Donald Trump, le « spectre du déclin » ou la stratégie du chaos ?

Dossier du mois

Amine Laghidi, Expert international en stratégie de développement et en diplomatie économique, Vice-président du Congrès africain des Mines, Président de la Commission nationale du capital immatériel, Ecrivain, conférencier

Quelle diplomatie pour l’Administration américaine ?

Ceci n’est pas un article d’opinion, ni un article contextuel, ce texte se veut stratégique avant tout, répondant à un besoin d’analyse profonde, non en tant qu’observateur/expert uniquement, mais destiné à servir d’éclairage à tout lecteur marocain averti et responsable, conscient qu’un vent de changement a soufflé sur la politique étrangère de l’Administration américaine, une administration qui gouverne la première puissance mondiale depuis bientôt un an.

Dans un monde caractérisé par une multipolarité émergente, par un renforcement du pouvoir du secteur économique et des structures supra-étatiques, un monde aux mécanismes d’influence devenus universels, au shift technologique transcendant et progressif du couple homme/ machine, et à la singulière concentration de richesses, de prises d’initiatives et de dominance en constante migration vers les nouvelles mégapoles reconnues mondialement, une analyse d’une politique étrangère n’est pas chose facile.

En matière de politique étrangère des Etats-Unis, deux doctrines géostratégiques majeurs se passent le relais, depuis plus de 100 ans, opposées en apparence mais complémentaires et symbiotiques sur le terrain. L’une, isolationniste et l’autre, globalisante.

 De Facto, la première question à se poser en vue d’entamer la bonne compréhension de la politique étrangère de l’Administration du Président Trump est relative à la dominance de l’une des deux tendances suivantes: Garantir la prospérité et la sécurité interne, d’abord, pour achever le leadership mondial ou bien achever un leadership global en vue de garantir la création continue de richesses et une paix durable ?

 La première tendance, si elle s’avère dominante, serait caractérisée par un recentrage des USA sur les intérêts directs et immédiats du pays, un abandon de son rôle de régulateur mondial universel et son remplacement, un modus de priorisation des intérêts sécuritaires (en interne et en externe), de recréer son économie d’une manière « Inside to outside » favorisant l’industrie domestique, l’export, l’attrait des investissements, la création d’emplois, le soutien de la consommation interne, les facilités fiscales et procédurales/légales, la compétitivité et la protection du dollar par rapport aux autres devises (notamment le Yuan chinois) et vis-à-vis du risque montant de guerres monétiques, la lutte contre l’espionnage économique, la relance des mécanismes de « super-innovations » (dont le lead a toujours été entre les mains de l’industrie militaire et spatiale)… favorisant ainsi l’émergence de nouvelles opportunités économiques dans des secteurs nouveaux, ou en redonnant vie à des secteurs existants qui ont été abandonnés dans le passé (Energies fossiles, Industries lourdes, Infrastructures…).

La deuxième tendance quant à elle, se caractériserait par la création / adaptation d’une nouvelle vision normative du monde, en vue de promouvoir un nouveau modèle universel, qui impliquerait un nouveau leadership et une avancée stratégique par rapport aux « concurrents ». Une approche qui donnerait aux USA le lead en tant que pays instigateur/ régulateur/ et protecteur de ce « nouvel ordre mondial ».

Rupture avec la politique étrangère

  Dans la configuration actuelle, l’administration américaine semble tendre vers la première option, le fameux « America First » de M. Trump, qui prioritise le développement national au travers d’actions déjà entamées ou en cours, telles que la révision des standards migratoires et d’accès au territoire américain, qui a fait couler tant d’encres, récemment, la réduction des aides étrangères, le retrait des accords multi latéraux, notamment l’alliance pacifique entamée dès le premier jour de la nomination du nouveau Président, le retrait de l’accord sur le climat, le retrait de l’UNESCO, focus sur la création d’un environnement économique probant au retour des capitaux et industries américaines au pays, un rapprochement lent mais décomplexé des autres super puissances étrangères : Chine/ Russie, dans un état d’esprit nouveau, qui semble accepter la réalité « multipolaire » du monde actuel, invitation déclarée ou implicite à la renégociation des partenariats avec les alliés traditionnels des USA d’une manière déclarée ou implicite, dont l’Europe, en guise d’exemple -Rappelons-nous les rencontres avec la Chancelière allemande Mme Merkel ainsi qu’avec le Premier ministre australien, M. Turnbull-, le retrait de l’alliance du pacifique, ainsi que la déclaration initiale vis-à-vis de l’OTAN (qui a été revisitée par la suite).

