Femmes : Comment le Maroc recule

Dossier du mois

Dr Karim IFRAK , Islamologue, histoire des Textes et de la vie de la pensée dans les mondes musulmans, islam mondialisé et idéologies contemporaines. C.N.R.S, Paris.

Droits des femmes au Maroc : lutter pour exister et exister pour lutter

L’agression sexuelle, morale et physique dont a été victime la jeune fille handicapée mentale et moteur, sous le regard indifférent du public, par une bande de six jeunes sauvageons, a fait le tour du monde. Invraisemblable, elle a fait couler beaucoup d’encre, secoué les opinions publiques du monde entier et interpellé les consciences les plus sourdes. Mais au-delà de ce crime inqualifiable condamné à l’unanimité, il est de notre devoir de nous interroger sur les mécanismes qui ont poussé ces adolescents à commettre l’invraisemblable. Il s’agit, certes, d’un acte isolé, mais qui en dit long sur les maux nombreux qui rongent la société marocaine et qui s’expriment, plus ou moins de façon violente, à sa surface,

Une émancipation forgée au feu d’un long combat

Le Maroc moderne s’est illustré, à la veille de son indépendance, grâce à la volonté du roi Mohammed V qui a eu l’audace d’inscrire les jeunes Maro­caines, à l’instar des jeunes Marocains, à l’école pu­blique. Un geste fort en symbolique qui ambition­nait de provoquer la rupture avec les orientations passéistes d’une société foncièrement patriarcale et d’offrir à la femme marocaine les moyens de s’affranchir de son joug. Depuis, que de chemin parcouru. La femme « sans voie » a cédé la place à la femme parlementaire, la femme analphabète à la femme savante et la femme au foyer à la femme chef d’entreprise, etc. Une émancipation forgée au feu d’un long combat et arrachée au prix de tant de sacrifices, permettant au Maroc, cette fois-ci, de se hisser au rang mondial des pays sensibles aux droits de l’Homme, la femme en tête. Pourtant, rien ne semble complètement ou définitivement acquis. La femme marocaine, notre mère, notre tante, notre soeur, notre cousine, notre voisine, notre belle-soeur, notre collègue, notre conjointe … peine encore à devenir l’égale du Marocain. Les modifications apportées au code de la famille, conjuguées aux différentes et nombreuses réformes touchant au statut de la femme, en sont la preuve par mille.

Et si les choses semblent avancer avec indolence, c’est justement parce que la société marocaine hé­site à accepter ces progrès. Pour s’en convaincre, il suffit de constater l’incivilité dont est victime la femme marocaine, à des degrés divers, dans l’es­pace public, professionnel et privé. Des agressions orales qui alimentent, de façon inconsciente, les pires dérives au point de les traduire, parfois, en agressions physiques, sexuelles voir toutes à la fois.

Urgence d’un projet de société à construire

Une société qui se respecte se doit d’estimer l’en­semble de ses citoyens, et ce quels que soient leurs sexes, statuts sociaux, convictions politiques ou religieuses, niveau d’instruction ou état de santé physique ou mental. Et si cet idéal semble inacces­sible, à nous alors de nous interroger sur les raisons qui font qu’il demeure insaisissable. Il ne s’agit pas de jeter la faute sur l’autre, comme s’il suffisait de trouver un coupable pour résorber un problème… tous les problèmes. Il faut avoir le courage d’opé­rer une autocritique approfondie et de se dire les « choses » en tant qu’adulte mature et responsable. Autrement, on pourrait continuer à incriminer le pouvoir central, l’administration, la famille, les voi­sins et jusqu’aux défunts dans leurs tombes.

Il y a urgence, car la situation « avilissante » dans laquelle se noie la femme marocaine, malgré les efforts nombreux consentis, touche à la limite du tolérable. L’agression de cette jeune femme inno­cente en est une preuve criante et c’est à la société marocaine entière de dénoncer le mal-être qui la ronge et de faire le nécessaire pour protéger nos mères, nos soeurs, nos épouses, etc… Il lui faut, en son nom, demander réparation et veiller à ce que les droits de toutes les femmes soient respectés dans leur intégralité, les personnes fragiles en priorité.

La loi existe, elle est la main de la coercition, mais elle semble insuffisante tant elle peine à ju­guler les mauvaises actions de certaines personnes. Il s’agit donc d’une déficience éducative, morale et éthique et c’est, bien évidemment, à l’État d’assu­mer pleinement cette responsabilité. Il a le devoir de mobiliser l’ensemble des forces vives autour d’un projet de développement sociétal fondé sur les valeurs d’humanité et de solidarité, au sein du­quel la femme se doit d’être la priorité absolue. Un projet de société à construire sur la base de nou­veaux paradigmes qui débouchent par un examen critique de nos jugements de valeur et de nos… schizophrénies.

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