L’émergence prochaine en Afrique francophone, une escroquerie politique

Utilisé pour la première fois, en 1981, par l’économiste néerlandais, Antoine van Agtmael, pour parler de pays en développement, offrant des opportunités pour les investisseurs, le mot «émergence» a évolué pour signifier, aujourd’hui : «nouveaux pays industrialisés». Depuis quelques années, le concept a été adopté par certains politiciens africains et est, rapidement, devenu un refrain politique, très vite repris par d’autres, principalement, dans les pays de l’Afrique subsaharienne.

Plusieurs dirigeants africains ont ainsi «décidé» que leurs pays atteindront leur émergence économique, à l’horizon 2020, 2030 ou encore 2050 pour les plus prudents. Le projet est séduisant. De fait, il a permis à nombre d’entre eux de rallier leurs populations à cette cause. En effet, nombreux sont ces Africains, épris de développement et de bien-être, qui sont tombés sous le charme de cette «belle idée» d’émergence prochaine de leurs différents pays, qu’ils souhaitent et appellent de tous leurs vœux. Une émergence qui pourrait s’imposer comme une véritable solution au problème de la fuite des cerveaux mais surtout de l’immigration clandestine qui reste, à ce jour, une véritable préoccupation africaine et mondiale.

Toutefois, si l’on se fie à l’état actuel de développement des pays concernés, bien que certains connaissent un taux de croissance remarquable, depuis quelques années, l’écart entre les déclarations des dirigeants politiques et les réalisations concrètes demeure très important et l’émergence, pourtant si proche selon le calendrier établi par ses initiateurs, ne semble pas être une évidence, ce qui pourrait remettre en question sa faisabilité.

Une émergence « décrétée » 

Le projet d’émergence économique, engagé dans plusieurs pays de l’Afrique francophone, est parti de volontés politiques qui ne semblent pas forcément avoir tenu compte des réalités politiques, économiques et sociales des pays concernés. Car loin d’être possible par de simples décisions ou décrets, devenir un pays émergent suppose être en adéquation avec certains points d’évaluation plus ou moins définis et communs aux pays bénéficiant du statut d’émergent. Et s’il n’existe pas de critères officiels pour définir un pays émergent, certains experts s’accordent à dire que pour être émergent, un pays doit avoir une croissance économique supérieure à 5 % sur le long terme, une population jeune et éduquée de plus de 100 millions d’habitants afin de constituer un marché domestique important, une économie diversifiée et qui ne dépend pas des exportations des matières premières, une stabilité politique avec des institutions fortes et stables, etc.

Cependant, aucun des pays d’Afrique subsaharienne, en course pour atteindre son émergence toute proche, ne réunit, à lui seul, toutes ces conditions. Bien au contraire. Les économies des pays de l’Afrique subsaharienne dépendent, essentiellement, de l’exploitation et de l’exportation des ressources primaires dont les cours sont volatiles et cycliques. Cette situation provoque une instabilité constante dans le cycle de croissance économique de ces pays qui résulte des «humeurs» du marché international. C’est par exemple le cas de la Côte d’Ivoire, pays moteur de l’Afrique de l’Ouest avec un fort taux de croissance maintenu sur plusieurs années mais qui traverse une crise économique occasionnée par la chute du prix du cacao.

 Avec 1,216 milliard d’habitants, l’Afrique reste un continent sous-peuplé en comparaison à des pays tels que la Chine et l’Inde, deux pays émergents qui ont, respectivement, 1,379 milliard et 1,324 milliard d’habitants. Selon les estimations, le continent pourrait atteindre les 2 milliards d’habitants à la fin de ce siècle avec un boom démographique en Afrique subsaharienne dont la population s’accroît de façon rapide. Mais à ce jour, les candidats à l’émergence économique sont encore de petits pays qui n’atteignent pas les 25 millions d’habitants, et qui sont donc incapables de constituer, à eux seuls, de véritables marchés domestiques.

A cela s’ajoutent l’insécurité constante, les tensions et les potentielles crises politiques ou armées qui interviennent, généralement, lors des changements de régimes politiques. La stabilité politique est donc loin d’être une réalité sur le continent africain et plus encore, dans la partie subsaharienne. En somme, le chantier est immense et le temps court pour ces pays plus proches d’être pauvres que pré-émergent à l’heure actuelle.

Les pays «en voie d’émergence» face aux BRIC

Tous les pays émergents que l’on retrouve dans le sigle BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) ou encore BRICS (depuis 2011 avec l’Afrique du Sud) ont, en commun, des économies compétitives qui leur permettent de conquérir des marchés au niveau mondial, de créer de la richesse et des emplois. En se donnant pour objectif de devenir émergents à des dates bien précises, les pays d’Afrique subsaharienne, candidats à l’émergence, ont fait le pari de booster, en un temps record, le développement industriel, économique, humain, etc… de leur pays. Toutefois, comme le disait un observateur, l’émergence ne se décrète pas, c’est un processus qui se construit sur le long terme.

Les parcours et les forces économiques des pays du BRIC confortent cette thèse. La Chine a entamé son projet d’émergence, depuis 1949 pour la voir se concrétiser autour des années 2000. Elle est, aujourd’hui, le deuxième pays du monde par son produit intérieur brut derrière les Etats-Unis et le premier pays au monde pour le PIB à parité de pouvoir d’achat. Elle est un géant manufacturier. La Russie est, quant à elle, l’une des dix économies les plus importantes au niveau international. Son économie repose, entre autres, sur des ressources naturelles, une population importante (plus de 140 millions d’habitants), des compétences scientifiques et techniques très avancées. Le Brésil est un géant agricole et industriel et l’Inde l’est dans les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Tous ces pays arrivent à allier population importante, grandes capacités technologiques, main d’œuvre et des richesses naturelles suffisamment exploitées. A côté de cela, quelle est la stratégie de l’Afrique ? Pour l’heure, nos candidats à l’émergence sont pâles figures. Ainsi, le continent africain reste malgré ses énormes potentialités un continent assez faible parce que sous-exploité par ses ayants droit, gangrené par la corruption, les crises sociales, l’insécurité et bien d’autres facteurs qui font de lui un environnement hostile à l’investissement qui reste évidemment plus faible par rapport aux pays émergents. Les économies d’Afrique subsaharienne sont encore en 2017, fortement marquées par l’informel, sans oublier le manque criard d’infrastructures.

A ce jour, il n’y a pas de véritable révolution agricole, industrielle, technique… Et si toutefois dans certains pays la croissance économique est perceptible, de là à prétendre à une émergence dans un délai aussi court pourrait relever de l’utopie. L’émergence dont parlent les dirigeants africains serait-elle, en réalité, plus une vision politique qu’une réalité palpable ? Restera-t-elle à l’étape du discours politique ? Toujours est-il que sans de réelles et profondes réformes structurelles, les pays africains ont peu de chance de parvenir à cette émergence qui nécessite de bonnes politiques, des moyens mais également du temps. Cependant, rien ne nous empêche d’être patients et d’observer. Les dates sont connues, le temps nous dira.

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