Ces dix points clefs, portent un message clair, un message de rupture avec la politique étrangère de l’administration précédente.

Or, toute rupture du passé se voit porteuse d’une nouvelle approche qui se doit d’être analysée avec de nouveaux outils centrés sur les finalités pragmatiques de cette politique ainsi que sur les acteurs clefs du changement.

Analyse de la politique étrangère américaine

Pour analyser la politique étrangère d’une nouvelle administration/ nouveau gouvernement, un carré est à établir comprenant dans l’ordre : la politique étrangère formalisée et déclarée de la nouvelle Administration, sa transformation probante en réalisations et en budgets (Allocations de moyens concrets), les visites officielles du Chef d’Etat ou des Membres Clefs de son entourage et enfin d’une composante majeure qui complète le carré, à savoir la politique « anticipée » ou non déclarée.

 La politique déclarée : En établissant un fil d’Ariane entre les déclarations antérieures à la campagne, les engagements électoraux et un focus sur Les programmes et les communiqués officiels de la Maison Blanche et du Département d’Etat américain. Dans ce sens, la Maison Blanche affiche, de manière claire, quatre grands axes prioritaires à savoir « L’Amérique d’abord » qui s’exprime en termes de révision des standards migratoires et d’approche par rapport aux réfugiés et demandeurs d’asile, la sécurité externe et interne, ainsi que la lutte contre le terrorisme, la reconstruction de l’armée et le partage des coûts avec les alliés en matière des programmes de défense conjoints et l’amélioration de l’influence américaine. Les Réalisations jusqu’à ce jour et les capacités à réaliser, traduites sur le terrain, par des budgets et des programmes annuels et quinquennaux, dont le nouveau budget gouvernemental. Les visites à l’étranger du Président lors de cette 1re année où les composantes religieuse et économique furent fort présentes. Devons-nous rappeler que dans l’ordre, les trois premières visites présidentielles furent vers l’Arabie saoudite dans le cadre du sommet de Riyad, qui inclut des rencontres bilatérales entre S.M. le Roi Salman et S.E le Président Trump, suivi de rencontres avec les Représentants des pays du Golfe (plus de 50 pays arabes et musulmans) ? S’en suivit une visite officielle à Al Qods puis au Vatican. Trois destinations symboliques donc pour les trois religions Abrahamiques : Islam, Judaïsme et Christianisme et une première pour un Président américain, en début d’exercice.

 Les visites qui s’en suivirent furent d’un équilibre exact entre le nombre de pays visités en Europe et ceux visités en Asie. Cinq pays européens donc la Belgique, siège de l’Union européenne et de l’OTAN, l’Italie (seul pays à avoir reçu deux visites), la Pologne (Frontière avec la Russie), l’Allemagne puis la France. Contre Cinq pays asiatiques qui sont le Japon, la Corée du Sud, la Chine (Deals économiques, compliments envers le Président chinois M. Xi Jinping et sa politique, la question nord-coréenne, et les négociations à la baisse des barrières à l’entrée furent parmi les principales caractéristiques de cette visite).

Vient après une double visite à portée emblématique au Vietnam et aux Philippines.

La prochaine année semble continuer dans le même état d’esprit, avec une participation annoncée du Président américain au World Economic Forum se tenant, à partir du 25 janvier, à Davos, en Suisse, suivie de visites réparties entre le continent américain (Pérou, Canada, Argentine), Europe (France, Belgique) et l’Asie notamment le Hub Clefs de Singapour en clôture.

La politique « anticipée » ou non déclarée : l’utilisation d’un trinôme d’outils transversaux permet une meilleure compréhension de ce volet en introduisant Trois (3) angles d’analyse différents mais complémentaires à savoir la continuité et discontinuité avec les administrations précédentes, en évitant le piège de rester limité à la comparaison dualiste avec l’administration du Président Obama uniquement. Puis la composition du cabinet et les personnes clefs contribuant à cette politique (background, priorités, sensibilités, groupes d’appartenances), le changement de la doctrine géostratégique américaine, qui prend de plus en plus de distance du classique « Grand Chessboard » de M. Brzezinski, reconnaissant l’émergence d’un monde multipolaire à plusieurs « joueurs », où les règles du jeu évoluent, constamment, permettant l’évolution sans transition du statut de pion à celui d’influenceur, et où la victoire est elle-même définie de manière singulière pour chaque joueur selon ses propres enjeux.

