Femmes : Comment le Maroc recule

«N’oubliez jamais qu’il suf­fira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient re­mis en question. » Simone de Beauvoir ne pensait pas si bien dire. D’aucuns diront que c’est un sujet qui n’est plus d’actualité et qu’il relève du lamento. Pourtant l’ex­ception ne fait pas la règle, malheureuse­ment, et les droits de la femme ne sont, finalement, jamais acquis. C’est à croire qu’elle n’a que le droit de se taire et de subir le machisme des lois qui resserrent l’étau autour d’elle.

Combat d’hier, d’aujourd’hui et de de­main, le féminisme est l’affaire de tous et le sexisme dont la femme fait objet n’est qu’une autre facette du racisme dénoncé dans le monde entier.

Au XXIè siècle, à l’ère où le progrès de l’humanité se mesure au degré de la liberté des femmes, le féminisme a besoin d’être réinventé. La violence contre le sexe faible est une atteinte aux droits humains les plus élémentaires. Et oui, le problème des droits de la femme renaît de ses cendres et s’im­pose au coeur du débat sociétal.

Rappelons que le 18 août dernier, les in­ternautes étaient outrés suite à la diffusion d’images choquantes d’un viol collectif filmé dans un bus, à Casablanca. Dans toute son horreur, la vue d’une jeune fille, atteinte d’un handicap mental, de surcroît, se faisant maltraiter par six jeunes de 15 à 17 ans ne pouvait que remettre sur la table la condition de la femme au Maroc, avec toutes ses contradictions et ses paradoxes.

Violence contre les femmes : un mal universel

Qu’elles soient physique, psycholo­gique, sexuelle ou économique, ces vio­lences affectent, selon l’ONU, 30 % des femmes dans le monde. Dans certains pays, 70 % de femmes seraient victimes de violences physiques ou sexuelles per­pétrées par un partenaire à un moment de leur vie. Des chiffres, bien évidemment, effrayants pour le moins qu’on puisse dire. C’est dire qu’un peu partout dans le monde, la situation des filles d’Ève ne constitue pas une priorité. En effet, au­jourd’hui, il est très difficile de pointer du doigt certains pays plus que d’autres quant à la violence faite aux femmes. Rappelons que dans des pays où il y a des conflits armés comme la RDC ou la Colombie, les viols sont utilisés comme une arme de guerre. En Arabie saoudite, les femmes naissent et meurent mineures. Donc nous avons beau vivre dans le plus beau pays du monde, les droits de la femme représentent le talon d’Achille et la maltraitance du sexe faible constitue un fléau universel. C’est une sorte de continuum et de fil rouge qui se tisse au-delà des frontières. À coup sûr, les femmes issues de pays tiers-mon­distes –de culture arabo-musulmane plus particulièrement- restent toutefois la cible privilégiée d’une violence prédatrice.

Et dans les quatre coins du monde, cette violence ne touche pas que des couches pauvres de la société ou des femmes au foyer. Bien celles qui occupent de grands postes peuvent être victimes de violence conjugale, agression trop ignorée par la société tout entière et dont les auteurs bé­néficient d’une impunité quasi universelle.

Paradoxalement, l’Espagne, où le ma­chisme a son mot à dire, reste le meilleur élève de l’Europe en matière de lutte contre la violence faite aux femmes. De facto, le bracelet électronique est distribué par milliers aux hommes violents pour les empêcher de s’approcher de leurs familles et afin de protéger la femme violentée.

Femme au Maroc, citoyenne de seconde zone

Être femme au Maroc où sa liberté lui est confisquée, où la tutelle passe du père au mari faisant d’elle une mineure à vie, où les regards masculins prédateurs la pourchassent partout, où tout lui interdit d’exister et de vivre dignement est une lourde affaire. Nous sommes dans une société où « le sexe faible » est vraiment vulnérable et où le sexe fort édicte sa loi. Faut-il rappeler que la société marocaine, à l’instar de la grande majorité des sociétés à travers le monde, s’est construite sur un schéma patriarcal qui a cherché à institu­tionnaliser les rapports de domination de l’homme sur la femme.

Pourtant, la lutte féministe est un enjeu qui implique l’émancipation de la société dans laquelle les hommes sont partie pre­nante. Or les femmes se voient encore dans l’obligation de défendre leur image, leurs droits, combattre les stéréotypes et pis en­core, aujourd’hui, elles se battent pour leur protection qui n’est plus assurée. C’est à croire que depuis 2003, date d’élaboration de la réforme de la Moudawana, la ten­dance est à la régression de la condition féminine et à l’essoufflement incessant des mouvements féministes. La rhétorique va crescendo et le double discours politique bien évidemment. Mais la réalité est là, toute autre. La femme marocaine est tou­jours dénigrée, pointée du doigt et guettée. Les oeuvres rétrogrades d’obscurantistes appuyées par la lecture purement mascu­line et machiste de la Parole divine font d’elle la fauteuse de troubles à surveiller et à sanctionner.

