La réforme de la Caisse de compensation, un éternel recommencement ?

Par Alaoui Bensaid Hicham

Créée en 1941, sous le Protectorat, très précisément par un dahir daté du 25 février 1941, la Caisse de compensation est un établissement public initialement établi dans une logique de subventionnement des produits de base, qu’il s’agisse d’hydrocarbures, de sucre ou encore de farine. Refondu en profondeur en 1977, au lendemain des 30 Glorieuses, de manière à accompagner le développement du Maroc moderne dans un environnement socio-politique, est-il besoin de le rappeler, extrêmement chargé, cet organe a, de fait, connu les feux de la médiatisation au début des années 1980, notamment dans un contexte de Plan d’Ajustement Structurel (PAS), induit par une forte pression (déjà) du Fonds Monétaire international et de la Banque Mondiale. Là où des années de sécheresse (tiens!) avaient induit une hausse marquée des prix de la farine, de l’huile et du blé, dont le subventionnement par la Caisse de compensation ne semblait plus possible à l’époque, du moins dans des ordres de grandeurs permettant la stabilité des agrégats sociétaux.

 C’est dans cette logique que la Caisse de compensation a été revêtue d’un surplus de légitimité dès les années 1980, tant elle semble garante d’un équilibre sociétal de fait. Par voie de conséquence, point de surprise à escompter de la structure même des organes de gouvernance de la Caisse de compensation, dont le président du Conseil d’Administration n’est autre que le Chef de Gouvernement. Ainsi dotée de prérogatives plus élargies, souvent perçue, consciemment ou inconsciemment, comme gage des équilibres sociétaux, la Caisse de compensation a vu son fonctionnement révolutionné en 2014, à travers la fin du subventionnement de l’essence, puis, plus en amont, en 2015, du fait de la fin du subventionnement du gasoil. De manière à en saisir davantage les tenants et les aboutissants, considérons l’exemple illustratif ci-après : soit 1 litre de gasoil traité sur les marchés internationaux à une valeur de 100, mais que l’Etat marocain souhaite, justement dans une logique de préservation des équilibres sociaux, commercialiser à 60. Le différentiel (de 40) était jusqu’à sa réforme supporté par la Caisse de compensation, dont la finalité était, de ce fait, la commercialisation à prix soutenu d’un produit de toute première nécessité, car sécurisant, entre autres, le transport public de voyageurs et le chauffage des foyers, notamment les plus modestes.

La Caisse de compensation a ainsi pesé récemment des dizaines de milliards de dirhams (plus de 30 milliards en 2008, plus de 50 milliards en 2012…), soit des montants bien substantiels comparativement au Produit intérieur brut du pays – qui se situe pour rappel autour des 1.000 milliards de dirhams. En d’autres termes, et pour mieux illustrer le propos, 50 milliards de dirhams ne correspondent ni plus ni moins qu’au budget d’investissement de l’Etat, et encore, lors des bonnes années… La fin sus-évoquée du système de subventionnement des hydrocarbures a eu, à court terme, des effets drastiques sur la structure des coûts de la Caisse de compensation, puisque, d’un coût de 43 milliards de dirhams en 2013, soit 4% du PIB, la charge supportée par cet organe est passée aux alentours des 11 milliards de dirhams en 2015 et 2016, dont les 2/3 affectés au subventionnement du gaz butane et le tiers afférent à la farine et au sucre. Toutefois, quelque révolutionnaire que fût la refonte de la Caisse de compensation, l’impact sur le consommateur final, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entrepreneurs, fut somme toute cantonné à la portion congrue, tout simplement car le «timing» de la réforme coïncida, assez heureusement, avec une baisse des prix des produits pétroliers à l’international, avec plusieurs raisons sous-jacentes à cette déflation (disponibilité du produit sur les marchés mondiaux, cohésion perfectible des principaux producteurs, notamment les pays de l’OPEP, développement du gaz de schiste comme relais de croissance…).

Mais justement, que risque-til de se passer à l’avenir ? Sans user d’extrapolation irréalistes, il est assez probable que les cours des hydrocarbures reprennent à moyen terme à l’international, que cela soit induit par les récents accords des pays de l’OPEP tendant à la réduction de la production mondiale ou à l’émergence ici ou là de guerres ou de tensions diplomatiques pouvant réduire mécaniquement la production. Dans une telle logique, l’impact de la fin du subventionnement des hydrocarbures, non ressenti sur notre marché du fait d’une atonie des cours à l’international, risquerait de marquer (et a fortiori, avec effet multiplicateur) de son empreinte le quotidien des Marocains une fois les prix repartis à la hausse, ce qui pourrait intervenir autrement plus vite que prévu.

Bien plus, si se confirme l’annonce faite, entre autres organismes de tout premier plan, par Bank Al Maghrib, visant à une flexibilité à terme du dirham, qui serait ainsi libéré d’une indexation somme tout artificielle sur les étalons internationaux (euro et dollar), une dévaluation de notre monnaie serait alors quasi-inéluctable, s’agissant de la monnaie de la 61e économie mondiale et d’un pays importateur net. Or, une telle dévaluation contribuerait à coup sûr à renchérir la facture des hydrocarbures, puisqu’une baisse de la valeur de notre monnaie aurait certes pour impact une dynamisation de nos exportations (qui coûteraient moins cher pour leurs acquéreurs en devises) mais générerait également, de manière mécanique, une augmentation du coût des importations. Formulée différemment, la situation actuelle induit donc deux risques majeurs de surenchère de la facture énergétique : un impact «prix» à l’international, mais aussi et surtout, un impact «change», en notant le caractère quasi-acquis du second sitôt implémentée la flexibilité du dirham.

Et c’est en toute logique qu’un certain nombre de problématiques, intimement liées, semblent émerger. La fin de la compensation des hydrocarbures, révolution silencieuse en son temps, car coïncidant avec des cours bas à l’international, ne risque-t-elle pas de se transformer en tempête autrement plus menaçante dans les années à venir ? Les temps politique et économique, souvent qualifiés d’irréconciliables, ne risquentils pas d’avoir contribué à flatter le bilan d’un gouvernement en place mais d’avoir jeté les germes d’une révolte croissante devant être gérée et régulée par son successeur ? A force de vouloir trop plaire au FMI et à la Banque Mondiale, ne risque-ton pas de jeter aux orties des années de réformes structurantes ? Question subsidiaire numéro 1 : l’économie réalisée du fait de la décompensation des hydrocarbures semble-t-elle avoir été utilisée à bon escient ? Question subsidiaire numéro 2 : gagner 1% de PIB supplémentaire, quitte à décompenser la farine et le sucre, semble-il un choix sensé? Autant de questionnement recevables qui méritent réflexion et débat…

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