La nouvelle donne au Moyen-Orient

Par Gabriel Banon

On parle souvent de l’ordre mondial, on écrit beaucoup sur « le nouvel ordre mondial ». C’est une phraséologie qu’on accepte, sans trop se poser de questions. Un véritable ordre mondial n’a jamais existé. Comment croire à un ordre mondial, dans un monde divisé par les divergences de l’histoire des peuples, par la multitude des conflits, l’inégalité des richesses, l’accélération des nouvelles technologies et enfin le renouveau de l’extrémisme idéologique et religieux? En réalité, chaque grande puissance exerce son autorité sur un certain nombre de nations. Elle définit sa propre conception de l’ordre, sur son espace d’influence. L’ordre mondial est, en fait, une succession d’hégémonie de grandes puissances à leur apogée. Les Etats-Unis d’Amérique ont dominé une partie du monde, lui imposant son système économique et son style de vie. Les « alliés » ne sont qu’un petit nombre d’Etats qui bénéficient d’une liberté de gestion. Liberté qui s’arrête à la stratégie géopolitique, sous couvert de la défense du monde libre. Suite à la conférence de Yalta, les pays de l’Est échappaient à cette suprématie en subissant celle de Moscou, conformément à l’accord établi entre Franklin Roosevelt, le président américain et Staline, le Dictateur de toutes les Russies. La Chine, alors, était encore absente du jeu mondial, pas pour longtemps. L’implosion de l’URSS, le réveil de la Chine, l’émergence dans l’échiquier mondial de pays comme l’Inde, le Brésil, la Mondialisation des échanges et de l’information, ont rebattu les cartes et donné naissance à d’autres zones d’influence. La course au pouvoir n’utilise plus la force armée seulement, mais l’économie, la finance, l’internet et la religion. Force est de constater que l’ONU est quasiment revenue à sa paralysie du temps de la guerre froide, après avoir été bafouée par trois fois. En 1999, par l’OTAN, en Yougoslavie, en 2003 par les Etats-Unis en Irak, en 2011 en Libye, par les Occidentaux, au grand dam de la Russie. Par ailleurs, la guerre idéologique économique est terminée, l’ensemble des Etats de la planète ont adopté, chez eux, l’économie de marché. En matière de commerce extérieur, l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) a pris le relai du Gatt (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). On n’est pas devant un Nouvel ordre mondial, mais une nouvelle distribution des cartes, qui n’a pas encore dit son dernier mot. La puissance, qui reste encore un grand acteur, est sans conteste les Etats-Unis d’Amérique. La Chine, qui s’est hissée au premier rang mondial, en tant que puissance économique, challenge Washington dans son rôle de superpuissance. Barack Obama, dès ses premiers entretiens avec Xi Jinping, le président chinois, a vite compris qu’il n’était pas question de coopération ni de partage, mais d’une volonté chinoise de prendre la place des Etats-Unis dans l’échiquier mondial.

Par cet accord, Washington s’était engagé à assurer la protection de la famille Saoud et du royaume wahhabite, en échange d’une garantie d’approvisionnement énergétique des Etats-Unis. Pendant longtemps, la stabilité de l’Arabie saoudite et par extension, de la péninsule Arabique, a fait partie des intérêts vitaux des Etats-Unis.

La politique étrangère américaine a été, pendant des décennies, facile à décrypter : la sécurisation des sources d’approvisionnement en pétrole. Ceci aura amené les américains à des alliances contre nature, comme le pacte de Quincy, du nom du navire de guerre américain, où a eu lieu la rencontre, le 14 février 1945, entre le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume d’Arabie saoudite et le président américain, Franklin Roosevelt. Par cet accord, Washington s’était engagé à assurer la protection de la famille Saoud et du royaume wahhabite, en échange d’une garantie d’approvisionnement énergétique des Etats-Unis. Pendant longtemps, la stabilité de l’Arabie saoudite et par extension, de la péninsule Arabique, a fait partie des intérêts vitaux des Etats-Unis. Depuis, l’Amérique est devenue le premier producteur de pétrole du monde. On assiste alors à un véritable renversement des alliances, découlant de la réorientation de leur stratégie géopolitique. Le basculement de la stratégie va être vers le Pacifique, accompagné d’un désengagement au Moyen-Orient et une sous-traitance des conflits, aux Français et aux Anglais, pour la Libye et à la Russie pour la Syrie. Obama ne considère pas le conflit d’Ukraine comme un danger pour l’Amérique, pas plus DAECH comme un danger existentiel pour Washington. Ceci explique son peu d’empressement à s’engager d’une façon efficace contre l’Etat islamiste. Doit-on penser qu’il croit la coalition menée par l’Arabie saoudite, capable de venir à bout des forces d’Abou Bakr Al Baghdadi ? On peut raisonnablement en douter quand on voit l’enlisement de l’armée saoudienne au Yémen. Depuis qu’il est à la Maison Blanche, Barack Obama n’a eu de cesse de réorienter la politique étrangère américaine. Au Moyen-Orient, ses priorités sont devenues, le nucléaire iranien, l’existence d’Israël et la menace d’Al Qaida. Il existe, aujourd’hui, aux USA, une vraie remise en cause du rôle que les Etats-Unis ont à jouer sur la scène internationale. Obama n’hésite pas à déclarer que « Son pays n’a pas vocation à sauver toute la misère du monde » Le désengagement américain, le retour gagnant de la Russie sur la scène internationale, le retour de l’Iran dans le concert des Nations, ont bouleversé la donne au Moyen-Orient. Le vide créé par le retrait américain, a ouvert la course au leadership régional. Trois puissances, d’inégale valeur, avancent leurs pions : l’Arabie saoudite avec 28 millions d’habitants, la Turquie avec 79 millions d’habitants et l’Iran avec 81 millions d’habitants. L’Arabie saoudite se veut le leader naturel du monde Sunnite. Elle s’oppose frontalement à l’Iran, chef de file incontesté du monde Chiite. Mais l’Arabie Saoudite paye, aujourd’hui, sa politique malthusienne. Elle a donné la priorité à son action de répandre le Wahhabisme dans le monde, au détriment du développement du pays. Il en résulte un retard dans les infrastructures, une organisation industrielle inexistante, une société sous tension, une armée « d’opérette » qui n’arrive pas à venir à bout d’une sédition au Yémen. Ceci relativise les déclarations de Ryad à vouloir mener une coalition contre DAECH, et enlève de la crédibilité à ses ambitions.