Analyse du Modèle de coopération actuelle et potentielle Maroco-Américain :

A ce stade, faisons un éclairage concis et pragmatique sur les points de convergence et de non convergence apparents entre la politique étrangère marocaine et celle des U.S.A, dans le passé récent mais également dans le futur, le présent n’étant qu’un équilibre de transition entre les deux.

 Trois questions existentielles s’imposent : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Et vers où souhaitons- nous aller ? Cela nous permet de donner une cohérence à la démarche sans rentrer pour autant dans la polémique ambiante autour de personnes au lieu de se focaliser sur des objectifs concrets.

Le point de départ étant notre identité « marocaine » indépendante mais ouverte sur le monde, nos engagements nationaux et internationaux, la prise en compte de notre riche passé commun, avec un focus spécial sur le futur que nous désirons bâtir en termes d’objectifs stratégiques, économiques et sociaux.

Des priorités nous permettent de dresser le panorama

La Cause nationale: les Etats-Unis sont, comme chacun le sait, un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et un pays influent du dossier du Sahara marocain. Un lobbying efficace et adapté au nouveau mapping des « key stakeholders » de la nouvelle administration américaine est à opérer en vue de consolider et de pérenniser le soutien américain à notre cause nationale légitime et juste. Un lobbying qui se doit d’être omniprésent, pragmatique et faisant preuve de proximité.

L’approche est à compléter par deux volets clefs à savoir la diplomatie économique et la diplomatie régionale auprès des différents Etats composant les U.S.A.

Sécurité et paix : La nouvelle administration américaine s’inscrit dans la continuité de sa précédente en matière de lutte contre le terrorisme, priorisant la lutte contre ISIS (auto proclamée Etat Islamique), Al Qaida et ses ramifications (dont Aqmi, Boko Haram..). Et ce, en renforçant la coopération et les capacités des alliés stratégiques sur ce dossier dont le Maroc qui figure en tête de liste.

Sur le plan militaire : la nouvelle stratégie déclarée par l’administration américaine se veut pour le renforcement des commandements régionaux en terme de délégation de pouvoir et d’allocation de ressources et de matériel, sans oublier une relance de l’industrie et de la recherche et développement en matière d’armement. Ce qui devrait impacter, d’une part, la représentativité et le scoop du centre de commandement militaire américain en Afrique « l’AFRICACOM » tout en remettant sur scène, de manière visible, les nouveaux paradigmes militaires tels « la guerre électronique », « la guerre intelligente », et « la guerre indirecte ».

Volet économique:

 Se tenant au coeur des priorités de la nouvelle administration américaine, ce volet est favorable à la création d’emplois à l’intérieur du pays, au rapatriement des capitaux et investissements américains à l’Etranger, à la relance de l’industrie nationale, la relance de l’export, et la réduction du déficit commercial avec certains pays. Ces éléments imposent une adaptation de la doctrine économique marocaine transformant toute menace perçue en une opportunité nouvelle. Les points suivants devraient servir de complément d’action à ce stade :

– La création d’une centrale d’achat/sourcing au Maroc, spécialisée dans l’export de la matière première et des composants industrialisés vers les Etats-Unis, jouant un rôle d’intermédiaire entre les usines (importateurs) américaines et les fournisseurs marocains voire africains. Cette centrale aurait pour double point fort la connaissance des règles et des exigences légales et commerciales du marché américain, d’une part, et le référencement des fournisseurs marocains et africains ayant la capacité de remplir ces besoins, d’autre part.

– Le renforcement du rôle du Maroc en tant que Hub maritime et logistique en faisant de Tanger Med un Pivot permanent des exports africains vers les U.S.A, et ce en réduisant les temps des transbordements, en dématérialisant et homogénéisant les procédures douanières des exports à destination de ce pays.

 – Promouvoir l’export des produits américains, en développant le rôle de Hub commercial joué par le Maroc, profitant d’une proximité géographique et culturelle vis-à-vis des marchés de l’Afrique, de l’Europe, de la Méditerranée et du monde arabe.

