«Touche pas à mon prof!» L’école ou la guerre civile entre élèves et professeurs  

Ce samedi 21 mars, le corps enseignant est mis derrière les barreaux par le ministre de l’Education nationale !

Akhbar Al Yaoum, dans son numéro du lundi 23 mars, rapporte que Rachid Belmokhtar, en charge de ce département depuis deux ans, a manifesté son regret de « la situation déplorable et catastrophique » du système éducatif au Maroc où « 76% des élèves ne maîtrisent ni la lecture ni l’écriture après les quatre premières années de leur scolarité». En revanche l’école, rappelons-le, absorbe l’un des plus importants budgets de l’Etat à savoir 27%. Au cours d’une conférence organisée samedi à Salé à l’occasion de l’inauguration du nouveau siège du Centre culturel Abou Bakr Kadiri, le ministre a brossé un tableau des plus sombres –image ô combien vraie d’ailleurs- de l’école marocaine où, selon lui, on n’enseigne que des « futilités » ! Sauf que la question qui se pose est : qui décide de ces programmes scolaires futiles voire abêtissants? Ce ne sont tout de même pas les enseignants ! et pourtant et d’après Rachid Belmokhtar, l’origine de la dégradation alarmante du niveau scolaire est « le niveau de formation et de compétence des professeurs » ! Et voilà qu’on désigne enfin un coupable ! Oui monsieur le ministre, notre système éducatif est au bout de l’asphyxie, il est plus que défaillant mais ce n’est pas à cause des enseignants, c’est plutôt le résultat d’une volonté d’instrumentaliser un secteur censé constituer le socle d’une nation. Le ministre ne devrait-il pas cesser de confondre cause et effet ?

 

Il était une fois l’école marocaine. Il était une fois ce professeur qui avait ce quelque chose de devin, dévoué et engagé pour le bien de ses élèves, conscient qu’il était le flambeau et le faisceau éclaireur des esprits et des voies. Il était une fois des élèves sages, obéissants et reconnaissants à l’égard de celui qui leur prodiguait savoir et valeurs. Et puis, ce beau monde serein se décompose et s’effondre par des mains malveillantes croyant bien faire ou cherchant à nuire à tout un pays.

Nous avons appris à nos enfants qu’ils doivent défendre leur liberté, bec et ongles, mais nous avons oublié de leur dire que trop de liberté tue la liberté. Nous leur avons appris à s’exprimer, à être épanouis, mais nous ne leur avons pas tracé de limites. Nous leur avons appris qu’ils ont des droits, mais nous avons oublié de leur souligner que le respect de l’autre est un devoir, nous avons omis de leur mentionner qu’ils ont des responsabilités aussi.

Qu’est-ce qui a fait que nous en arrivions à ce renversement de valeurs et de mœurs? Nos enfants sont ce que nous faisons d’eux, l’école, la rue et nous-mêmes. Il faut bien se le déclarer : notre éducation est plus que défaillante puisqu’à trois, nous avons modelé un «citoyen» qui violente pour avoir ce qu’il estime être un droit et, en contrepartie, refuse de s’acquitter de ses devoirs. Nonobstant, peut-on pour autant leur en vouloir? Bien sûr que non, à moins qu’on ne veuille se voiler la face.

Toutes les bonnes volontés exigent les moyens de leur détermination. Et pour former un «bon citoyen», il faut bien lui donner un modèle. Or les parents, pris dans la foulée, se trouvent dépassés par les événements et devancés par des aléas qui faussent tout leur travail d’éducateurs. Démissionnaires, ils se voient produire une génération sans repères et sans identité.

Il est bien révolu le temps où parents et enseignants œuvraient pour le même dessein et parlaient le même langage. Aujourd’hui, c’est plutôt un dialogue de sourds-muets.

Aujourd’hui, il semblerait que nous ayons basculé dans un autre monde qui a d’autres règles et d’autres objectifs exigeant de nouveaux rapports avec l’Autre. Se soumettre aux règles du collectif devient alors compliqué et des tensions binaires apparaissent partout et surtout entre professeurs et élèves. Les rapports entre «parents, enseignants et élèves» finissent par prendre la forme de ce qu’on appelle «un triangle dramatique» comme si l’intérêt n’est plus le même. L’école est au fond une zone de non-droit, où chaque acteur a, comme qui dirait, sa propre logique.

