Libye : retour sur les ressorts d’une crise qui s’enlise

Par Zoubida DEBBAGH

« Non, le statu quo n’est pas une option ! Les déchirements fratricides qui traversent la Libye ne sont pas une fatalité ! », tels sont les mots prononcés par Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, lors du sommet organisé à Paris au sujet du chaos régnant en Libye. La conférence, tenue le 29 mai dernier, avait pour objectif de trouver une issue à une crise qui ne fait que s’enliser depuis de nombreuses années. Emmanuel Macron, en permettant aux multiples protagonistes du désordre libyen de s’asseoir à la table des négociations, se place en médiateur central dans cette crise. Le sommet s’est soldé par une apparente entente entre les quatre grands acteurs de la crise, qui paraissaient de prime abord irréconciliables : Fayez al-Sarraj, Premier ministre ; Khalifa Haftar, maréchal tenant les rênes de l’Est du pays ; Aguila Salah Issa, président de la Chambre des représentants ainsi que Khaled Al-Mishri, président du Haut Conseil d’État. Ces derniers se sont solennellement engagés à la tenue d’élections législatives et présidentielles, la date ayant été fixée au 10 décembre prochain. De plus, l’accord de Paris insiste sur la mise en place d’une « base constitutionnelle » pour le pays, en proie à un vide juridique affolant, et ce depuis la chute de Kadhafi en 2011. Au vu de l’état de morcellement des forces du pays, cet accord semble bien ambitieux, et son avenir plus que jamais incertain. Il n’en reste pas moins que ce sommet est l’occasion pour nous de revenir sur cet imbroglio diplomatique qu’est la crise libyenne, pour tenter d’en démêler les tenants et aboutissants.

Un gouvernement sans légitimité ?

Au jour d’aujourd’hui, soit sept ans après la chute de Kadhafi, le pays est toujours en proie à de profondes divisions. Les logiques sous-tendant cet émiettement socio-politique sont multiples : locales, régionales, tribales… sans oublier les nombreuses ingérences étrangères. Autant de facteurs qui contribuent à rendre la crise encore plus indéchiffrable !

Si l’on souhaite dresser un tableau de la situation actuelle, voici ce qui en ressort.

Nombreux sont les acteurs qui se disputent la légitimité du pouvoir. Tout d’abord, à l’issue des accords de Skhirat, signés le 17 décembre 2015, un gouvernement d’union nationale a été institué. Dirigé par Fayez al Sarraj et basé à Tripoli, il s’agit de l’instance bénéficiant de la reconnaissance internationale. Toutefois, cette légitimité internationale ne lui assure pas l’unanimité auprès de la population. Ainsi, bien qu’effectif depuis mars 2016, ce gouvernement n’a jamais obtenu la confiance du Parlement. Ceci empêche le gouvernement al Sarraj de jouir d’une légitimité suffisante pour consolider son autorité à l’échelle de tout le pays étant rivalisé à l’Est par le maréchal Khalifa Haftar. Chef auto-proclamé de « l’armée nationale libyenne », ce dernier jouit d’une popularité certaine, fort de l’appui qui lui est conféré par le Parlement ainsi que le gouvernement parallèle basé à Beida. Mais la crise libyenne ne peut se résumer à un affrontement bipartite. En effet, à ce méli-mélo politique s’ajoute des logiques locales ; la ville de Misrata en est un exemple éclairant. Dans cette ville charnière de l’Ouest libyen, les milices et hommes politiques se disent opposés au maréchal Haftar. Toutefois, ils ne sont pas tous unanimes quant au gouvernement d’union nationale. Sans oublier les logiques tribales, jouant elles aussi un rôle structurant dans la crise que traverse le pays. Les antagonismes naissant du tribalisme ne font que rendre l’horizon d’une réconciliation nationale d’autant plus incertain.

La Libye, entre la faillite et la nostalgie

Toutes ces autorités se disputent ainsi le pouvoir depuis la chute de Kadhafi en 2011, menant à la déliquescence totale du système. En ce sens, la Libye s’apparente à un état failli, dans le référentiel du politiste américain William Zartman. En effet,il n’y a pas de gouvernement central prenant les décisions pour l’ensemble du territoire, et le gouvernement internationalement reconnu manque cruellement de légitimité et n’arrive pas à assurer la sécurité sur l’ensemble du territoire. La formulation « état failli » pour désigner la réalité en Libye semble ainsi particulièrement pertinente. Toutefois, elle implique qu’une structure étatique préexistait à cette période de déliquescence, ce qui n’est pas forcément évident. En effet, Kadhafi dirigeait son pays à travers un système ultra-patrimonial, son objectif n’ayant nullement été de bâtir une nation forte de ses institutions. Il n’empêche que la faillite institutionnelle de la Libye est certaine, et que cette dernière a contribué à l’ouverture de nombreuses brèches que les organisations terroristes et autres forces de terreur n’ont pas hésité à pénétrer. En sus de cette ruine institutionnelle, la Libye se caractérise également par un vide juridique notoire et inquiétant car il est la porte ouverte à de nombreuses dérives certaines. De facto, depuis 2011, le pays est régi par une «déclaration constitutionnelle provisoire ». En raison de la guerre civile qui secoue le pays depuis 2014, il n’y a encore jamais eu de consensus autour d’un texte fédérateur qui poserait les jalons d’un nouvel état libyen réunifié. Par ailleurs, du point de vue sécuritaire, l’absence d’une armée centralisée renforce le chaos sécuritaire dans lequel la Libye se voit embourbée. Enfin, d’un point de vue sociétal, l’on peut affirmer que le contrat social en Libye est assurément rompu, car,du fait de l’absence d’un projet de société fédérateur, la société civile s’en voit profondément clivée et fragilisée.

Ainsi, il s’agit là d’autant de facteurs qui apparentent la situation Libyenne à un écheveau bien difficile à démêler. Le chaos dans le pays est tel que de nombreux Libyens sont pris d’une nostalgie rampante… de l’ère Kadhafi !

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