Mohammed VI : Un Roi dans son siècle

Cela fait plus de trente ans que nous attendions une visite du Caïd à notre village…Et c’est le Roi qui est venu nous voir ! » Ce propos est revenu souvent, lancé au Roi Mohammed VI lui-même, d’abord dans la région d’Oujda , ensuite à Anefgou, sur les hauteurs du Moyen Atlas ou ailleurs. Nous sommes au coeur de l’Oriental, entre Ganfouda et Beni Mathar, il y a de cela une dizaine d’années, dans un petit village reclus, du nom Mestferki, un point minuscule, un confetti regroupant deux ou trois cents habitants qui vivent à la manière monacale, mènent une existence aus­tère , cultivent l’ascèse par obligation… La rigueur d’un climat alterné, le froid l’hiver et la sécheresse, l’été. Surgi d’un paysage quasi lunaire, le village est dans la lente impatience, ses habitants ruminent le splendide isolement dans lequel l’Etat, les pouvoirs publics, la commune d’à côté, la wilaya de Oujda et la province de Berkane les confinent, depuis des décennies…

Nous sommes entre 2008 et 2009, le Roi Mohammed VI effectue, dans l’Oriental, l’une de ses grandes tour­nées de travail – on ne les compte plus ! Il sillonne les recoins de cette région qui, d’année en année, non seu­lement devient l’un de ses territoires de prédilection, mais un modèle de développement avec sa technopole, ses projets structurants et une présence personnelle effective. S’il est une tra­duction concrète au concept et à la pra­tique de ce qu’on appelle la « proximi­té royale », c’est bel et bien la région de l’Oriental, ses confins reculés et ses populations sorties de l’anonymat qui l’incarnent aussi, à coup sûr ! Le Roi Mohammed VI est l’inventeur de la nouvelle solidarité, de cette éthique qui deviendra l’un des traits majeurs de son règne et qui est au fondement inédit du règne, parce qu’affichée, exprimée et assumée tout au long d’une chaîne sans fin, sans aucune frontière non plus…

A cheval sur la fin du XXème et le début du XXIème siècle, le règne de Mo­hammed VI a commencé comme espéré voire prévu : dans une irascible volonté de changement. Il s’est inscrit dans la continuité dynastique, certes, mais il a transformé le règne et la méthode de travail, bousculant d’abord protocole et règles du Palais, innovant en ma­tière de rapports avec son peuple. Aux funérailles de son père, le Roi Hassan II, qui a régné pendant 38 ans sur le Maroc, les traits tirés et une tristesse profonde, on a vu le nouveau Roi por­ter le cercueil du défunt père avec son frère cadet, le Prince Moulay Rachid. Ce fut déjà l’un des premiers signaux annonciateurs , prévenant les uns et les autres que Mohammed VI ne se conten­tera pas de donner et faire exécuter les ordres, mais mettra la main à la pâte et s’en chargera lui-même… La céré­monie d’intronisation, organisée le 23 juillet 1999 dans la salle du Trône, au Palais Royal de Rabat, prévue, organi­sée avec soin, verrouillée au moindre détail, en son canevas et sa portée pra­tique par son père, a résonné comme l’autre signal, celui du retour aux sources chez un jeune Roi qui vient de troquer son costume de prince héritier contre celui du Roi légitime . Il est le successeur désigné, nouveau guide sur lequel s’abattront toutes les attentes, les mille et une espérances, parfois même inexprimées, enfouies, un océan de doléances, lâchées comme des vagues souterraines, partout et toujours ! Il in­carne d’ores et déjà l’image qui ne le quittera jamais, le Roi de proximité…