Force est de constater que, de nos jours, l’enseignement est, de moins en moins, sacralisé et à plus forte raison les enseignants, tout à l’image de «l’école de qualité» dont ne cesse de parler le ministre de l’Éducation nationale pour qui l’enseignant serait le signataire de toutes les tares et défaillances de notre système éducatif!

L’école, puisque c’est d’elle qu’il faudrait parler, est passée du sanctuaire du savoir, du respect et de sécurité à un terrain de rivalité, d’antagonismes, d’animosité et de vengeance. L’enceinte de l’école suinte l’agressivité et l’insécurité.

Ce qui est désolant encore plus est qu’on assiste, ces dernières années, avec désarroi et amertume, à un renversement de situation et de valeurs qui fait du «Professeur» l’ennemi juré des élèves! On se demande bien où est cet enseignant modèle, ce messie du savoir et d’apprentissage qu’on guette tous, que grands et petits respectaient pour son métier noble, celui qui changerait le monde avec sa baguette magique ! Et d’ailleurs, qu’attend-on au juste des enseignants?

Ils ont choisi ce métier, dit-on, par vocation ou par défaut – et pourtant on a toujours affirmé que l’enseignement est une vocation, un art, un don, qu’on saurait ou on ne saurait pas enseigner –et donc, ils doivent façonner le monde idéal ! «Les élèves ne lisent pas! Ils regardent trop la télévision! Ils ne respectent pas l’environnement! Ils manquent de respect aux parents, aux vieux, aux institutions! Ils ont beaucoup de devoirs ou n’en ont pas assez! Ils ne prennent pas la parole en public ou ne communiquent pas aisément! Ils sont trop timides, agités ou effrontés! Mais où sont donc les enseignants? Qu’attendent-ils pour enseigner l’éducation sanitaire, civique, religieuse, morale…? Leur rôle n’est-ce pas de faire de nos enfants des anges et des génies ?»Tous les maux de la société incombent d’emblée au corps professoral! Pourtant s’ils sont responsables de l’éducation des jeunes gens qu’ils voient passer dans leurs classes, ils ne sont pas pour autant «coupables», quand l’école n’est qu’un maillon d’un ensemble d’institutions et de modes de fonctionnement de la société. L’enseignant procure aux apprenants les clés qui leur permettront d’appréhender le monde dans sa complexité. Au-delà du passeur de connaissances, il a le devoir de donner à de jeunes gens, assaillis d’informations contradictoires, le réflexe de la réflexion, de l’analyse et de la critique. Il ne peut plus être, aujourd’hui, la main qui contraint, mais celle qui guide.

Seulement, le métier de professeur n’est plus ce qu’il était parce qu’il n’y a plus, a priori, de respect pour la fonction ni pour la personne qui l’incarne.

Il n’y a qu’à voir cet acharnement à l’encontre des enseignants, de la part des apprenants via les réseaux sociaux qui ont facilité cette mission malsaine de noircir l’image de cette catégorie de personnes, agressée de plusieurs façons, au moment où elle est censée exercer le métier le plus noble. En plus des blagues et des anecdotes qui en font la mascotte de la société, des vidéos montées et «préméditées» sont lancées sur les réseaux sociaux avec le soin, bien entendu, de ne garder que ce qui incrimine l’enseignant qu’on ridiculise et qu’on sort de ses gonds «pour qu’il ait la réaction la plus abjecte et la plus indigne d’un éducateur»! Force est de dire que si l’enseignant avait, il y a quelques années de cela, le souci d’apprendre à ses élèves, aujourd’hui, il a un autre souci et de taille : celui de quitter l’enceinte scolaire indemne et surtout sans y laisser sa dignité qui risque d’être froissée dès qu’il a le dos tourné pour écrire au tableau.

Quand c’est un élève qui est violenté, on accourt et on remue ciel et terre pour  infliger la pire des sanctions à l’enseignant pour préjudice aux droits des enfants – ce qui est d’ailleurs normal ! Rappelons donc le cas de la petite Nadia, âgée de six ou sept ans, humiliée et filmée par son instituteur. Bien entendu, toutes les mesures nécessaires ont été prises afin de réparer un tort indigne d’un éducateur. Le ministère a exprimé sa désapprobation face à ce comportement portant atteinte aux principes de décence et d’éducation. Toutefois, la mémoire serait certainement défaillante et la justice élastique quant au cas de Mohamed El Ouafa qui s’était montré très blessant à l’égard de la petite Rawya dans des propos intolérables : «Qu’est-ce que tu fais ici? Il te faut plutôt un mari!» L’affaire n’était pas allée très loin! Ah, pardon, il était, pendant ce temps, ministre de l’Éducation nationale et donc intouchable !