La femme marocaine  est toujours dénigrée,  pointée du doigt  et guettée.  Les oeuvres rétrogrades d’obscurantistes appuyées par la lecture purement masculine et machiste  de la Parole divine  font d’elle la fauteuse  de troubles à surveiller  et à sanctionner.

Effectivement, la femme essuie un dé­ferlement quotidien de propos misogynes, tenus –et ce n’est pas la moindre contra­diction- par des soi-disant intellectuels. Et la société tisse, pour ainsi dire, une toile confisquant toutes ses libertés, dans une espèce de prison à ciel ouvert, avec le consentement de tous.

L’égalité entre les deux sexes, dans un pays où les idées archaïques cantonnent encore la femme dans ce qu’il y a de plus réducteur, n’est donc que leurre et chimère. Et on se retrouve avec des iné­galités sexistes dans tous les domaines : le droit à l’éducation, au travail, au loisir, aux arts, à la participation et à la représentation politique, à la carrière professionnelle et à la répartition des tâches domestiques. Ain­si, 95% des femmes consacrant 5h par jour aux activités domestiques, contre 43 min par jour pour seulement 45% des hommes.

La cruelle évidence est que nous sommes dans un Maroc à plusieurs vi­tesses, à plusieurs facettes et à plusieurs discours.

La femme marocaine est-elle plus libre aujourd’hui ?

Notre fierté est que la Marocaine est la première femme pilote du monde arabe, la première à gagner des médailles d’Or aux jeux olympiques, la première à la NASA, et la première à aller au pôle Sud. Libre dans sa tête, responsable et indépendante, elle est un symbole de la musulmane émancipée. Et à contrario, cela ne la sert pas, mais fait d’elle la rebelle insoumise dans l’inconscient de l’homme qui se voit menacé dans son système patriarcal conservateur qui l’a toujours placé sur un piédestal où virilité et agressivité font bon ménage.

Il est désolant de dire que bien des an­nées après l’entrée en vigueur de la nou­velle moudawana, la loi reste des textes sans suites et les promesses de la Consti­tution ont tout simplement été trahies. Il est vrai que dans les grandes villes, la femme a investi divers espaces autrefois monopoli­sés par l’homme. Il est vrai que les menta­lités semblent avoir bien évolué suite aux réformes du Code de la famille mais la réalité dément les apparences. La femme reste défavorisée et coupée du monde dans d’autres contrées où on marie toujours de jeunes filles de onze ans. Aujourd’hui encore, même dominées et maltraitées par leurs conjoints, nombreuses sont les femmes qui se résignent à vivre «leur fa­talité», humiliées et rabaissées juste pour sauver la face et préserver leur couverture sociale, celle de la femme mariée et donc « respectable » sachant que le divorce fera d’elle « la pestiférée et la femme maudite » qui n’a pas su garder son mari.

Quand par « destin » ou par choix, une jeune femme qui vit seule, s’assume, s’épanouit et se prend en charge, c’est l’étiquette de « vieille fille » qui lui est, incontestablement, collée comme si être une femme célibataire était une tare qui ne concerne pas l’homme qui a le même statut.

Responsable et indépendante, la Ma­rocaine est un symbole de la musulmane émancipée et de la modernité que la so­ciété récuse d’un bloc et fait d’elle l’enne­mie numéro un et le souffre douleur d’une horde de tortionnaires qui s’attaquent à elle dès qu’elle ose se montrer ou manifester son insubordination à la volonté mascu­line.

Si l’abrogation – après une lutte achar­née de la société civile – de l’alinéa 2 de l’article 475 qui autorisait le violeur à épouser sa victime pour fuir les poursuites était une avancée à célébrer, le même code pénal comporte toujours des insuffisances qui ne confèrent pas une protection effec­tive aux femmes à cause d’une réforme fragmentée et frustrante.

Aussi l’incrimination des violences psychologiques ou encore le viol conjugal reste absente. De même que le crime de viol en tant que tel, y est toujours défini comme attentat aux moeurs non contre la personne.

