour sa part, le groupe OCP a dénoncé « les tentatives du Front Polisario d’instrumentaliser des juridictions locales à des fins politiques et médiatiques ».

La juridiction maritime du Panama s’est déclarée incompétente car elle n’avait pas à se prononcer sur une affaire de politique internationale et elle a jugé qu’il n’existait aucune preuve établissant que « la cargaison appartenait aux requérants ». En effet, aux termes de l’article 19 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, le passage inoffensif d’un navire de commerce étranger ne peut être interrompu que s’il porte atteinte à la paix, au bon ordre ou à la sécurité de l’État côtier, par exemple s’il se livre à des menaces ou à une propagande qui vise à nuire à l’État côtier, ou à des atteintes à l’environnement ou à l’embarquement ou au débarquement de marchandises en contravention aux lois et règlements de l’État côtier.

Il ressort clairement de l’affaire que la manœuvre du Polisario, inspirée par l’Algérie, est de nature purement politique. La juridiction panaméenne ne s’y est pas trompée. Pour les séparatistes, il s’agit de contourner les autorités de l’ONU, de remettre en cause l’intégrité territoriale du Royaume du Maroc et de nuire au développement économique et social de la région. Le renforcement de la position diplomatique du Maroc, résultat de la patiente politique conduite par le Roi Mohammed VI, les incidents et le retrait partiel des forces armées du Polisario de Guerguerate sous la pression de l’ONU ont assurément inspiré la manœuvre « judiciaire » tentée par le Polisario. Le respect du droit et une certaine prudence auraient dû  inciter la juridiction sud-africaine à observer la même réserve que la Cour maritime de Panama.

Or, par l’ordonnance du 15 juin, la High Court de Port Elizabeth reprend d’emblée la thèse selon laquelle le Sahara « occidental » est « le seul territoire africain encore soumis à la colonisation ». Au terme d’une analyse juridique superficielle de la situation du territoire à la fin de l’administration espagnole, fondée sur l’opinion de M. Hans Corell qui n’a pas été ratifiée par le Conseil de sécurité, la High Court dénie l’exercice de la souveraineté marocaine sur le territoire. Considérant que la seule population « sahraouie » est constituée par les « réfugiés » qui, selon elle, vivent dans les camps algériens et dans la zone tampon, la cour affirme que « le peuple du territoire » ne bénéficie pas de l’exploitation des ressources naturelles. Sous l’angle juridique, l’ordonnance de la High Court dénote deux faiblesses. D’une part, la cour ne s’interroge pas sur sa compétence, or il n’appartient pas à une juridiction interne de trancher à la sauvette une question de droit international touchant à la souveraineté d’un Etat. D’autre part, en admettant que la cour soit compétente, la question posée à la juridiction sud-africaine relève du droit maritime : les demandeurs sont-ils fondés à réclamer la saisie d’une cargaison à l’occasion du passage inoffensif d’un navire battant pavillon d’une autre nation et se rendant d’un port étranger à un autre port étranger ? L’article 28 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer confirme le principe selon lequel des mesures d’exécution ou conservatoires ne peuvent être prises « qu’à raison d’obligations contractées ou de responsabilités encourues par le navire au cours ou en vue de son passage dans les eaux de l’Etat côtier ». Certes, l’Etat côtier a le droit de prendre des mesures d’exécution ou conservatoires prévues par son droit interne à l’égard d’un navire étranger qui stationne dans la mer territoriale. Encore faut-il que la mesure vise à garantir une créance maritime au sens de la convention de Bruxelles de 1952, confirmée par la convention de 1999 sur la saisie conservatoire des navires : la contestation relative à la souveraineté sur les ressources naturelles du Sahara marocain n’est pas une allégation de créance de nature maritime.

L’affaire est donc renvoyée pour être jugée au fond, au risque de compliquer le règlement politique dans le cadre des Nations Unies et de remettre en cause les règles du droit international applicables. La mission du juge est de dire le droit, non de céder à l’animosité politique.

EOG

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