Dix-sept ans sont passés ! Et vingt jours seulement séparent la Fête du Trône qu’il a lui-même instituée à la date du 30 juillet de chaque année et le 21 août 2016 où nous célébrerons ainsi son 53ème anniversaire. La vie du Roi Mohammed VI ne se résume à aucun chiffre, elle ne peut être mise entre parenthèses au prétexte que les biographes se soumettent aux lois d’une linéarité chronologique, alors que son parcours est marqué par un foisonnant hérissement, synonyme de richesses. Dix-sept ans de règne ne font qu’ou­vrir la perspective d’une autre nouvelle oeuvre, dans sa vie et dans celle de la nation qu’il dirige et qui, cela va sans dire, se confond avec la sienne. Quant aux cinquante trois ans, que d’aucuns seront tentés de qualifier de maturité et d’âge de raison, le Roi les traverse, soyons en sûrs, comme une étape, une passerelle ontologique. Sa mission qui est au règne ce que la finalité est à une vie, ne s’est jamais départie de l’objectif qu’il s’est lui-même assigné et qui est devenue, à vrai dire, son ob­session centrale : construire un Maroc à son image, enraciné dans la double exigence de la tradition ancestrale et de la modernité!

Or, son image c’est d’abord et enfin sa propre culture, son éducation, ses principes et son combat. Un système de valeurs dont il s’imprègne dès sa tendre enfance, et qu’il a polies au fur et à mesure, pétries continuellement à l’épreuve de sa jeunesse, de sa vie de jeune étudiant, de jeune garçon, de prince et de Roi enfin.

La vie du Roi  Mohammed VI  ne se résume à aucun chiffre, elle ne peut être mise entre parenthèses au prétexte que  les biographes  se soumettent  aux lois d’une linéarité chronologique

Mohammed VI,alors Prince Héritier, représentant le Maroc aux funérailles de Georges Pompidou, en avril 1974.

 

 

On a quelque peu tendance à oublier de mettre en évidence une particularité d’autant plus marquante que la nécessité de la rappeler aujourd’hui s’impose : Mo­hammed VI a accompli le fameux appren­tissage de Prince et de Roi, contrairement à son auguste père propulsé immédiate­ment aux hautes responsabilités dans un contexte colonial et seulement pendant une courte période, entre la Libération et le décès brutal de père ! De ce fait, Mohammed VI a été le plus proche com­pagnon de son père, le confident même de ce grand Roi que restera Hassan II. Si ce­lui-ci n’a pas eu la même facilité – et pour cause, l’exil entre parenthèses, le combat pour l’indépendance, le protectorat – au­près de son père, Mohammed VI a connu quant à lui un parcours , dirions-nous rectiligne, bénéficiant d’une vie de jeune moins agitée politiquement que celle de son père, ce qui ne veut pas dire , pour autant, moins intense. Les expériences des règnes, au total trois depuis 1955, nous suggèrent une continuité dans le temps et l’espace, mais surtout une idée force : la culture monarchique n’est ja­mais restée statique, encore moins im­mobile. Elle épouse son temps , réinvente ses règles, fixe ses méthodes, enfin elle crée ses hommes et ses femmes, ses élites aussi…Or, cette même monarchie, pour être indivisible, quasi immuable dans sa vertueuse continuité, n’évolue pas de la même façon, selon les trois Rois, chacun d’eux lui imprimant son propre style et sa vision personnelle.

L’épreuve de la transition

Entre novembre 1955 et février 1961, Mohammed V a incarné le bref passage d’un règne volubile et délibérément dé­bonnaire, marqué toutefois par l’épreuve de la transition de l’ordre colonial à ce­lui de la liberté, une liberté débridée que l’on dirait des Cents fleurs, à la limite du cafouillage, car il fallait combler le vide laissé par le Protectorat et son ad­ministration ! Sous son règne, le Maroc a vécu l’une des plus terribles épreuves, le violent séisme d’Agadir du 29 février 1960 qui en 15 secondes d’une magni­tude de 5,7 sur l’échelle de Richter a provoqué la mort de plus de 12.000 per­sonnes, détruit la plus grande partie de la ville et fait des milliers de blessés…Le Roi Mohammed V, une profonde tristesse affichée , s’y était rendu personnellement et a lancé immédiatement les travaux de reconstruction. Le lendemain de la catas­trophe nationale, il a créé une Commis­sion de reconstruction de la ville sinistrée, confiée au prince héritier Moulay Hassan lui intimant l’ordre de déplacer le projet de la nouvelle ville vers le sud , là où n’existait pas le risque d’une faille sis­mique. Dès le mois de juin de la même année, le chantier de la nouvelle Agadir était lancé…

