La migration, capital immatériel pour les pays d’accueil … Cas de la France

Par Abdellah Boussouf

Tenir à propager les valeurs du vivre-ensemble et les principes universels de coexistence et rap­peler avec insistance que la migration est une valeur ajoutée pour les pays d’ac­cueil, en particulier pour les pays occi­dentaux, ne sont pas des actions vaines mais des vérités qui jalonnent l’histoire de l’humanité et qui représentent le visage lumineux du phénomène de la migration et du voyage.

Pour peu que l’on ne soit pas accusés de fanatisme ou de parti pris et de marteler, sans cesse, les vertus de nos voyageurs, comme Ibn Battouta qui a fait connaître la civilisation de la Chine, à l’époque, mé­connue dans le monde, et transmis une connaissance considérable sur l’Eglise copte de l’Egypte au Maroc, ou encore Hassan Al Wazzane, dit Léon l’africain, qui a enseigné la langue arabe au Vatican ou plusieurs autres voyageurs marocains, dans leurs chemins à la Mecque, à Mé­dine ou à Al Qods, comme Mohammed Al-Abdari Al-Hihi (1289) et Abdellah Ben Mohammed Al Ayachi (1663) … Nous avons encore plus, aujourd’hui, la certitude, et nous le disons à haute voix, que la migration est une valeur ajoutée pour toutes les sociétés d’accueil, un levier pour les valeurs universelles du vivre-ensemble. Elle constitue même un capital immatériel pour ces sociétés. Une histoire et un patrimoine humain que les faiseurs de haine et instigateurs de la peur et du désespoir n’ont pas pu détruire, et qui restent, malgré les différences de nos orientations intellectuelles ou philo­sophiques, des vérités absolues.

Ecrivains, hommes de Lettres et ar­tistes vivent, même après leur mort, à travers leurs oeuvres et leurs idées alors que la plupart des morts se taisent car ils ont, de leur vie, sûrement tout dit. Ceux qui ne meurent jamais sont ces poètes et écrivains qui continuent de discuter et de participer aux débats à travers leurs mots et leurs idées ; comme l’illustre écrivain hollandais Cees Nooteboom dans son oeuvre «Tumbas, tombes de poètes et de penseurs», 2007 (traduit du néerlandais par Annie Kroon).

C’est pour toutes ces raisons que le bataillon des faiseurs de haine et de la peur, dont le cheval de bataille est d’ac­croître la tension sociale et les crispa­tions religieuses en France, comme Eric Zemmour, Michel Houellebecq ou Alain Finkielkraut, n’a pas pu toucher «l’huma­nité» de la société française, à laquelle ont contribué tous ces immigrés, Spahis, Goumiers, réfugiés…

Il suffit pour cela de revoir la liste de tous ces écrivains, philosophes et artistes qui occupent les avenues et rues de Paris, capitale des lumières, comme Saint-Ger­main-des-Prés, le célèbre Montparnasse, Montmartre … où ont vécu les noms de Picasso, Joan Miró, Manuel Ortiz, André Gide et bien d’autres.

Philippe Soupault et Fano côtoyaient Bach et Chopin dans les rues de Paris, la ville des droits de l’Homme qui jouit de ce vent de liberté qui a attiré vers elle près de 30.000 réfugiés en 1935, dont la plupart étaient des artistes et écrivains inspirés dans les cafés littéraires parisiens, comme le Café de Flore, le Café de la Rotonde, la Brasserie Lipp ou la Close­rie des Lilas et autres scènes artistiques et intellectuelles où se rassemblaient les grands philosophes de renom comme Jean-Paul Sartre et sa compagne poète et écrivaine Simone de Beauvoir, Albert Camus, des poètes comme Trotsky, De Beaumont, des artistes-peintres comme Daiso Wool … Même après la seconde Guerre mondiale, des soldats et écrivains américains ont rejoint Paris, comme Ernest Hemingway et d’autres artistes en quête d’inspiration et de nouveau, comme pour le Jazz avec Duke Ellington ou Boris Vian …

Toutes ces pointures intellectuelles, phi­losophiques et artistiques ont contribué à enrichir l’imaginaire collectif de la société française, considéré comme un patrimoine humain mondial, et créé des écoles dont les idées sont toujours à l’ordre du jour car tous ces intellectuels ont conquis le monde en gagnant Paris, ville des lumières, de l’ouverture et de la liberté … Ils ont animé les espaces de théâtre, d’art plastique, de cinéma et de chant, ont créé des rédactions, des journaux, des magazines… Ils ont fait de Paris et de ses rues des sanctuaires pour les amoureux de la paix, de la créativité et de l’art et ont contribué, par leurs idées, à construire l’opinion publique et à l’orienter … C’est pour tout cela que Paris a mérité de devenir la Capitale des lumières.

