Villa Australia : reflet d’une société

Comme dans presque tous ses ro­mans précédents, Habib Mazini tisse son univers romanesque autour de Casablanca, cette ville qui le passionne et l’ensorcelle par ses person­nages atypiques, pleins de contrastes. Son style demeure fluide et simple s’inspirant de la réalité marocaine. L’auteur nous embarque dans les années 90 où le pays a connu des événements multiples et in­téressants à plusieurs niveaux. Sur le plan politique, Le Maroc allait connaître enfin l’alternance, souhaitée par la classe poli­tique et voulue par le «Makhzen» comme l’explique l’auteur. Sur le plan écono­mique, c’est le boom de la construction dans une ville où le foncier se raréfie au point de hisser la moindre parcelle à une pépite rare, d’où la multiplicité du trafic et des magouilles dans ce domaine. En effet, la presse de l’époque a fait l’écho des affaires immo­bilières et foncières qui avaient défrayé la chronique et conduit certains à la prison. Quant au niveau social, une nouvelle élite a émergé, avide de gain facile et rapide en plus de l’appa­rition d’une mafia spécialisée dans le domaine de l’immo­bilier et du foncier, capable de déterrer des dossiers concer­nant des biens abandonnés par des étrangers pour les vendre aux plus of­frants. La villa Aus­tralia louée par la famille ‘’ Halfaoui’’ en faisait partie.

Villa Australia : Tout le monde sur le coup

Utilisant cette demeure comme une toile de fond pour son oeuvre, Habib Mazini s’en sert en métaphore pour nous décrire la société marocaine où deux familles, l’une aisée mais en déclin et l’autre en devenir, se déchirent, à couteaux tirés, pour acquérir ce bien comme bien précieux. Autour de ces deux familles, Halfaoui et Brahimi, gravitent un certain nombre de personnages : un vé­térinaire véreux à l’affût de tout ce qui est foncier et immobilier et des intermédiaires, sorte de chasseurs de toits dont un agent de la conservation foncière et un ancien cadre des finances, deux énergumènes prêts à exhumer les opportunités foncières juteuses et vendre la mèche à tous ceux qui s’intéressent à ce business.

Le propriétaire entre en scène

La famille Halfaoui, locataire de la vil­la coulait des journées très calmes lors­qu’un événement surgit et bouscule leur quotidien, voire leur vie. Gilbert Teis­saire, propriétaire de ladite demeure, ar­rive à Casablanca, après plusieurs années d’absence, pour vendre ce bien.

En effet, l’emplacement de cette villa et sa surface ont attisé la convoitise d’un nombre de prédateurs dont Doussri, un vétérinaire originaire d’Ouled-Said dans les environs de Settat, comme l’auteur d’ailleurs. Au contact des classes aisées, le virus du luxe le contamine. A cet ins­tant-là, il décide de féconder son destin autrement en optant pour la pierre, une fée bienfaisante pour pas mal de gens.

Malheureusement, Gilbert Teissaire disparaît. La police entame ses recherches et le premier à être inquiété c’est Mehdi Halfaoui, le locataire.

Leur attachement viscéral à cette de­meure, avec laquelle ils ont fait corps et risquent de la perdre, attriste Mehdi, le père, et sa femme, Batoul. Au fil des jours, le vieil homme s’enlise dans de sombres pensées. Il pleure son destin, grande est son humiliation et profonde est sa blessure. Ajoutons à cela, son usine de confection qui bat de l’aile. La famille Brahimi, quant à elle, dont le père était employé chez les Halfaoui comme homme à tout faire, convoite la villa. Pour arriver à leur dessein, un mariage a été décidé et organisé entre Omar Halfaoui et Nora Brahimi en vue d’un rapprochement pour enterrer la hache de guerre. Malgré cela, le problème de la lutte des classes, cher à Karl Marx, persiste.

Habib Mazini force le trait en nous dé­crivant le comportement humain face à l’argent, la descente en enfer, les décep­tions, l’avidité et les magouilles. Tous les coups sont permis pour réussir. Qui des protagonistes aura le dernier mot ?

 Cinq questions à Habib Mazini

hbib mazini

  • Maroc Diplomatique – Votre public est plutôt hétérogène et de ce fait, vous faites partie des rares écrivains maro­cains qui écrivent pour les enfants et les jeunes. Quels enjeux derrière ce choix ?

Habib Mazini – Ecrire pour les jeunes suppose une réelle exigence. D’aucuns pensent que c’est facile, qu’ils essaient et ils verront. Je le fais parce que c’est le seul moyen d’avoir de futurs lecteurs. Je le fais aussi pour donner à nos enfants des re­pères en accord avec leur environnement. Les histoires qui se passent à Casablanca ou à Taroudant, avec les animaux locaux, les réconcilient avec leur culture.

  • Pourquoi Casablanca est-elle au centre des écrits de Habib Mazini ?

Casablanca est un personnage de mes romans depuis La faillite des sentiments. J’y habite, j’y ai fait mes études et j’y vis. Je suis fasciné par le traitement que subit cette ville de la part d’une population hos­tile à toute émancipation citadine. J’ar­pente les quartiers et observe la vitalité qui les caractérise. Pour un romancier, la relation habitants/ville interpelle, car c’est un réel combat qui les oppose. Rome, Pa­ris, Venise, Tanger et bien d’autres villes ont intéressé auteurs et cinéastes.

  • Dans vos ouvrages, la bourgeoisie de cette métropole (ses branchés en gé­néral) est aussi une cible de vos railleries «Villa Australia» n’échappe pas à cette règle. Elle est si risible cette bourgeoisie?

Peut-on écrire autrement ? La dérision me convient et me paraît appropriée pour évoquer le changement du profil sociolo­gique d’une élite sociale. Villa Australia a cette ambition. Risible ou grotesque, je ne porte pas de jugement sur cette élite. Un édifice comme métaphore cristallisant des enjeux financiers et sociétaux, c’est un exercice déjà utilisé. Dans mon roman, la villa symbolise la fin d’une époque, culturellement parlant.

  • Vous ne faites pas dans le style pompeux et choisissez plutôt un style simple et fluide. Êtes-vous des écrivains qui prônent la simplicité et l’accessibilité dans l’écriture comme outils de beauté stylistique ?

Mon premier roman La Basse-cour des miracles s’inscrit dans cette pseudo rigueur héritée des écrivains français. J’espère en être guéri, depuis. La litté­rature américaine m’a beaucoup aidé. En matière d’écriture, simplicité et flui­dité ne sont pas facilement accessibles. J’aime Marcel Pagnol, Michel Tournier, Italo Calvino, Herman Melville… et bien d’autres. La lecture est d’abord un plaisir. On a tendance à l’oublier souvent, surtout que sous nos cieux, le lecteur est une es­pèce en voie de disparition. Je m’y em­ploie aussi au niveau de la trame, puisque mes romans contiennent un cadavre et un flic, mais ne sont pas des polars pour autant.

  • Y aura-t-il un prochain roman sur la Chaouia dont vous êtes originaire et particulièrement sur la campagne ?

Je suis natif de Settat mais d’une fa­mille berbère. Quant à mon prochain roman, il honorera un personnage histo­rique du dix-neuvième siècle. Celui qui m’intéresse a eu un destin passionnant, sa vie est un roman. J’y travaille depuis quelques temps, et pense y arriver dans deux ou trois ans.

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