14 août 1979 : Comment Oued Eddahab a achevé la décolonisation définitive de notre Sahara

Par Hassan Alaoui

Le Maroc commémore, ce mercredi 14 août 2019, le 40ème anniversaire de la récupération de la province de Oued Eddahab, dénommée jusqu’en 1979, Tiris al-Gharbia qui, en vertu de l’accord tripartite signé le 14 novembre 1975 à Madrid par le Maroc, l’Espagne et la Mauritanie, était rattachée à cette dernière pendant quatre ans.

Voici un témoignage d’un moment que nous avions vécu.

Dénommée Rio de Oro sous la colonisation espagnole, cette province extrême-méridionale du Royaume avait été une première fois intégrée à la Mauritanie, suite à l’Accord tripartite signé le 14 novembre 1975, soit quelques jours seulement après le succès de la Marche verte, par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie. L’Accord de Madrid octroyait ainsi la région du Rio de Oro ( Oued Eddahab) à la Mauritanie, alors dirigée par Mokhtar Ould Daddah, qualifié de « père libérateur de la nation », renversé en 1978 par un de ses hauts officiers de l’armée, Moustapha Ould Mohamed Salek.

L’accord tripartite de Madrid avait valeur de décolonisation parce qu’il s’inscrivait à coup sûr dans la doctrine des Nations unie, et notamment dans les exigences de la 4ème Commission et de la Charte de l’ONU qui préconisait une solution politique négociée entre puissance coloniale – l’Espagne – et partie ayant-droit – le Maroc. De ce fait, il illustrait la parfaite conformité de la revendication du Maroc avec le droit international, donc la définitive décolonisation du Sahara.

La beiâa et le sens de l’histoire du Maroc

Constamment menacée par le polisario qui avait pignon sur rue dans une Mauritanie fragilisée et surtout dont le gouvernement Ould Mohamed Salek était devenu de plus en plus docile à l’Algérie, la province de Oued Eddahab était récupérée finalement par le Maroc au nom d’un incontournable impératif : la sécurité régionale et la lutte contre les prétentions hégémoniques algériennes. D’emblée, il convient de souligner la spectaculaire opération de retour de cette province méridionale du Sahara au giron de la nation. Ainsi, le 14 août 1979, les représentants de toutes les tribus de cette province s’étaient-ils rendus à Rabat accomplir l’acte d’allégeance au Roi du Maroc, feu Hassan II, ils scellaient définitivement leur retour à la mère patrie, suscitant l’ire des militaires algériens, dans un décor de fin de journée quasi surréaliste tant la cérémonie d’allégeance avait épousé de couleurs magiques, un Roi et les princes – Sidi Mohammed et Moulay Rachid – tout de blanc vêtus et nos frères sahraouis, la plupart en bleu et blanc, conférant à la Beiâa sa dimension historique fabuleuse.

La dimension politique, diplomatique, militaire et historique de ce retour au Maroc de Oued Eddahab n’échappait à personne. Et surtout pas aux dirigeants algériens qui en conçurent de l’aigreur, tant il est vrai qu’après la Marche verte, ils furent de nouveau et spectaculairement pris de court par ce qu’on appelait déjà le « deuxième coup de maître de Hassan II ». En ce jour du 14 août 1979 , le Maroc parachevait désormais la réunification de son Sahara, quatre ans après la Marche verte et l’accord de Madrid, un peu moins de deux ans que le fameux sommet de l’OUA ( Organisation de l’unité africaine) tenu à Nairobi fin 1980 au cours duquel, à la surprise générale, non sans mettre en exergue les droits historiques et juridiques du Maroc, le Roi Hassan II annonça avec conviction son accord de principe pour l’organisation d’un référendum au Sahara. Il prenait soin en revanche de préciser qu’il s’agirait d’un « référendum confirmatif » dont l’objectif, ni plus ni moins, devait ratifier le rattachement définitif du Sahara au Royaume, tout en entrevoyant une ouverture pour ses populations.

On glosera à l’infini sur la relation de cause à effet entre l’accord tripartite de Madrid de 1975 , le retour de Oued Eddahab en août 1979, le Sommet de Nairobi et les autres événements qui s’étaient succédé en cette période, marquée d’un côté par une réalité géopolitique nouvelle et, de l’autre, par les préparatifs que le gouvernement algérien mettait au point, aux niveaux diplomatique et militaire. Le retour de Oued Eddahab procédait d’une volonté rédhibitoire de ses populations dans leur totalité qui ne concevaient et n’acceptaient plus désormais leur existence et leur émancipation sous le régime de la Mauritanie. L’accord de Madrid, qui les avait exclues du giron marocain et leur imposait de vivre sous la houlette mauritanienne constituait pour elles la plus grande et douloureuse frustration.