Femmes : punching-ball de la société

Selon des statistiques de la DGSN, 63,3% des femmes citadines à savoir 13.445 ont été victimes de violence physique, en 2014. Les femmes au foyer représentent 53,8 % de l’ensemble des victimes contre 16,7% des femmes actives, suivent les employées de maison qui représentent 12,4% (9,8%) de l’ensemble des victimes.
Les violences sexuelles contre les femmes, en 2014, constituent 9% de l’ensemble des types de violence subie par les Marocaines, note le rapport de l’Observatoire national de lutte contre la violence à l’égard des femmes qui révèle que les femmes célibataires sont les plus touchées par ce genre de violence avec 53,6 % des violences sexuelles. Selon ce même rapport, c’est dans l’espace public que la plupart des violences sexuelles sont commises (66,4% des cas). Au sein du couple, plus de 6 Marocaines sur 10 ont été victimes de violences conjugales.
Cette banalisation de la violence est donc inquiétante. Une violence qui trouve son origine dans le schéma social patriarcal. En effet, c’est une conséquence directe de la hiérarchisation des relations entre les hommes et les femmes dans la société.
Mais n’est-il pas un peu normal qu’un homme, à qui déjà enfant, on apprenait à surveiller sa soeur, aînée fût-elle, à commander et à rudoyer sa femme s’il le faut pour qu’elle lui obéisse et s’échine devant sa masculinité et son machisme ? La maman en particulier et la société en général composent ainsi et de façon complice dans le modelage de monstrueux aliénés qui vouent admiration et vénération à la femme-mère, chérissent la maîtresse, maltraitent l’épouse et traitent de tous les noms toute femme libre.
Que ce soit donc dans son foyer, dans la rue, au travail et là où elle va, la femme est humiliée, violentée, harcelée et violée. Elles sont autant exposées à la violence dans leur ménage qu’en dehors.
Mais le coup de grâce c’est quand son bourreau –par un paradoxe incroyable- devient victime et pour cause, elle l’aurait cherché ! Aujourd’hui encore, des femmes se font maltraiter et protègent leurs oppresseurs. D’autres se soumettent à la loi de la polygamie au motif fallacieux qu’il vaut mieux bénéficier de la tutelle de l’homme. Ne dit-on pas chez nous que ce dernier reste le rempart et « la couverture » de la femme ?
Force est de rappeler que la violence contre la femme n’est pas seulement physique mais c’est avant tout un phénomène d’emprise et de pouvoir du conjoint violent sur la femme dominée. Cela commence par la dépréciation pour la fragiliser psychologiquement de manière qu’elle encaisse les violences les plus violentes. D’ailleurs, le pire dans la violence psychologique est qu’elle est plus diffuse mais intangible.
Pour notre grand malheur, nous vivons dans une société où des « normes » perpétuées par l’éducation et valorisées par les sociétés exigent des hommes d’être agressifs, puissants, sans émotion et dominants, et des femmes d’être passives, faibles, émotionnelles et dépendantes des hommes.

Le changement passe par l’éducation

Fort heureusement, le parcours de certaines femmes pour leur émancipation et leur affranchissement du joug patriarcal, de la tradition, de la culture de la hiérarchisation des sexes ; leur lutte pour l’égalité des droits, pour la scolarisation et la participation à la vie politique, pour l’accès à la parole, mais aussi pour dénoncer les violences et les abus auxquels le sexe faible est assujetti constitue, de plus en plus, un combat d’avant-garde, appelé à éterniser une lutte sans répit pour la défense de leurs droits face à la force de la tradition et aux archaïsmes où s’entremêlent privilèges sexistes et commandements religieux.
Croire que le combat de la femme la concerne seule est la pire des aberrations que l’on puisse vivre au XXIè siècle. Une société libre et démocratique, n’est-ce pas aussi des femmes libres et des hommes libérés de leurs préjugés et de leurs scories ? Cela participe bien entendu d’une meilleure éducation surtout face à la défaillance de la famille et de la société toute entière qui ne prend pas conscience de ce que subissent les femmes et ne leur apporte aucun secours.
La lutte contre la violence faite aux femmes est une grande cause nationale et tout le monde doit y contribuer. Ceci dit, le gouvernement doit sensibiliser à travers l’éducation nationale. Aider à changer les mentalités relève aussi du ressort de la littérature, des émissions de télévision et des médias qui, en véhiculant une image négative de la femme, participent à sa maltraitance.
Le changement ne pourra se faire que s’il entre dans le quotidien des familles marocaines. A l’école, malheureusement, aucune éducation aux droits humains et à l’égalité des sexes ne fait partie du contenu dispensé. Pour cela, il faut envisager aussi en parallèle une révision des programmes scolaires pour en extraire tous les contenus sexistes et stéréotypes néfastes aux femmes. D’où l’urgence d’une réforme globale et minutieusement conçue, qui n’omettrait aucun aspect.

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