Hommage à Mohammed V et à l’amitié franco-marocaine

L’Association l’Ambassadrice, présidée par Naima Moghir, et le Cercle Ibn Khaldoun, présidé par le professeur Abderrahmane Mekkaoui ont organisé  le 14 décembre 2017 aux Invalides-Musée de l’armée à Paris, une réunion sur le thème : «  Les Grandes Journées Historiques Franco-Marocaine.  De l’appel du Général de Gaulle au rôle du Sultan du Maroc Mohammed V pour la Libération ».

 Modérée par l’amiral Jean Dufourcq, cette réunion a permis d’entendre Jacques Godfrain, ancien ministre er président de la Fondation Charles de Gaulle, le contrôleur général des armées Claude Sornat, président de la Koumia, l’ambassadeur du Sénégal, le professeur Charles Saint-Prot, directeur général de l’Observatoire d’études géopolitiques et auteur du livre Mohammed V ou la monarchie populaire (éd. du Rocher), ainsi que plusieurs diplomates africains et responsables d’associations françaises et marocaines.

  1. Charles Saint-Prot a présenté une communication intitulée « Mohammed V, Compagnon de la Libération et l’amitié franco-marocaine ». En voici le texte :

« Après l’affaire du « dahir berbère », faux pas historique du protectorat qui trahissait ainsi sa mission au Maroc, le Sultan Mohammed V était devenu le chef de file de la lutte pour la libération de son pays, c’est-à-dire la fin des protectorats français et espagnol.

Cependant, il est remarquable que malgré les reproches bien fondés qu’il pouvait faire au gouvernement français, jamais le sultan n’entretint la moindre haine pour la France. Plus encore, il sut se monter un allié fidèle et efficace lors la catastrophe de la défaite de 1940 face à l’Allemagne. Lorsqu’éclata la deuxième Guerre mondiale, le 1er septembre 1939, le Sultan Mohammed ben Youssef  choisit immédiatement son camp. Il ordonna de lire dans les mosquées du royaume  un appel solennel en faveur de la France et de ses alliés. Il déclarait :

« C’est aujourd’hui que la France prend les armes pour défendre son sol, son honneur, sa dignité, son avenir, et les nôtres, que nous devons être nous-mêmes fidèles aux principes de l’honneur de notre race, de notre Histoire et de notre religion […]A partir de ce jour et jusqu’à ce que l’étendard de la France et de ses alliés soit couronné de gloire, nous lui devons un concours sans réserve, ne lui marchander aucune de nos ressources et ne reculer devant aucun sacrifice. »

Les troupes marocaines stationnées en  France – les gouliers, les régiments de tirailleurs et les régiments de spahis –  participeront aux combats de la campagne de France où beaucoup se couvriront de gloire. Citons par exemple  la 1ère brigade de spahis qui gagna le titre de « seule invaincue de la débâcle », après avoir combattu du Luxembourg à l’Aisne, puis sur la Somme, la basse Seine, le Loire et le Rhône.

Après la défaite, le général de Gaulle lança, 18 juin 1940, un appel à la résistance sur la radio de Londres.  Cet appel doit être mis en parallèle avec un autre appel, celui du Sultan du Maroc qui affirma le lendemain de l’armistice du 22 juin :

« Si la France était un petit pays , si l’histoire du peuple français  ne datait que d’une cinquantaine d’années, nous aurions des craintes justifiées pour votre avenir, mais votre pays étant l’immense et riche  France que je connais si bien et l’histoire du peuple français étant cette histoire qui force l’admiration, ce serait un crime que de douter des destinées de la France »

Ainsi, dans les jours les plus sombres de son histoire, alors que trop de Français renonçaient au destin de la France, le Roi du Maroc proclamait-il ces paroles de confiance qui créaient un lien indissoluble entre les deux nations.

Pour le Sultan, malgré les revendications légitimes qu’il pouvait avoir à formuler, le Maroc ne pouvait sans faillir à l’honneur profiter de la situation en misant sur le malheur de la France. Par ailleurs, il haïssait l’idéologie raciste et impérialiste des dirigeants allemands. Enfin, il savait fort bien qu’Adolf Hitler et son allié italien avaient des vues sur l’Afrique du nord.

Sous l’impulsion du Sultan, le Maroc allait donc jouer le jeu de la Résistance française, notamment en aidant à la  constitution secrète de l’armée de la revanche. Cette aide se fit notamment en dissimulant armes et munitions à la  commission de contrôle germano-italienne mise en place selon les accords de l’armistice. Il est remarquable que pas un seul Marocain ne vendit la mèche, chacun se montrant scrupuleusement fidèle aux directives du Sultan.

On sait aussi que le Sultan s’opposa à la législation sur les juifs que le gouvernement de Vichy voulait voir appliquer au Maroc. Sidi Mohammed se montra intraitable : « Vous ne toucherez pas à mes juifs. Ils sont mes sujets au même titre que les Marocains musulmans et je ne tolérerai pas qu’il subisse une quelconque discrimination ».