Un Roi pouvait-il être un saint ? Mo­hammed V incarnait en effet l’image d’un saint , et aux yeux du peuple marocain , il en illustrait la légende vivante. A telle enseigne que, durant les trente-neuf mois d’exil forcé en Corse et à Madagascar, isolé entre août 1953 et novembre 1955, figé , le peuple marocain – dans une sorte de rendez-vous cosmique – contemplait régulièrement la lune pour y retrouver son portrait et le vénérer. C’est peu dire qu’une profonde symbiose caractérisait les rapports entre les deux.

En mars 1963, lorsque décède Moham­med V, le prince Moulay Hassan est pro­clamé Roi du Maroc. Il régnera jusqu’au 23 juillet 1999. Il aura une vie trépidante, marquée au coin d’une grande épreuve, celle du pouvoir d’abord, ensuite des dé­fis, des tentatives de coups d’Etat avortés, de la longue mission d’asseoir le Maroc dans une légitimité constitutionnelle, entravée par les innombrables obstacles et entre autres, les deux grandes affaires de son règne : la Guerre des sables avec l’Algérie, lancée le 2 octobre 1963 contre le Maroc par Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante et, découlant de la même problématique de relations constamment tendues avec ce pays voisin, la libération du Sahara. Sur cette affaire du Sahara précisément, les trois Roi ne cesseront de buter contre l’irrédentisme d’une Algérie qui, dès son indépendance en juillet 1962, ne cessera d’afficher ouvertement son expansion­nisme territorial, annexera des territoires entiers appartenant au Royaume du Ma­roc et mettra tout en oeuvre pour entraver le processus de parachèvement de son intégrité territoriale de ce dernier.

Un prince est né

Le 21 août 1963 , deux mois avant les agressions de l’armée algérienne contre les deux localités marocaines , Hassi Bei­da et Tinjoub qui ont déclenché la guerre des frontières entre les deux pays, naît au Palais royal de Rabat le premier garçon du Roi Hassan II et de Lalla Latifa, ori­ginaire du Moyen Atlas. Le Roi exprime une fierté affichée de cette naissance. Une photo est prise et publiée où le père porte dans ses bras le nouveau né, et le peuple ne manque pas de lui exprimer son atta­chement en se rendant quelques jours plus tard, sur la place du Méchouar.

Un prince est né en plein été, et le Ma­roc qui n’a que 8 ans d’indépendance voit ainsi son destin se dessiner dans un long terme que l’histoire, malgré les vicissitudes et surtout les épreuves, déclinera ensuite. Les historiens ou les chroniqueurs, qui n’apprécient géné­ralement jamais le hasard et cherchent plutôt le fil conducteur, semblent s’at­tacher à décrire le contexte national de cette époque sous l’angle d’une époque difficile, marquée par « l’instabilité », les multiples et diverses difficultés, po­litiques, diplomatiques , économiques et autres…Sidi Mohammed est né alors que le Maroc était confronté déjà à l’hégémo­nisme algérien, et sur le plan interne aux problèmes politiques issus d’une grave discorde entre certaines forces politiques, comme l’Istiqlal, l’UNFP et le Palais. La tension , plutôt la crise larvée en fut la conséquence de la promulgation d’une nouvelle Constitution que les partis po­litiques , marqués alors par l’idéologie marxiste-léniniste en vogue, refusent , en particulier le passage qui stipule que le Roi est « Amir al-Mouminine » et que sa « personne est inviolable » ! Alors mi­nistre de la Justice, M’Hamed Bahnini ira jusqu’à proclamer le 17 août 1963 que le Roi a déjoué un complot fomenté par les partis de gauche…

