Société civile : quel engagement pour une action citoyenne solidaire?

Dossier du mois

Témoignages de membres actifs de la société civile et du monde associatif

Françoise Bastide, Ancien Maire Adjoint de Cannes, Titulaire d’un Master en Politique de la Ville et Sciences de l’Education

Merci à Maroc diplomatique de me donner la parole sur la Renaissance de la Société civile au Maroc. Il me paraît utile de revenir aux sources pour que le lecteur puisse trouver du sens aux grands mouvements traversants auxquels il assiste ou participe.

Je rencontre régulièrement un certain nombre d’hommes politiques ou de décideurs sur le terrain et je suis, à chaque fois, interpellée de mesurer l’ignorance et le mépris dans lesquels ils tiennent le mouvement citoyen… Au mieux comme une grosse caisse à convoquer pour certaines grandes messes, au pire comme un fourre-tout de gens qui n’ont rien à faire dans l’existence et se mêlent de ce qui ne les regarde pas.

Il est navrant que se préoccuper d’autre chose que de ses propres intérêts soit encore au Maroc du XXIème siècle, considéré avec méfiance voire avec mépris.

En réalité, les pères du concept de Société civile sont de vieux Sages. Le Père fondateur, Aristote naquit il y a 2400 ans. Sa pensée a défini ce qu’est une assemblée sans hiérarchie dominante, différente de l’Etat, et qui peut rassembler des citoyens partageant les mêmes avis.

Le Siècle des lumières dont les racines trempent dans l’Avéroisme qui, en faisant redécouvrir les écrits anciens, a permis le grand mouvement créatif de la Renaissance, est la période où naquit la lame de fond intellectuelle qui conceptualisa le mieux la Société civile, notamment avec John Locke ou Charles de Montesquieu.

Il y était question d’une société, dans laquelle les êtres humains vivent ensemble dans une communauté de citoyens qui ont droit à la parole.

Ces derniers doivent ainsi être libres et autonomes, jouir du droit d’association, et pouvoir décider des questions les plus importantes dans le débat public.

Ils doivent, par ailleurs, être capables de réaliser une cohabitation caractérisée par la tolérance et l’égalité sociale, dans le respect total du droit, mais sans une trop grande pression exercée par l’Etat.

D’après l’Anglais John Locke, il était du devoir de l’Etat de garantir au citoyen l’égalité devant le droit, la liberté, l’intégrité et la propriété. S’il ne se conformait pas à ce principe, les citoyens avaient le droit, au titre de société citoyenne, de se rebeller.

Nous devons nous attarder sur John Locke puisqu’il est le philosophe dont les écrits ont influencé le plus les Constitutionalistes Américains. Cette démocratie Américaine dont le modèle se veut dominant dans le monde aujourd’hui, a eu un formidable analyste avec Alexis de Tocqueville, né à Cannes mais qui avait fait de longs voyages d’études en Amérique. Il est probablement celui qui a le mieux défini les vertus de la Société civile : Il la considérait comme le lieu de naissance et d’exercice des vertus citoyennes, telle que la participation.

Ainsi, pour lui, la Société civile était l’«Ecole de la Démocratie et de la Liberté».

La grande force de la Société civile en fait, est de ne poursuivre aucun objectif visant un quelconque profit personnel mais celui de la Respublica, la chose publique. Grâce à cette idée, la société civile est devenue une instance politique publique, qui observait voire critiquait les agissements de l’Etat pour une amélioration du Bien commun.

C’est donc parfois l’aide, parfois le contre-pouvoir nécessaire à l’équilibre de la vie publique. Son oxygène en quelque sorte.

Pour en venir au Maroc, la Société Civile Marocaine, s’est redécouverte pendant les Révolutions Arabes. Je dis elle s’est redécouverte car il est vrai qu’elle était vraiment née avec le grand mouvement de l’Indépendance et des temps forts comme des soulèvements urbains ou la liesse avec le retour du Souverain Mohammed V d’exil.

Le Mouvement dit du 20 Févier est né très vite et très fort et avant d’être visible lors de manifestations récurrentes, à Rabat ou dans quelques villes, c’est sur les réseaux sociaux que son surgissement a été le plus incisif. Le net devient alors un champ de débondage effarant.

Certains jeunes y exprimaient un malaise mais ils le faisaient souvent avec une telle virulence, une acculturation sur l’histoire, et un sous équipement de langage, qui laissaient libre cours aux pires outrances.

