Écrire c’est aussi tromper et narguer la mort

L’Ailleurs dans mon rapport à l’écriture

Ailleurs est défini dans les dictionnaires comme d’autres lieux.

« Ceux qui ne savent pas où ils vont sont surpris d’arriver ailleurs » Jules Michelet

«  Ce qui tombe sous le sens rebondit ailleurs » Oscar Wilde

Ce n’est pas suffisant car les ailleurs sont multiples et chacun peut dire les siens sans être hors sujet. D’autres lieux, d’autres temps ou époques, d’autres mœurs, d’autres cultures, d’autres appartenances, d’autres sensibilités, d’autres rencontres, mariages mixtes ou tout simplement d’autres corps.

Le tissu socio-démographique au Québec est bien empreint par la diversité des citoyens qui le composent. Les ailleurs ne sont pas que spatiaux représentés par les provenances diverses mais se traduisent dans d’autres dimensions nouvelles que la globalisation a rendu  possibles : Les ailleurs dans le ici d’ailleurs.

L’ailleurs dans l’écriture est un exercice d’interculturalité qui éclaire les différences au lieu de les opposer. L’interculturalité pour moi c’est creuser des tunnels au fond de soi pour trouver le chemin des autres.

L’interculturalité en écriture est la volonté consciente ou spontanée de se raconter par le vecteur des ailleurs sublimés ou non, des vécus ou des sentis se rapportant à d’autres lieux, d’autres cultures, d’autres approches… Dans cette optique, l’écriture vient exposer ou revendiquer ses différentes références et repères. La citation de Mohamed Khairredine illustre bien cette interculturalité « Je suis devenu multiple, pas à pas je retrouverai tous les personnages que j’ai incarnés, toutes les vies que j’ai pu subir. » Mohammed Khaîr-Eddine; Le déterreur.

En ce qui me concerne, mes écrits expriment des ailleurs spatiaux et temporels pour les motivations suivantes.

Le Legs. L’écrit devient alors une sorte de testament qui exprime un héritage à léguer à sa descendance et aux personnes qu’on voudrait mieux informer sur notre cheminement personnel. Ce volet, se veut mémorialiste, biographe et insiste souvent sur l’histoire familiale, les enfances ainsi que d’autres manières en d’autres époques et lieux. Transmission de la mémoire comme solution au besoin de pérennité.

Le Témoignage : Est un besoin d’être le vecteur informatif qui rapporte le déroulement de la vie dans un lieu et un espace historiquement déterminés.  L’écrivain devient le consignataire de la mémoire qui raconte les parcours migratoires, l’intégration, la résilience, les traumas, le « Succes-Story » et les aspirations des compatriotes établis et vivant au milieu des concitoyens. C’est un besoin vital de laisser des traces. D’une part démystifier les perceptions que l’ignorance incruste dans le regard de certains qui n’ont de la diversité que des bribes de fausses identification et d’autre part, tempérer les attentes des candidats à l’immigration qui subliment les ailleurs d’une façon erronée.

L’écrivain s’arroge la mission d’être le garant de la redéfinition de soi et des autres qui vivent l’exil ou la migration.

La Reconstruction identitaire : C’est une tâche ingrate qui consiste à faire dans la déconstruction et dans le remplacement de beaucoup d’acquis selon la péremption des contenus non adaptables au contemporain. Un travail au quotidien qui se trame autour du besoin de l’altérité. Se définir soi-même et se raconter dans ses propres mots pour se prémunir des fausses perceptions qui deviennent très vite des étiquettes. Revendiquer le propre de l’altérité qui est une identité postulée, vécue, multiple,  assumée et refuser le confinement dans les identifications réductrices.