Contenir tous ces philosophes, écri­vains et artistes d’envergure interna­tionale a été le plus grand investisse­ment que la France a entrepris. Elle a ainsi contribué à former ses élites et à influencer les parcours de ses intellec­tuels et politiciens … Pour tout ceci, on peut considérer Eric Zemmour, Michel Houellebecq et leurs dérivés comme des «nains intellectuels» dont le seul objec­tif et de fracturer le commun humain et de semer le doute dans la profondeur universelle et la valeur ajoutée des mi­grants, des phénomènes sonores dans les programmes médiatiques soutenant des courants politiques extrémistes, loin de servir la société multiculturelle. Pour tout ceci, il sera peu probable qu’ils trouvent leur place au Cimetière du Montparnasse à Paris, où reposent les âmes des grands philosophes et intellectuels.

C’est sur les quais de la Seine, où des militants sortis des rangs de la mani­festation du Front national, un 1er mai 1995, ont assassiné le Marocain Brahim Bouarram, que les bouquinistes ou «les libraires de la Sein» prennent place pour redonner vie aux valeurs universelles et au savoir auquel ont contribué les habi­tants du Cimetière du Montparnasse.

C’est aussi à Montparnasse que les immigrés ont vécu la souffrance du ra­cisme et de la violence. On se rappelle le massacre du 17 octobre 1961, quand la police française a attaqué, sous les ordres de son préfet Maurice Papon, une manifestation pacifique dans les rues de Paris pour dénoncer le couvre-feu raciste, imposé quelques jours plus tôt, aux Ma­ghrébins, faisant des victimes marocaines et algériennes par milliers … !

Mais les forces vives de la France, élites intellectuelles, hommes politiques et syndicalistes ont soigné les plaies de toutes ces victimes quand ils ont, offi­ciellement, reconnu le caractère raciste et discriminatoire de ces évènements, en érigeant sur les quais de la Seine, deux tableaux à leur mémoire à Montparnasse. Le grand artiste de la chanson marocaine Abdelouahab Doukkali a aussi chanté en leur mémoire «Montparnasse», où il dit «A Montparnasse est mort mon frère, cher père».

Montparnasse, c’est aussi le Quartier latin, le quartier de l’art, des lettres et de la philosophie, où le tumulte de la curiosité de la connaissance et du savoir l’emporte sur le tumulte provoqué par les courants extrémistes qu’ils soient politiques ou intellectuels.

Ce n’est pas uniquement à Paris, mais dans toute la France, que les immigrés et réfugiés ont laissé les empreintes de leurs lumineuses contributions à la construc­tion de la gloire et du rayonnement du patrimoine intellectuel et architectural de l’Héxagone, et ce n’est heureusement pas une poignée d’extrémistes qui pour­ra souiller l’imaginaire collectif français par la haine et le désespoir. Les pion­niers des cafés littéraires à Montparnasse continueront à demander le Filet de boeuf «Hemingway» et le Cimetière du Mont­parnasse sera pour toujours le témoin du plus glorieux investissement culturel et intellectuel que la France a entrepris quand elle a accueilli migrants et réfugiés des quatre coins du monde, au début des années 1930.

La France, défenderesse du principe du vivre-ensemble et de la séparation des pouvoirs religieux et politique, a donné un signal fort en faveur de la réconci­liation de la mémoire collective et de la coexistence. Elle a défini son choix so­ciétal à travers des initiatives considérées comme le gage politique et humain du nouveau locataire de l’Elysée, M. Emma­nuel Macron (8e Président de la 5e Répu­blique, depuis sa fondation par le Général De Gaulle, en 1958), quand ce dernier a déposé une gerbe de fleurs sur le quai la Seine en hommage à Brahim Bouarram, poussé du Pont du Carrousel par des mi­litants de l’extrême droite en 1995 … Il en a fait de même, pour que l’image soit plus complète, le 14 mai 2017, lors de son investiture en la présence de plusieurs représentants des communautés musul­manes et de Français d’origine étrangère. Ceci est la preuve de la reconnaissance de la valeur ajoutée de tous les migrants et de leur rôle dans la stabilité et la paix sociale, en tant que leviers pour le développement et la prospérité.

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