Le Maroc face à ses démons intérieurs

Il est des moments dans la vie de notre pays qui ont la ca­ractéristique de nous réveiller plus ou moins brutalement de l’apathie qui est à vrai dire, si l’on ne prend garde, notre exer­cice préféré. Tant il est vrai que le confort et la facilité nous engoncent chaque jour plus dans la douillette certitude du « tout va bien » ! Oui, en effet, on peut se rassurer en dépit des doutes qu’il fait bon vivre dans notre cher Maroc, notre système politique, plus ou moins à l’abri des spasmes, des crises voire des bouleversements nous offrant un modèle d’existence qui fait pâmer d’envie et même de jalousie bien des peuples…

On peut aussi se prévaloir de ce « modus vivendi » politique et social que nous édifions depuis la Libération du Maroc, non sans nous heurter à di­vers obstacles intérieurs et extérieurs, les premiers tenant à la course au pou­voir, les seconds aux défis imposés à notre pays. Nous sommes confrontés de nos jours à un débat crucial que l’on pourrait dénommer « la guerre des consciences » ! Ce débat – qui n’existe pas à vrai dire – est mené avec nous-mêmes, en nous-mêmes, car nous le vi­vons dans son âpreté même, pour peu que l’on soit sensible aux souffrances des autres, et que l’on soit doué d’une conscience humaine.

Le Maroc est un modèle original de démocratie, celle-ci ne ressemblant à aucune autre, taillée dirions-nous sur mesure dans une succession de plis et d’épreuves. Monarchie exécutive, dé­mocratique, «constitutionnelle, sociale et parlementaire» disait feu Moulay Ahmed Alaoui, elle est au coeur de la transformation permanente du Maroc. Les rhéteurs occidentaux ou autres n’ont eu de cesse de se demander comment peut-on concilier le modèle monarchique avec la modernité démo­cratique. Et comment ce pays, appelé autrefois par un mésusage sémantique Empire Chérifien, résiste-t-il aux vents tapageurs qui ont fait et défait bien des régimes ? Les cinq ou six puissances du début du siècle dernier – France, Angleterre, Allemagne, Russie, Es­pagne entre autres -, réunies dans la triste Conférence coloniale à Algésiras en 1906, s’étaient acharnées – quelle piètre boulimie – contre notre pays pour le morceler, le partager en zones d’influence, lui taller des croupières et l’occuper enfin quarante-trois ans durant. Le Maroc est l’un sinon le seul rare pays qui a subi deux occupations coloniales de son territoire, une fran­çaise et une autre espagnole, qui en­suite s’est trouvé obligé de négocier avec deux puissances coloniales. Et avec l’Espagne par deux fois, la li­bération échelonnée et complexe de Sidi Ifni et Tarfaya, ensuite celle des provinces sahariennes.

Jamais décolonisation n’aura été aussi injuste, parce que fragmentaire, léonine et machiavélique à la fois . La France a pris possession de vastes ter­ritoires du sud-est marocain – Saoura, Bechar, Tindouf, Kenadssa – et les a offerts à l’Algérie en 1962, faisant au Maroc le bras d’honneur…L’Espagne, pour sa part, s’est accaparé le Sahara marocain dans les années 1890 et s’y est installée définitivement en 1930, bravant la Loi internationale et la com­munauté des pays d’Europe empêtrés dans la guerre contre la nazisme qui, rappelons-le, avait fait de Franco son allié dans le sud…

Dans ce spectral valet d’événements plus ou moins tragiques qui ont estam­pillé un siècle sanglant, tantôt lents, tantôt précipités, le Maroc a conser­vé son identité, il a défendu becs et ongles ses valeurs et ses traditions. Il était constamment au défi, de l’emprise coloniale dont il s’est libéré, de la pré­servation de sa dignité et de la protec­tion de son modèle monarchique. Nous y voilà, car la monarchie marocaine, outre le socle historique et immémorial de notre pays, a été le vecteur de la lutte contre le colonialisme et du pro­cessus de libération nationale. Au coeur de l’épreuve collective, le Roi du Ma­roc a constitué le miroir identitaire du peuple, aux prises avec les difficultés, incarnant tour à tour la résistance et le modèle de solution. Le 20 août 1953, le Roi Mohammed V a subi l’épreuve la plus inhumaine de sa vie lorsque le gouvernement français l’accula à l’exil, dans un déchirement que l’histoire ne pardonnera pas.

Au mois de novembre 1955, il aura eu raison en revanche de l’adminis­tration coloniale, incarnée par des militaires chamarrés, et libérera son pays. Son premier discours à la Nation le 18 novembre 1955 exalta la démo­cratie, la liberté, le pluralisme et le multiconfessionnalisme. C’est dire déjà la vision prospective d’un Roi qui venait d’hériter d’un champ de ruines colonial. Comme un socle planté, ce programme constituera depuis lors la doctrine, le corps de principes et de valeurs de la longue marche du Maroc pour la démocratie et la liberté. Les augustes successeurs du Roi Moham­med V que sont le Roi Hassan II et le Roi Mohammed VI n’ont pas dérogé à cette exigence démocratique, ils se sont d’emblée inscrits dans le droit fil du progrès – ce terme que d’aucuns semblent à présent tourner en déri­sion -, et de l’édification d’un Etat de droit.

On ne se paye pas de mots ici, ces concepts disent bel et bien ce qu’ils veulent dire, ils sous-tendent une phi­losophie de pouvoir qui a façonné le visage du Maroc et qui, jusqu’à nouvel ordre, l’a hissé au rang des démocra­ties modernes et exemplaires. Le chan­tier des droits de l’Homme a constitué l’une des priorités du nouveau règne, non qu’elles fussent – comme certains le croient – imposées sous la pression de quelques pays ; mais parce que le Roi Mohammed VI, dès son accession au Trône en juillet 1999, et bien avant , inscrivait sur le fronton de son action la question des droits de l’Homme comme une exigence suprême. Il en était d’au­tant plus convaincu que la décision de la régler constituait l’une des premières et audacieuses ruptures avec le passé.

Pourtant, au nom de quelque ar­chaïsme que ce soit, on ne saurait venir démolir en un tour de main l’édifice que l’on a mis 60 ans à construire, et qui a nécessité des sacrifices et des boulever­sements pour ne pas nous alerter au­jourd’hui contre un certain aventurisme qui ne dit pas son nom, mais qui annonce sa couleur. Et dont les scénaristes, tout à leur irascible volonté de rempiler, s’apprêtent à nous rejouer leur « Pièce obscure » pour reprendre le titre du livre que Isaac Rosa vient de publier.

Le 7 octobre prochain , quelque 16 millions d’inscrits sur les listes pour voter, s’exprimeront pour choisir leurs représentants au Parlement. L’exercice du vote est libre, conscient et réfléchi, c’est un droit comme aussi un devoir civique et participatif. Chaque citoyen, en âme et conscience, fera le bon choix en fonction de ce qu’il estime convain­cant à ses yeux. Nul mieux que le Roi Mohammed VI n’exprime l’appel au ci­visme citoyen pour accomplir ce devoir incontournable et démocratique qu’est le vote . Dans son dernier discours du Trône, le Roi Mohammed VI invitait le peuple à son devoir ainsi : «Je lance un appel à tous les électeurs pour qu’ils écoutent leur conscience et gardent à l’esprit l’intérêt de la Nation et des ci­toyens au moment du vote, loin de toute autre considération, de quelque nature qu’elle soit. J’invite aussi les partis po­litiques à présenter des candidats rem­plissant les conditions de compétence et d’intégrité, et animés par le sens des responsabilités et le souci de servir le citoyen. »

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