Femmes : Comment le Maroc recule

Dossier du mois

Dr Zeina el Tibi, Docteur en droit public, essayiste, chercheur. Présidente de l’Association des femmes arabes de la presse et de la communication (Paris)

La violence contre les femmes : un fait de société que l’État doit combattre

Le 20 août, une vidéo montrant une jeune femme, handicapée mentale, se faisant agresser sexuellement par un groupe de jeunes, dans un bus à Casablanca, a suscité une vague d’indignation au Maroc. Diffusées sur les réseaux sociaux, les images ont suscité une salve de réactions indignées ce qui a le mérite de démon­trer qu’au Maroc, au moins, on ne cache pas les choses, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux autres pays.

Cette agression pose la question des violences faites aux femmes dans la vie de couple, sur le lieu de tra­vail, dans la rue ou dans les transports publics.

Disons d’emblée que l’erreur serait de considérer, comme l’activiste jordanienne Laila Hzaineh qui s’en est pris violemment aux mentalités dans le monde arabe, que ce genre de délits est propre aux pays arabes. En règle générale, il faut constater une recrudescence d’une certaine violence dans la plupart des socié­tés – et, bien en­tendu, je ne parle pas des pays qui subissent de ter­ribles conflits et où l’État de droit est défail­lant (Irak, Syrie, Soudan du sud, quelques pays africains, etc.).

Cette situation déplorable ne touche d’ailleurs pas que les femmes, mais elle s’étend à toute la so­ciété, notamment contre les plus faibles (enfants, vieillards) et cela montre à quel point le malaise est profond. En France, par exemple, des incidents graves ont lieu, chaque jour, dans les écoles, les collèges et lycées. Intimidation, racket, attouchements et même violence brutale, autant de traumatismes qui touchent, quotidiennement, 46% des élèves de collèges en France ! Souvent ces actes de violence sont commis par des adolescents, certains très jeunes. Selon des spécialistes, les violences physiques surgissent, de plus en plus tôt à l’école.

Les causes de ces violences sont multiples.

D’abord, les adolescents sont de plus en plus ex­posés à des images violentes ou pornographiques extrêmes (télévision, cinéma, internet, bandes dessi­nées). Cela nourrit, parfois, une frustration conduisant à des comportements blâmables. Ensuite, dans cer­taines couches de la société, l’absence d’éducation, le refus de toute autorité (familiale, scolaire ou autre) de jeunes gens à la dérive peut contribuer à expliquer des comportements inadmissibles, d’autant que les mineurs sont rarement poursuivis même quand ils ont commis d’odieux délits.

En outre, on peut déplorer le fana­tisme religieux de gens qui n’ont aucune connaissance des prescriptions réelles de la religion et laissent leurs fantasmes ou leurs bas-instincts prendre le dessus en se drapant dans un discours religieux déviant. Ainsi, récemment en Turquie, un tribunal d’Istanbul a condamné à une lourde peine de prison ferme un homme qui avait agressé une infirmière, dans un bus, au motif qu’elle portait un short, ce qu’il a considéré comme une tenue « obs­cène » contraire à la religion. Ce genre d’attitude ne fait que discréditer la reli­gion et il est grave qu’une certaine com­plicité avec ces excès existe au plus haut niveau dans certains pays, comme l’Iran ou l’Égypte, durant le gouvernement des Frères musulmans. Il faut rappeler que les grandes religions, notamment l’Islam, interdisent les actes de violence contre les femmes.

Vigueur et équité sont indispensables dans un Etat de droit

Le manque d’esprit civique est aussi un facteur important des violences, en parti­culier celles qui frappent les femmes. La vidéo de l’affaire de Casablanca montre que l’agression n’a fait réagir ni les pas­sagers, ni le chauffeur du bus. Mais sur ce point, il faut se garder de juger car la peur peut expliquer cette passivité face à un groupe de voyous violents. S’il existe un délit de non-assistance à personne en danger, il est clair qu’il n’est pas demandé de se mettre soi-même en danger. Le cas échéant, il revient au juge d’apprécier, au cas par cas, la réalité du danger encouru par les témoins ou leur lâcheté. En France, selon une jurisprudence constante, le se­cours n’est dû que s’il peut être apporté sans risque pour l’intervenant et pour les tiers. En outre, il ne faut pas faire porter aux citoyens le poids des missions qui incombent à l’État.

En conclusion, on peut souligner que les actes de violence sont rarement le fait d’absence de dispositif légal ou régle­mentaire. Les textes existent pour répri­mer ce genre de comportements, il faut avoir la volonté de les faire appliquer. Tout est affaire d’autorité et d’enseigne­ment. Les deux doivent être combinés. D’abord, il convient de consolider ou instaurer un enseignement civique et re­ligieux éclairé qui dénonce tous les fana­tismes et tous les extrémismes. Mais rien ne peut se faire en dehors des autorités publiques. Il faut sans cesse consolider l’État de droit qui doit être plus fort que les lobbies confessionnels et autres insti­tutions qui, comme c’est par exemple le cas au Liban, encouragent des pratiques désuètes et rétrogrades. Trop longtemps ignorées dans les sociétés européennes ou sud-méditerranéennes, les violences faites aux femmes doivent être poursui­vies sans faiblesse. Il faut donc veiller à ce que la loi soit appliquée dans toute sa vigueur. Entre le fort et le faible, entre la brute et la victime, c’est la loi qui apporte de l’équité et protège en faisant passer l’ordre juste dans la vie sociale.

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