Mais qu’en est-il du professeur harcelé, maltraité et agressé par ses élèves? Quelles mesures prend-on pour faire cesser l’humiliation et les agressions que ses élèves ou leurs parents lui font subir ? Que prévoit-on pour préserver son statut et sa fierté quand il est battu et traité de tous les noms de la part d’une catégorie d’élèves se croyant tout permis dans une école où on n’a plus le droit de sanctionner un élève fauteur de trouble ou le faire sortir de la classe ?

Il est clair que les causes de la violence à l’école sont multiples et souvent liées aux  problèmes que vivent les enfants dans leurs familles, à la pauvreté, aux conflits entre acteurs de l’éducation, à l’absence de dialogue, au surnombre dans les classes, au manque d’équipements dans les établissements scolaires, mais la démission des parents dans l’éducation des enfants favorise aussi les comportements agressifs à l’école et la délinquance juvénile. Et donc il est nécessaire, si l’on veut assurer un mieux vivre-ensemble à l’école, de pallier ces conflits interpersonnels engendrés essentiellement par un irrépressible  manque de respect de l’autre.

Il s’agit aussi de faire de l’école une société de droit avec l’instauration du respect mutuel, d’établir et de se tenir aux normes élaborées ensemble, d’utiliser le dialogue, la concertation et faire fonctionner les règlements institués.

Toutes ces mesures permettront non seulement la réduction de la violence dans les écoles, mais constitueront un outil efficace d’apprentissage de la citoyenneté démocratique.

À cet égard, le rôle de la direction de l’école est prépondérant dans la protection des enseignants. Sauf que le staff administratif se sent lui-même en danger quand il n’y a qu’un directeur et une poignée de personnes pour plusieurs centaines d’élèves! Comment peut-on alors exiger un investissement total et un rendement irréprochable d’un enseignant qui vit dans le stress, la fatigue professionnelle, le surmenage, la démotivation qui affecte son sentiment de compétence? Qu’attendre d’enseignants qui se sentent dans l’incapacité d’affronter divers actes de violence et d’agressivité de la part des élèves? Leur souffrance psychologique et parfois  physique diminue leur plaisir d’enseigner et entraîne même le désir de quitter l’enseignement. Dès lors, comment aider des enseignants qui n’ont ni les outils ni les moyens pour intervenir efficacement dans les situations de violence? Exercer la profession d’enseignant dans un espace non sécurisé est devenu un défi de tous les jours.

L’indignation est à son paroxysme quand le mercredi 18mars, un élève se permet de faire usage d’une bombe lacrymogène dans une école à Oujda et que les gaz affectent un grand nombre de ses camarades et d’enseignants. Plus révoltant encore ce qui s’était passé deux jours avant, à Casablanca cette fois-ci. Le lundi 16 mars, une enseignante se fait violer par son élève alors qu’elle se rendait à son travail à Lissasfa ! C’est dire qu’on a atteint le fond !

Sans transition et sans crier gare, nous voilà jetés, brutalement, dans une époque singulière. Qu’est-ce qui éloigne les parents d’hier, qui avaient pour devise d’appuyer, voire doubler la moindre sanction infligée à leurs enfants, sans chercher à comprendre de quoi il retournait, par principe de conforter l’enseignant dans ses décisions, de ceux d’aujourd’hui qui apprennent à leur descendance, en bas âge déjà, que le maître n’a pas le droit de lui crier dessus? Des parents qui font la pluie et le beau temps alors qu’ils n’ont pas l’expertise pédagogique ! Des parents qui ignorent qu’ils sont responsables de « l’enfant » et l’enseignant de « l’élève ». Ceci dit, la violence n’est aucunement requise mais la rigueur est de mise. Les parents d’ailleurs oublient qu’ils seront les premiers contre lesquels les enfants se retourneront par désir de s’affirmer.

A chaque soubresaut social, la question est cruellement posée : si l’on veut régler le problème à la racine, ne faut-il pas mobiliser l’école, en général, et les enseignants en particulier? Mais ne faudrait-il pas avant tout leur garantir leur sécurité et repositionner leur image ?

 

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