Il était loisible, en effet, et même pré­visible qu’un tel refus catégorique se sol­derait par une opposition radicale entre le Palais et les partis dont beaucoup de leurs dirigeants et de leurs cadres, quand ils n’étaient pas arrêtés et incarcérés, avaient choisi l’exil qui en Algérie, qui en Syrie et plus tard en Libye. Jusqu’aux années soixante-dix, ponctués par un long cycle d’affrontement-répression et plus exactement en 1973, les rapports entre le pouvoir royal de Hassan II et ce qu’on appelle l’échiquier politique sont de­meurés tendus. C’est l’affaire du Sahara qui favorisera un rapprochement frileux, mais devenu impératif…Pendant ces dix années d’hostilité déclarée, le prince Sidi Mohammed ben al-Hassan évolue et grandit dans le sérail que son père a concocté et peaufiné pour lui, ses frères et sa famille. Il fréquente le Collège royal, mitoyen au Palais de Rabat, accomplit sa scolarité dans cette institution créée dès 1942 par Mohammed V pour y élever ses enfants, notamment Moulay Hassan et Moulay Abdallah. Prénommé en intimité « Smit Sidi », le jeune prince a pour com­pagnons de classe des garçons venus de toutes les régions du Royaume, différents aussi bien dans leurs origines que dans leur statut…Ils auront , néanmoins, ce point commun : appartenir au cercle , au premier cercle d’amis du prince , ensuite celui de l’accompagner plus tard, qui à l’Université Mohammed V de Rabat, qui dans ses fonctions officielles de prince, chargé par son père de missions régu­lières , qui enfin lorsqu’il accédera au pouvoir en juillet 1999.

Sidi Mohammed est né alors que le Maroc était confronté déjà  à l’hégémonisme  algérien, et sur le plan interne aux problèmes politiques issus d’une grave discorde entre  certaines forces  politiques,  comme l’Istiqlal,  l’UNFP et le Palais.

roi3 On en retrouve quelques uns de ces camarades, fidèles entre les fidèles, comme Fouad Ali-Himma ; Fadel Benyaïch ; Mohamed Rochdi Chraïbi, Mohamed Yassine Mansouri, Khalid al-Kouhen ; Noureddine Bensouda, Hassan Aourid , Hassan Bernoussi, Mehdi Alaoui, d’autres encore comme Samir Elyazidi, Karim Chakour…Quant à Mohamed Mounir Majidi, dit « 3M », il est arrivé dans le cercle bien plus tard, introduit par le défunt Nawfal Osman, fils de Ahmed Osman, ancien premier ministre de 1974 à 1979 et de feue la princesse Lalla Nezha , soeur de Hassan II et donc tante du Roi Mohammed VI.

« Smit Sidi » est un jeune prince actif, dont on ne cessera de dire pourtant à tort qu’il est « timide », « réservé » voire « effacé » ! Il est le compagnon de son père qui entend faire de lui le digne suc­cesseur et lui confie, au fur et à mesure, des missions, protocolaires pour com­mencer, officielles et politiques ensuite. Dans la première semaine d’avril 1974, la nouvelle de la mort de Georges Pom­pidou, président de la République fran­çaise est tombée comme un couperet. C’est le prince Sidi Mohammed qui, le 6 avril suivant, représentera le Roi Hassan II et le Maroc aux obsèques officielles organisées à l’église Notre-Dame de Pa­ris où se retrouvent un parterre de chefs d’Etat et de gouvernements du monde entier. Les caméras de télévision et des photographes immortaliseront ainsi l’image d’un prince marocain de 11 ans, accoutré du costume traditionnel, jellaba blanche et fès, tenu debout au milieu des personnalités, tout près de Michel Jo­bert, ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou, lui-même natif et originaire de Meknès et demeuré fidèle au Maroc…

Cette visite à Paris ne sera ni la pre­mière, ni la dernière du Prince héritier. Une tournée africaine lui avait par ail­leurs permis déjà, en ces temps-là, et dans la foulée, de se familiariser avec le continent , de nouer de studieux contacts avec ses populations et d’expliquer l’en­gouement qu’il manifestera plus tard, une fois Roi à l’Afrique. En juillet 1975, il prend part au Jamboree mondial de Lillehammer , en Norvège qui rassem­blait près de 20.000 scouts du monde entier, représentant quelque 91 pays. Ce rassemblement international, au fin fond des forêts perdues de la Scandinavie, avait pour devise : « Cinq doigts, une main », symbolisant la fraternité entre les cinq pays hôtes scandinaves et les cinq régions scoutes du reste du monde. Le Roi de Norvège, le Roi de Suède et le Prince héritier du Maroc, Sidi Mo­hammed ben al-Hassan l’ont honoré de leur présence.