Pour la première fois de leur histoire, les Marocains pouvaient lire des textes publics qui se permettaient de critiquer ouvertement la personne du Roi. Là on touchait quelque chose d’essentiel à l’existence même du pays, et le Maroc a pris peur. Le front intérieur s’est mis progressivement en place. On peut parler les premières années de Bataille rangée.

Certains internautes dont je faisais partie sentant le Pays en danger et au vu de l’impact des réseaux sociaux sur la construction des mouvements de révolte dans les autres pays comme la Tunisie et l’Egypte par exemple, se sont mis à l’avant poste avec des jours et des nuits d’affilés, de dizaines d’heures de présence et de veille, arguments contre arguments à opposer aux révolutionnaires. C’est là que de grands groupes contre-révolutionnaires sont construits comme le Mouvement des Royalistes Marocains, Le MJPM, Mouvement des Patriotes Marocains etc…

Très vite, il nous a paru qu’un encéphale géant pour le Maroc était sous nos yeux en train de se mettre en place, constitué de neurones – ces milliers d’internautes devant leur écran se connectant entre eux grâce aux autoroutes de l’information – et que cet encéphale était en train de donner naissance à une nouvelle pensée générale, ce que les sociologues appellent un changement de paradigme… Parce qu’une manière de pensée vieillit et s’use exactement comme un vêtement. Au regard des vieux Etats/Nations comme le Maroc, cela peut prendre des siècles, avec parfois des périodes fulgurantes d’accélération. Là nous nous sommes trouvés dans un accélérateur de particules. Le meilleur comme le pire pouvait en sortir.

Comme dans toutes les luttes, chacun endosse un rôle. Je me suis donc assignée le rôle de faire connaître l’histoire à nos jeunes Marocains qui ont fini par apprécier ma voix fragile mais convaincue et la dissonance de mon nom au milieu des leurs, y compris lorsque je leur assignais des vérités. Le raisonnement était celui-ci : «Ok, vous voulez détruire…mais vous ne savez même pas ce que vous allez détruire…»

L’exemple de jeunes émeutiers Tunisiens se barrant, immédiatement, après les soulèvements populaires, à l’étranger pour grossir le flot des demandeurs d’asile, m’avait interpellée sur le sentiment d’irresponsabilité citoyenne d’une jeunesse arabe tristement en friche sur ce domaine…

Le but véritable a été, à marche forcée, de construire un citoyen, de définir l’Amour de la Patrie voire de l’exacerber en expliquant la grande histoire marocaine. A titre personnel, j’avais un énorme sentiment de responsabilité, ma famille étant certainement l’une des plus anciennes familles de français installés au Maroc. Alors que je suis grand-mère aujourd’hui, on doit savoir que, enfant, j’allais avec ma grand-mère, entretenir et fleurir la tombe de mes arrière-grands-parents. Six générations depuis 1906, avec ma petite- fille Nil, se sont succédées au Maroc… Cela impose des responsabilités… Le Maroc n’est pas une obligation, c’est un choix. Et ce n’est pas un dû, c’est un don.

Pour qui aime les perspectives, il est facile de mesurer l’impact de l’Occident, en général, au moment des Colonies, et de la France, en particulier, au moment du Protectorat sur ce Pays dont la carte actuelle même, lui est entièrement imputable alors qu’il fut un grand Empire…

Les Américains devraient le savoir puisque tous leurs premiers Présidents ne se sont adressés aux Sultans de cet Empire Chérifien qui fut le premier à reconnaître leur Indépendance, qu’avec ce titre dans tous les courriers diplomatiques : A sa Majesté l’Empereur… Une fois reconquise l’idée historique de la Grande Nation dans l’esprit de nos jeunes, le sentiment de protection du pays s’est mis tout naturellement en place dans le même temps que nous voyions fleurir de grands groupes patriotiques.

L’intelligence Royale de donner immédiatement une nouvelle constitution au pays, a mis en adéquation les attentes et le champ des possibles politiques. Et le lien Roi/Peuple s’en est trouvé encore renforcé.

Les Marocains du monde dont l’éloignement forcé active la nostalgie du pays sont la plus dynamique courroie de transmission de ce patriotisme. Sa Majesté Hassan II ne s’était pas trompé « en dédiant tous les Jeunes nés en Terre étrangère à l’Esprit de la Marche ».