Depuis qu’il est à la Maison Blanche, Barack Obama n’a eu de cesse de réorienter la politique étrangère américaine. Au Moyen-Orient, ses priorités sont devenues, le nucléaire iranien, l’existence d’Israël et la menace d’Al Qaida.

Le deuxième prétendant, la Turquie, aurait pu être le leader légitime du Moyen Orient. Recep Tayyp Erdogan, fort de ses victoires électorales successives, de son économie, de son appartenance à l’OTAN, de sa candidature à l’entrée dans l’Union Européenne, aurait pu être l’homme de la situation. Mais il s’est perdu dans une politique ambiguë vis-à-vis de DAECH et du conflit syrien, obsédé par le problème Kurde. Le président Erdogan, par ses dérives autoritaires, par son action à l’intérieur, faisant fi des règles élémentaires de la démocratie, a perdu une grande part de sa crédibilité. Après avoir abattu un bombardier russe, et s’être vu refuser l’assistance de l’OTAN (organisation de défense et non d’aventures), en délicatesse avec la Russie (Poutine n’oubliera pas), la Turquie se trouve isolée dans ses désirs de leadership. Le troisième candidat, l’IRAN, fort de son accord nucléaire avec les pays occidentaux, de l’appui de Washington, va être vraisemblablement le pays dominant au Moyen Orient. Véritable puissance économique et militaire de la région, l’Iran n’a jamais abandonné l’ambition du leadership du monde chiite. Elle a récupéré les moyens de sa politique grâce à l’accord nucléaire. Elle est en opposition frontale avec l’Arabie saoudite et dans une moindre mesure, avec la Turquie qui veut le départ d’Assad et l’éradication des Kurdes, fussent-ils chiites. Mais ces trois puissances doivent tenir compte d’un nouveau-venu, d’ors et déjà acteur incontournable dans la région : la Russie. Poutine ne cache pas ses objectifs. Il veut que la Russie retrouve sa grandeur et reprenne sa place dans le monde arabe. Il a mal vécu l’implosion de l’URSS. Il ambitionne de jouer un rôle dans ce monde arabe en ébullition, acteur majeur, en Syrie, et plus largement, au Moyen-Orient. Le message a été reçu 5/5 par les responsables politiques. On remarquera les visites, à Moscou, des différents responsables israéliens et palestiniens, sans oublier ceux du pays du Golfe. L’Arabie saoudite ainsi que les Etats du Golf sont, aujourd’hui, à la recherche d’alliances qui surprendront plus d’un. La Turquie, profitant de la crise des «Migrants» va essayer de forcer la porte de l’UE. L’Iran, les mois passant, va accentuer ses efforts en vue de rassurer les Occidentaux. Elle a besoin de l’appui ou, au moins, de la neutralité des Américains pour mener à bien son leadership. Elle est devenue un acteur clé en Irak, en Syrie et au Liban, avec la bénédiction de Washington. Les Européens fermeront les yeux sur les dérives du régime des Mollahs pour des raisons économiques. L’Iran est un grand marché, aujourd’hui, devenu solvable. Après l’aventure syrienne, on va assister à une ré- organisation des alliances. Israël, courtisé par les Etats du golfe, reprend, d’ores et déjà, ses relations diplomatiques avec la Turquie. Progressivement, on assistera à un rapprochement Téhéran/ Jérusalem. Ceci s’explique en grande partie par l’action, en coulisses, de Washington et le fait qu’Israël, dotée de l’arme nucléaire, est une puissance militaire de niveau mondial. Son armée, 10ème du monde, est la première au Moyen-Orient. Cette redistribution des cartes au Moyen-Orient va exacerber les luttes interarabes qui vont nuire à son union. Et celle-ci sera nécessaire si le monde musulman veut profiter de l’agonie de l’Union européenne et de la baisse d’influence des Etats la composant. Quelque soit le devenir du Moyen Orient, il continuera à s’agiter sous le regard attentif des Etats-Unis. La « PAX AMERICA » n’est pas encore morte et la Chine n’est pas prête à prendre le relai.

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