Cette expérience le familiarisera avec un certain type d’engagement solidaire et lui permettra de prendre le pouls des autres cultures. Après le cursus scolaire achevé en 1981, par l’obtention du bac­calauréat, il est mêlé comme de coutume à la gestion des grands dossiers poli­tiques et diplomatiques. Cette année-là, son père conduit un tournant majeur de l’évolution du Royaume, en ce sens qu’il consent, lors du Sommet de l’OUA, or­ganisé à Nairobi (Kenya) à l’organisa­tion d’un référendum d’autodétermina­tion au Sahara, à la demande de pays amis, d’Europe et du monde arabe. Le gouvernement algérien, qui en faisait son cheval de Troie, est mis au pied du mur…En novembre 1984 , ce sont seu­lement 26 chefs d’Etat africains, même pas la moitié , qui participent au Sommet de l’OUA d’Addis Abéba. Ils sont qua­siment acquis à la proposition suicidaire d’un certain Edem Kodjo , alors secré­taire de l’OUA monté à la manoeuvre, mais affidé au pouvoir algérien qui avait tout manigancé pour faire admettre la rasd au sein de l’OUA, en violation de la Charte de celle-ci. C’est alors que se trouvant en face de la présence du po­tiche « président de la rasd », venu sié­ger pour la première fois, la délégation marocaine décide de se retirer de l’OUA. Cette décision constitue un précédent dans l’histoire de l’OUA, au regard de ses motivations et de ses conséquences. Car, le Maroc demeurait aux yeux de tous le cofondateur de l’organisation panafricaine, le pays qui soutenait les mouvements de libération africains dans les années soixante, du Frelimo jusqu’à l’ANC de Nelson Mandela.

Le Prince Sidi Mohammed n’a que vingt-et-un ans et, déjà dans les pas de son père, il saisit les arcanes de cette grande diplomatie de défis. Le CES (Certificat des études supérieures) en sciences politiques en poche en 1988, il effectue en novembre un stage de quelques mois auprès de Jacques De­lors, ancien ministre de l’Economie et des finances sous François Mitterrand, président de la Commission des Com­munautés européennes ensuite, es­prit lucide et pragmatique et …père de Martine Aubry ! Cette présence à Bruxelles, auprès de Jacques Delors permet au prince héritier de s’impré­gner des méthodologies, de la culture, des mécanismes de droit et des règles de gouvernance en vigueur dans l’ins­titution européenne. Le 29 octobre 1993, à la grande fierté de son père et de sa famille, Sidi Mohammed soutient sa thèse de doctorat à l’université de Nice-Sophia Antipolis avec mention « très honorable » et les félicitations du Jury, sur le thème d’actualité : « La coo­pération CEE-Maghreb ». On le voit, l’objectif de sa recherche est double : la promotion du Maghreb et celle de l’économie…Il en deviendra plus tard un fervent avocat !

Peut-être, faudrait-il rappeler dans la foulée deux dates significatives dans le parcours du Roi Mohammed VI , illus­trant la polyvalence à laquelle il a été formé. Outre les innombrables missions que lui confiait son père dans les quatre coins du monde, comme notamment la participation du Maroc à la fameuse Conférence de Rio de Janeiro sur le climat de 1992, il a été promu en avril 1985 Coordinateur des Bureaux et ser­vices de l’état-major général des Forces Armées Royales (FAR) et, en juillet 1994, au grade de général de Division.