La Médiation interculturelle : Bâtir des ponts et des passerelles, raconter l’autre, démystifier les groupes minoritaires et les cultures essentialisées. Dans les sociétés modernes, la diversité ambiante nous confronte à des incompréhensions, parfois à l’ignorance de l’autre, à ses préjugés, à des catégorisations qui font des généralités un outil qui dégrade, ostracise, stigmatise et par conséquent essentialise. Pa sa façon de dire l’un à l’autre et de raconter l’autre à l’un, l’écrivain s’active à faire tomber les frontières et militer contre l’érection des murs.  Je crois que l’écrivain a le devoir d’incarner le rôle de médiateur interculturel parce qu’il est porteur de valeurs, de savoir, de connaissance et de pédagogie. Parce qu’il peut développer une vision du vivre ensemble et donner des pistes de solutions quant à la diversité comme entité et réalité sociales.

L’imaginaire comme espace commun : L’imaginaire est ce qu’il y a de plus universel chez l’humain en dehors de la satisfaction des besoins primaires. L’écrivain comme narrateur d’histoires utilise souvent la force de l’imaginaire pour pénétrer les citadelles que contrôlent les préjugés et l’a priori. L’allégorique devient alors un vecteur pour se faire connaître de l’autre, pour faire des présentations avec les différences. Décloisonner les imaginaires pour les décoloniser et les dépouiller de toutes les mauvaises influences de la contamination par la socialisation.

Le verbe comme préalable à la citoyenneté. La littérature comme le culinaire, facilite la communication et l’intégration des particularismes dans l’universel. La littérature explique les enjeux, les causes et les conséquences de la mobilité sur les structures établies.

À ce niveau, l’écriture devient  plaidoyer. L’écrivain s’engage et s’implique pour porter les doléances des personnes et des groupes qui n’ont pas nécessairement accès aux tribunes et à la parole.  Le commettant dit le regard des autres sensibilités sur les petites choses de la vie et sur la définition de soi. Il  s’insurge pour refuser les paternalismes réducteurs et les statuts de mineur que subissent souvent les migrants et les personnes issues des communautés culturelles.

La citoyenneté à part entière ne prend sa vraie dimension que quand elle a droit au chapitre. Elle est accessoire quand elle ne peut dire par la bouche des individus concernés, leur existence réelle et concrète comme partie prenante sociétale. C’est cela : Exister par le verbe.

La citoyenneté n’est complète que quand l’individu ou le groupe auquel il est identifié peut s’exprimer sur toutes les tribunes et qu’il est écouté. Pour exercer sa citoyenneté il faut avoir accès à la parole. Les individus comme les groupes qui n’ont pas accès à la parole n’ont pas d’existence citoyenne.

Les ailleurs butins de lecture : Ce sont les ailleurs appris, sentis et visités sans jamais y avoir mis les pieds. On parle de culture générale pour désigner d’autres lieux ou émotions qu’on s’approprie par la lecture par exemple : Connaître Paris et sa rive gauche par le regard de auteurs parisiens, Entendre les cigales, l’accent chantonnant de Marius, de Marseille et le silence de la femme du boulanger en côtoyant Pagnol. La Russie Tsarine par Dostoïevski. Déambuler en Kabylie avec Fouroulou le fils du pauvre…Des ailleurs qu’on revendique et qu’on ne lésine pas à introduire frauduleusement dans nos écrits…La première fois que je m’étais révolté, c’était avec Poil de Carotte, la première fois que j’étais sur une barricade, c’était avec Gavroche, la première fois que j’avais dénudé l’ailleurs d’une femme, c’était celui de Lady Chatterley à moins que cela ne soit celui si élancé d’Emmanuelle…

La nostalgie : C’est une évocation tendrement mélancolique des moments languis dans une autre vie ailleurs ou ici.
Le rapport avec la mort. La mort est un ailleurs inconnu et parfois la littérature permet à son auteur d’être immortalisé.  Vivre comme écrire dans l’urgence est une façon d’agir avec intensité dans le senti des quotidiens. Écrire, c’est aussi tromper et narguer la mort.

 

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