De son côté, le général de Gaulle, chef de la France libre, se rendit  au Maroc pour y  rencontrer le Sultan qu’il considérait comme le seul interlocuteur légitime dans le pays. Il écrit dans ses Mémoires de guerre :

« Sous l’apparat officiel, je pris contact d’homme à homme, avec le Sultan Mohammed ben Youssef. Ce Souverain, jeune, fier, personnel, ne cachait pas son ambition d’être à la tête de son pays dans la marche vers le progrès et, un jour, vers l’indépendance. ..

De Gaulle ajoute :

 « je nouai, avec lui des liens d’amitié personnelle. Mais aussi», nous conclûmes une sorte de contrat d’entente et d’action commune, auquel nous ne manquâmes jamais, ni l’un ni l’autre, aussi longtemps que moi-même je pus lui parler au nom de la France. »

Durant ces années de guerre, tout avait changé. Après ses rencontres avec Roosevelt, Churchill et de Gaulle, le rang du Sultan du Maroc était de nouveau reconnu.  Pendant ce temps, les troupes marocaines participaient héroïquement à la lutte contre l’Allemagne et à la libération de la France. Un seul exemple, les fameuses batailles des cols corses, du 9 septembre au 4 octobre 1943, remportées par les goumiers marocains qui permirent la libération de Bastia.

Après la capitulation de l’Allemagne, le 8 mai 1945,  le général de Gaulle était le chef du gouvernement provisoire. N’oubliant pas son entrevue avec le Sultan du Maroc et la participation au Royaume à la guerre, il décida d’inviter le souverain marocain  à participer aux festivités de l’anniversaire de l’appel du 18 juin. À cette occasion, Charles de Gaulle  conféra à Mohammed ben Youssef le titre de Compagnon de la Libération. En faisant entrer dans cet Ordre le Sultan du Maroc, qui sera le seul chef d’État étranger à en faire partie, Charles de Gaulle souhaitait très clairement indiquer que le Sultan était bien le seul interlocuteur avec lequel la France devrait construire  l’évolution future du protectorat.

Le Général et le Sultan  évoquèrent la question de l’avenir du Maroc. De Gaulle a relaté dans ses Mémoires qu’il était d’accord avec Mohammed V  sur le fond des choses. Il pensait qu’il faudrait ouvrir des pourparlers « à partir du jour où la IVe  République aura adopté sa propre constitution. »

Mais ni le Général, ni le Sultan ne pouvaient imaginer le degré d’inconséquence du peuple français et la force des intrigues des politiciens de bas étage qui allaient conduire à la démission du général de Gaulle en janvier 1946.

Revint donc le régime des partis, avec une IVe  république qui était tout aussi incapable que la IIIe.  Le départ du général de Gaulle fut une mauvaise chose à la fois pour le Maroc et pour la France. Que de temps  perdu, que d’espoirs gâchés, pour finalement aboutir à la déposition du Sultan, laquelle en fit un héros aux yeux de son peuple. En tout cas la volonté inflexible de Mohammed V conduisit à l’indépendance en mars 1956 après son retour triomphal le  16 novembre 1955

La libération acquise, Mohammed V n’admettait qu’on insultât l’avenir en se livrant à de sordides règlements de compte ou en cultivant un état d’esprit anti-français qui n’était plus de mise. Le souverain veilla à écarter tout ressentiment inutile, tout esprit de vengeance, toute animosité vis à vis de l’ancienne puissance protectrice. À la différence de l’Algérie, devenue indépendante en 1962, où les groupes qui accaparèrent le pouvoir allaient faire de la propagande anti-française, l’alpha et l’oméga de leur politique, Mohammed V ne voulut insulter ni l’avenir ni la raison.  Ce sage souverain savait que l’histoire, la géographie, le progrès des échanges et le cours naturel des choses sont tels que le Maroc et la France doivent conserver des liens étroits, comme d’ailleurs tous les pays des deux rives de la Méditerranée.

C’est une fois encore, l’élégance et la lucidité conjuguées qui guidèrent l’action du descendant du Prophète. Dans son discours du Trône suivant son retour, le 18 novembre 1955, le Compagnon de la Libération avait exposé clairement la ligne :

« L’indépendance… ne doit pas signifier un relâchement de nos liens avec la France car l’amitié entre nos deux pays  est solidement enracinée ».

Telle sera la conduite constante du Maroc dans les relations avec la France : l’amitié, la coopération mais aussi le respect de la souveraineté. La vérité conduit à dire que cette amitié résistera à toutes les épreuves. 

C’est la chance de la France et du Maroc d’avoir eu au XXe siècle, des dirigeants de la stature de Charles de Gaulle et de Mohammed V. Tout naturellement ces deux géants de l’Histoire scellèrent un pacte d’amitié  qui  fit de nos deux pays plus que des alliées, il en fit des amis.

Aujourd’hui, cette amitié est bien vivace. Elle l’est au point que l’axe franco-marocain est l’un des piliers solides de la diplomatie du Roi Mohammed VI qui est le digne successeur de son illustre grand-père. C’est pourquoi, il ne faut célébrer comme il se doit cette amitié franco-marocaine qui est si bénéfique à nos deux nations. »

[1] Charles de Gaulle. Mémoires de guerre. L’unité.

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