Roi et Souverain

Devenu Roi le 23 juillet 1999, après avoir prêté serment lors d’une cérémonie solennelle, à laquelle prenait part, entre autres, son frère cadet Moulay Rachid, Sidi Mohammed Ben al-Hassan, devenu le vingt-deuxième Roi du Maroc, cu­mulera ainsi les titres de Roi, de chef d’Etat qui règne et gouverne, de Amir al-Mouminine, gardien et protecteur des trois religions monothéistes en vigueur au Maroc, chef des armées , et surtout premier serviteur de son peuple. De cette dernière charge, il donnera la parfaite illustration de sacerdoce depuis 1999. Innombrables et incommensurables sont les attentes investies en lui, par des millions de citoyens, les populations nécessiteuses, les pauvres qui accom­pagnent son avènement par un soutien enthousiaste et une adhésion spontanée. La presse internationale, ayant couvert les funérailles du Roi Hassan II et, une fois encore, mesuré sa popularité mon­diale – Abdelaziz Bouteflika lui-même y fut présent – , s’est ensuite adonnée à son exercice préféré avec ses manchettes et ses titres : « Qui est Mohammed VI » ? En filigrane, ont défilé ensuite interro­gations, commentaires et conclusions contradictoires.

Le style c’est l’homme

Maurice Druon, membre de l’Aca­démie française, ami du Roi défunt, et à ce titre familier de quelques arcanes du Palais, a tranché le noeud gordien du faisceau de supputations : « Ce Roi, écrit-il en substance dans une chronique du « Figaro », sera résolu à conduire son peuple vers le progrès. Il tient de son grand père, Mohammed V » ! En effet, il ne croyait pas si bien dire…Le nouveau Roi a effectivement rompu les amarres, non pas avec l’héritage et le legs que son père lui a laissés, mais il a pratiqué le « spoil system » de toute l’histoire monarchique du Maroc, c’est-à-dire le changement radical en matière de gouvernance.

« Ce Roi, en substance dans une chronique  du « Figaro », sera résolu  à conduire son peuple  vers le progrès.  Il tient de son grand père, Mohammed V » !

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Son premier déplacement à Ca­sablanca en octobre 2000 , avant sa grande tournée dans le Nord, en a donné l’avant-goût, parce qu’il a prononcé à Casablanca le discours initiateur d’une vision et d’une méthode : le « nouveau concept d’autorité », celui qui rapproche les citoyens de l’Autorité et fait de celle-ci le « serviteur » de ceux-là, et non le contraire ! S’étonnera-t-on si, quelques mois plus tard , il limo­gera sans état d’âme mais au nom de l’efficacité et des valeurs qui l’animent, l’inamovible ministre de l’Intérieur, Driss Basri, au pouvoir depuis 1983 et dénommé le « Vice Roi » ?…

Mohammed VI ira rendre visite à la famille, aux petits enfants de Ab­delkrim Khattabi, combattant rifain des années trente et quarante, exilé en Egypte, représentant ce Rif farou­chement rebelle auquel on n’avait cessé de prêter des velléités indé­pendantistes. Il libérera aussi les pri­sonniers politiques, détenus à Taz­mamert, et ordonnera même qu’on ramène en son pays un certain Abra­ham Serfati, exilé à l’étranger par le pouvoir précédent, brillant ingénieur de confession juive, marxiste et mili­tant actif qui a passé le plus clair de son temps dans un bagne…Il a réfor­mé , avec audace et une conviction chevillée au corps, la Moudawana, le code de la nationalité, lancé les plus grands chantiers, portuaires, aéroportuaires, autoroutiers, des infrastructures, du tourisme, de la santé, de l’éducation, il s’est ren­du dans plusieurs pays d’Afrique, au moins par quinze fois, annulé la dette contractée envers le Maroc par certains Etats du continent et tracé in fine les sillons d’un ancrage irré­versible dans le continent africain, fondé sur une vision : renforcer la relation bilatérale avec la majorité des Etats africains, forger des parte­nariats solides et modernes, appor­ter le know-haw du Maroc, partager aussi les difficultés, multiplier ses présences en cas de nécessité comme au Mali notamment.