– Le Maroc comme hub cognitif (Export de savoir et de connaissances) pour les entreprises américaines exerçant dans les domaines de l’ingénierie, la technologie, les fonds d’Investissements et les groupe de conseil intéressés par la région. La mise en place de ce hub favoriserait le transfert de savoir et de compétences vers les cadres marocains et l’émergence de nouveaux pôles d’expertise.

– Pour les produits agricoles : adapter les exports aux saisons, profiter des périodes où les Etats-Unis ne produisent pas certaines récoltes et sont dans le besoin, pour leurs exporter des produits marocains bénéficiant ainsi d’importantes facilités douanières et exemptions favorables (modèle développé par certains pays d’Amérique latine).

– Partir sur une logique contractuelle avec les clients américains permettrait une maîtrise claire de la demande du client en termes de quantité et d’exigence qualité, et donc une production sur mesure (faire un focus sur les produits exotiques et rares).

– Relancer le dialogue stratégique entre les deux pays dont la composante économique.

– Lancement de Do-tanks conjoints Maroc – Etats- Unis, avec la mobilisation d’acteurs clefs : financiers, banques, assurances, transporteurs et logisticiens, penseurs, industriels, agriculteurs, influenceurs, légistes, ingénieurs…

– Lancement de centres de maintenance et de sourcing, sous forme de Joint-Ventures dans les domaines de l’aéronautique et de l’automobile pour servir les clients des entreprises américaines dans toute la Région.

– E-commerce : création d’une plateforme conjointe de distribution et de vente.

Les engagements régionaux et internationaux du Maroc

L’émergence du Maroc en tant qu’acteur clef de la scène régionale et internationale est indéniable. Cependant, et en guise de clôture de cette analyse, focalisons-nous sur trois points clefs : l’Afrique, le développement durable et le statut de la ville sainte d’Al Qods.

L’Afrique : L’importance de l’Afrique et de son développement dans l’agenda de la politique étrangère marocaine n’est plus à démontrer. L’Administration américaine actuelle n’a pas encore communiqué sa vision de coopération avec le continent, à l’exception de déclarations sur les sujets migratoires, qui ont créé le débat, récemment. L’administration précédente avait lancé une initiative africaine, cristallisée sous forme de « United States- African Leader summit » qui traite de différentes problématiques du continent. Quid de son continuum et du rôle que peut jouer le Maroc pour bâtir des ponts de rapprochement du continent africain avec les U.S.A, dans les différents volets politiques, économiques et sociaux.

 Développement durable : Certes, le retrait des Etats-Unis des accords climatiques a eu les conséquences que nous connaissons tous, mais tout n’est pas perdu. Un focus peut toujours être fait sur les deux volets restants à savoir l’Humain et l’Economique. l’Humain au travers de l’éducation du transfert du savoir et des compétences, dans des domaines clefs tels que l’ingénierie et l’économie, en créant de nouveaux débouchés pour le petit producteur marocain et africain, et en le connectant au plus grand marché du monde en termes de consommation. Idem pour le petit producteur et industriel américain qui pourrait trouver des débouchés probants dans le marché régional en utilisant le Maroc comme plateforme d’accès.

 Al Qods : Et pour terminer cet article sur une note positive, car en matière de relations internationales, la quête ultime est de bâtir des relations de paix, de respect et de « prospérité conjointe » entre les nations, le dernier point (last but not least) est celui du statut de la ville sainte d’Al Qods, à travers la réception de Sa Majesté le Roi Mohammed VI d’une lettre du Président Trump en réponse au message que le Souverain lui avait adressé récemment, au sujet de «la décision de l’Administration américaine de reconnaître Al-Qods comme capitale d’Israël et d’y transférer son Ambassade». Dans sa lettre au Souverain, le Président américain a exprimé «sa reconnaissance envers le leadership de Sa Majesté le Roi au sein de la Ligue des Etats arabes et de l’Organisation de la Coopération Islamique», et a affirmé qu’il partage également «l’importance que revêt la ville d’Al-Qods pour les fidèles du Judaïsme, du Christianisme et de l’Islam». « Jérusalem est, et doit, demeurer, un lieu où les Juifs prient au Mur occidental, où les Chrétiens marchent sur les stations du chemin de la Croix, et où les Musulmans prient à la Mosquée Al Aqsa», ajoute la lettre du Président. Il s’agit là d’un message positif pour Al Qods, un signal positif pour les relations maroco- américaines dans la reconnaissance du rôle clef et majeur, joué par le Royaume dans la région. n  

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