Les metteuses en scène au défi de 400 ans d’opéra masculin

Dans « Cosi fan tutte », on parle de l’inconstance féminine, dans « Carmen », l’héroïne est brutalement tuée, et dans « Madame Butterfly », elle se donne la mort: dans la plupart des opéras, les femmes sont au mieux maltraitées, au pire sacrifiées.

Face à une grande majorité de livrets d’opéras jugés misogynes, Katie Mitchell, la plus connue des metteuses en scène contemporaines, trace la voie vers une nouvelle lecture des classiques pour en atténuer la tonalité machiste.

« Le problème est que quand vous montez d’anciens opéras, vous devez composer avec un texte sexiste. C’est toxique », affirme à l’AFP la Britannique qui présente une nouvelle production d' »Ariane à Naxos » de Richard Strauss au Festival lyrique d’Aix-en-Provence, qui s’ouvre mercredi et se tient jusqu’au 24 juillet dans le sud-est de la France.

« La principale raison pour montrer ces opéras, c’est leur superbe musique. Si on les jugeait par leur livret, on ne les montrerait pas », assure l’artiste de 53 ans.

Les exemples sur les femmes victimes d’abus de toute sorte abondent, que ce soit ces dames séduites puis abandonnées dans « Don Giovanni » de Mozart, ou Gilda qui se sacrifie pour un duc pourtant infidèle dans « Rigoletto » de Verdi.

« Ne pas s’attaquer à ce sexisme serait comme l’encourager », estime Katie Mitchell.

Ses productions radicales et parfois controversées — en Grande-Bretagne, des critiques l’ont accusée de « casser » les classiques– sont novatrices au niveau de leur relecture féministe. En 2016, sa version de « Pelléas et Mélisande » à Aix montrait pour la première fois cet opéra de Debussy du point de vue du personnage féminin.

« Nous voyions l’opéra à travers les yeux de Mélisande, ça change de perspective », affirme à l’AFP Bernard Foccroulle, directeur du festival.

« On reste avec 400 ans d’opéra masculin mais maintenant on a besoin du regard des femmes », assure-t-il. C’est justement « parce que leur point de vue n’est pas dominant qu’il est créatif. C’est enrichissant ».

Au Royal Opera House de Londres, Katie Mitchell a offert une version radicale — et sanglante — de « Lucia di Lammermoor » de Donizetti en plongeant davantage dans la souffrance psychologique de l’héroïne. Et à Aix en 2015, elle transforme la « Alcina » de Handel en séductrice maîtresse de son plaisir.

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Pour son nouvel opéra, elle donne également plus d’étoffe au personnage mythologique d’Ariane, abandonnée par Thésée sur l’île de Naxos où elle désespère de son sort, une image pas très féministe.

« Je suis une artiste femme +senior+ donc je peux prendre des risques (…), cela va ouvrir la porte à la jeune génération, lui permettre d’aller plus loin », estime celle qui, avec Deborah Warner et Fiona Shaw, fait partie de la poignée de metteuses en scène d’opéra de renom.

Pour elle, le mouvement #MeToo et plus largement la bataille pour l’égalité des sexes va ouvrir les arts vivants à plus de femmes « qui défieront les canons de l’opéra ».

Le chemin est encore long, car la faible présence des femmes dans ce milieu est également due aux inégalités de salaires et des problèmes du recrutement.

En France, les statistiques sont éloquentes. Selon des chiffres publiés en 2018 par l’Observatoire de l’égalité hommes-femmes dans la culture et les médias, 20 % des spectacles présentés dans les opéras sont mis en scène par des femmes et 3 % des concerts des orchestres sont dirigés par une femme.

Pour Katie Mitchell, les institutions, « gérées surtout par des hommes, ont tendance à recruter dans leur genre parce que c’est plus familier ». Elle les appelle à introduire une « formation sur le sexisme inconscient ».

« On ne va pas changer tout ça d’un coup de baguette magique », observe M. Foccroulle, mais « on a la responsabilité de faire en sorte que l’opéra d’aujourd’hui ne reflète pas seulement un point de vue patriarcal et machiste ».

Déjà parfois victime d’une image élitiste, l’opéra, ajoute Katie Mitchell, doit « s’ouvrir à la question du genre mais aussi de la diversité, sinon il commencera à s’essouffler ».

AFP

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