Dans le cadre du renforcement de l’Etat de droit, entamé par son défunt père quelques années avant sa mort, Mohammed VI a créé l’IER, l’Ins­tance de l’Equité et de la Réconci­liation , confiée à un grand militant, Driss Benzekri, afin de promouvoir les droits de l’Homme, de défendre les libertés citoyennes et d’asseoir la démocratie sur des bases que le peuple marocain adoptera. Sa mis­sion, puisque c’en est une de réfor­mer le pays, a connu un succès dont beaucoup de pays se sont inspiré ! En avril 2007, le Roi Mohammed VI a pris les devants dans l’inextricable dossier du Sahara et a proposé au Conseil de sécurité le Plan d’auto­nomie avancée, modèle de régiona­lisation à nul autre pareil dans le monde, anticipation politique de ce que sera le monde des régions dans un avenir proche, expression de sa volonté d’offrir une solution hono­rable, juste et durable, consensuelle aussi et de permettre à l’Algérie de sortir par la grande porte d’un conflit factice qu’elle a créé « ex nihilo » et de permettre aux populations du Sahara d’assurer leur autodétermina­tion dans le cadre d’une souveraineté qui ne fait que se vérifier depuis la nuit des temps…Là aussi, le Roi Mo­hammed VI, tout à sa détermination prospective, faisant sienne cette loi « qu’il n’est de développement réel que dans la paix », qu’il n’est de pro­grès que dans la solidarité, inventera son propre modèle.

Mohammed VI incarne l’homme de l’avenir, un précurseur, un guide messianique. Mais aussi un « homme pressé » ! En mars 2011, tandis qu’une contestation, alimentée par la chaîne « Al Jazeera » – marquée par des émeutes – ravageait la Tuni­sie, la Libye, l’Egypte, la Syrie, le Yémen et menaçait même d’autres pays arabes comme la Jordanie, contre toutes attentes , il a pris les devants et , dans un discours pronon­cé le 10 mars, il a annoncé sa volon­té de changer – d’aucuns diront de « réviser » – la Constitution avec, à la clé, le projet d’élections anticipées en novembre 2011…

Il a également annoncé un réfé­rendum national. Adoptée à la quasi unanimité le 1er juillet 2011, la nou­velle Constitution fait la part belle en termes d’attributions au gouverne­ment et à celui qui le dirige, appelé désormais Chef de gouvernement et non Premier ministre. Une « révo­lution copernicienne », une avancée spectaculaire qui a coupé l’herbe sous les pieds du mouvement du 20 février, ainsi que des islamistes, prompts à instrumentaliser la conta­gion protestataire…Il a pris la réelle mesure du caractère impatient et sur­tout imprévisible de la contestation, il a donc paré au plus pressé, mais annoncé et mis en oeuvre un chantier structurel à long terme ! L’urgence, chez lui, c’est moins de manifester l’autorité royale que de préserver la démocratie à laquelle, vaille que vaille, il demeure fortement attaché. L’arrivée au pouvoir du PJD en no­vembre 2011 et la constitution d’un gouvernement confirmant l’alter­nance, à la tête duquel un de ses diri­geants a été désigné, conformément à la Constitution, illustre la continuité et , surtout, l’exigence démocratique inscrite sur le fronton de son règne.

Les dix-sept ans de règne de Mo­hammed VI, marqués par le souffle du renouveau, ont et continuent de projeter le Maroc sur les fonts bap­tismaux d’une modernisation qui est à proprement parler un défi à une planète bousculée et livrée même au désordre. La stabilité institu­tionnelle, les avancées sociales, les progrès économiques attestés, les réformes profondes n’épargnant au­cun secteur, une vision diplomatique audacieuse ont fini par conférer au Royaume du Maroc le statut d’une nation plus qu’émergente. Nous ne dirons jamais assez que c’est l’oeuvre polie du Roi Mohammed VI qui, in­lassablement et avec une conviction chevillée au corps, s’est inscrit dans une culture de défis.

Cette oeuvre est à coup sûr le ré­sultat d’un travail de longue haleine. Et pour les historiens, l’impératif consistera à en déterminer à la fois le fil d’Ariane et l’architecture d’un projet de société au long cours, mené en plusieurs étapes, avec une assidui­té à toute épreuve, réinventant ses codes, sa méthodologie propre et al­ternée. Il n’est pas jusqu’au discours du Roi qui n’ait pas subi la geste du changement, ne sacrifiant ni à la rhé­torique, ni à la langue de bois.

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