L’esprit de la Marche en résumé, c’est pour la Société Civile, de tout quitter sur simple appel du Roi pour protéger le Pays en danger de morcellement ou de destruction. Lui, Sa Majesté Hassan II, plus que tout autre, connaissait la douleur de l’éloignement forcé.

Son fils, Sa Majesté Mohammed VI, ne fait pas autre chose lorsqu’il fait la tournée de « ses communautés européennes », de ses Sociétés civiles étrangères car – ne nous y trompons pas- la Société civile marocaine de l’intérieur ou de l’extérieur est profondément Monarchiste.

Elle a redécouvert qu’elle était un Empire et qu’elle l’est resté. Et que cet Empire qui réunit des gens aussi différents que des Tangérois ou des Sahraouas du Nord au Sud, des musulmans, des juifs ou des Chrétiens… le fait grâce à un Chérif qui de par sa naissance, son éducation, sa sagesse et sa grande expérience étalée sur 1300 ans d’histoire, les aide à vivre ensemble sans heurts et à s’enrichir mutuellement de leur grande diversité.

Jusqu’à présent, j’ai beaucoup évoqué le Net dans la Renaissance de la Société civile marocaine. Force est de constater que la rue arabe, en général, est synonyme de danger, les débordements y peuvent survenir rapidement et la police les craignant, les anticipe de façon musclée.

Il ne faut donc pas s’étonner si l’activité la plus intense se retrouve sur le net aujourd’hui. On assiste à une véritable métanoïa de la Société civile marocaine sur elle-même avec une prise de conscience des dangers et des défauts récurrents qui affectent l’ensemble du corps social marocain.

Autant la nécessité de se poster en défense pour le pays au moment des Révolutions arabes a activé le patriotisme marocain, autant la connaissance de leur Grande histoire a rendu les citoyens marocains absolument allergiques à l’intrusion de l’Occident sur leurs affaires internes… autant ils sont conscients de l’urgente nécessité de combattre les défauts qui mettent en danger le pays.

Au premier rang, le problème de l’éducation y compris citoyenne, le problème de la transmission des valeurs, de l’exemplarité, le problème de la justice, de la santé…

L’angoisse diffuse de la société civile qui s’exprime çà et là à travers de nombreux groupes d’opinion est le constat qu’entre le Roi, chef suprême et elle, il n’y a pas de véritable corps intermédiaire.

L’offre politique pour pléthorique qu’elle soit, est indigente par rapport aux véritables problèmes de société qui freinent le pays.

Le mouvement associatif dans le réel, n’est pas assez structuré et pas assez transparent.

La haute administration malgré sa compétence indéniable, selon les endroits, désespère les attentes civiles faute d’exemplarité. Et l’administration, tout court, est plus source de difficultés à contourner au quotidien pour les citoyens que de facilitation de leurs démarches.

De grands combats virtuels voient le jour avec des mobilisations qui ont un prolongement sur le réel. Sur les inégalités avec la souffrance sociale, lorsqu’il s’agit de se porter au secours des populations de montagne prisonnières du froid, les distributions de repas au moment du Ramadan, les aides à l’école avec des actions multiples sur le terrain, la défense de l’environnement dont le grand mouvement de prise de conscience écologique est né du désastre de pollution de la Moulouya, la libéralisation des moeurs, l’avortement, la spoliation immobilière, la santé…sur tous ces sujets, la Société civile marocaine est leader, aujourd’hui, en terme de débats et de pensée.

Il est logique qu’elle se retrouve associée avec Sa Majesté le Roi, garant des intérêts suprêmes du Pays et qu’elle fasse appel à Lui lorsqu’elle considère que les choses ne vont pas assez vite.

Le constat est que l’inertie politique et administrative à résoudre les problèmes qui affectent gravement la Société, font prendre au Maroc un dangereux retard. Cette inertie dilapide le bénéfice de stabilité accumulé pendant les destructions des révolutions arabes. Elle aura un coût dommageable pour tous.

En résumé, la Grande crise qui a secoué les pays arabes dans le monde, si elle a été surtout destructive ailleurs, chez nous, elle a été très instructive.

Il en est né un formidable gisement de consciences citoyennes substrat de la Société civile aujourd’hui.

Il y a fort à parier que c’est dans ce riche terreau que le Roi, lorsque naîtront d’inévitables difficultés, puisera à l’avenir ses plus fidèles et sincères alliés.

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