Avant Ould Salek, la Mauritanie sœur fragilisée

Le contexte géopolitique dans lequel survenait le tournant décisif du 14 août 1979 , autrement dit la cérémonie d’allégeance des tribus de Oued Eddahab – haute en couleurs et forte en symboles – ne prêtait à aucune confusion, il était dominé par une course contre la montre maroco-algérienne. Le pouvoir du président mauritanien, Mokhtar Ould Daddah, chancelait depuis quelques mois sous les coups de boutoir conjugués de l’armée algérienne et du polisario, d’autant plus que les nouveaux dirigeants algériens qui avaient succédé à Houari Boumediene en décembre 1978 ne s’étaient guère écartés de la stratégie de pressions accablantes sur la Mauritanie accusée d’être l’alliée du Maroc. Les pressions exercées contre la Mauritanie de Ould Daddah, allié du Maroc, participait d’une machiavélique vision d’encerclement du Royaume et, bien évidemment, de cette sinistre théorie de dominos…

Un coup d’Etat militaire renversa en juillet 1978 le président Mokhtar Ould Daddah et le colonel Moustapha Ould Salek, chamarré dans son petit costume d’officier,  lui succéda sans encombres. Une nouvelle donne s’était instaurée au sud du Royaume, porteuse d’inquiétude et justifiant une réadaptation géopolitique urgente. Le polisario s’était, armes et bagages , impunément installé à la frontière sud entre le Maroc et la Mauritanie. Il lançait désormais ses agressions à partir d’Akjoujt contre les populations de Oued Eddahab qui se sentaient menacées voire déstabilisées et, élément déterminant, n’avaient de cesse de proclamer leur marocanité ancestrale. Une comparaison s’imposait d’emblée avec l’annexion en 1962 de Tindouf – ville marocaine par excellence – contre la volonté des populations qui affichaient leur attachement au Maroc et qui, sans aucune forme de recours furent incorporées par la France manu militari à l’Algérie.

Le syndrome d’encerclement algérien sur le Maroc

Une telle situation plus ou moins prévue ne pouvait échapper à la perspicacité du Roi Hassan II qui, raison et droit historique obligent, ne pouvait l’admettre. Il en saisissait bel et bien l’enjeu stratégique régional et mesurait à quel point cette nouvelle donne impliquait d’ores et déjà la traduction pure et simple du syndrome d’encerclement algérien. Il n’eut jamais pu s’accommoder de la présence dans cette région des séparatistes, à la solde du pouvoir algérien, une région qui était tout, sauf un « no man’s land »…. Le spectre d’une occupation du Rio de Oro par le polisario le hantait obsessionnellement. De surcroît, il pesait sur les populations, devenues de plus en plus impatientes et agitées…

Nous sommes le mardi 14 août 1979. Arrivés depuis quelques jours à Rabat des villes de la province de Dakhla et de la région, les représentants de près d’une vingtaine de tribus et de sous tribus ( Ouled Dlim, Reguibat, Aït Lahcen , Lâaroussiyine, Izarguiyine, Oulad Cheikh Maa-alaïnine, Ouled Tidrarine, Aït Bâamrane, Mohamed Salem, Bark Allah, Assikab, Tindagha, Fikart et Amghrane ) avaient été reçus dans la cour du Palais royal de Rabat, inondé de lumières, à l’heure où un soleil torride finissait de se couche, laissant place à une lumière bleuâtre et saisissante. Hassan II, dans sa tenue traditionnelle d’Amir al-Mouminine, accompagné de ses deux fils, le Prince héritier Sidi Mohammed et le prince Moulay Rachid, dominait de sa stature la grande cour au bout de laquelle, drapés dans leur tenue traditionnelle , se tenaient en face de lui, compassés les chefs de la totalité des tribus de Oued Eddahab…

L’allégeance, un référendum à caractère constitutionnel…

C’est Cheikh Ahmed Habib Allah Ould Bouh, doyen et Cadi de Dakhla, qui se fait alors leur porte-parole et s’inscrit dans le cérémonial de ses ancêtres pour proclamer au nom de tous les Sahraouis l’allégeance des populations de Oued Eddahab au Roi du Maroc. De la même manière, la technologie en moins, cette allégeance, les tribus sahraouies l’avaient continuellement exprimée des siècles durant aux Sultans, la geste et la solennité hissées, la conviction jamais démentie, enfin le sentiment d’appartenance au Royaume du Maroc affiché sur leur fronton. « Nous nous considérons désormais comme les partisans de Amir Al Mouminine, son soutien et ses soldats(…) pour la noblesse de ses actes, pour ses efforts tendant à la libération de la patrie, à sa réunification et à la prospérité de ses sujets… » avait souligné Cheikh Ahmed Habib Allah dans l’incipit de son allocution.

Ce à quoi le Roi Hassan II, tout à sa lucidité prémonitoire, répondra entre autres : « Nous nous faisons un devoir de garantir votre défense et votre sécurité et d’œuvrer sans relâche pour votre bien » ! Ce fut en vérité une manière de serment sacré, il s’inscrit dans le « Kassam d’al-Massira », irrévocable, imprégné sans aucun doute de ce qu’il y a de plus profondément enraciné dans le coeur de cette vertu dénommée Pacte entre le Trône et le peuple, entre le Roi et ses fidèles. Une dimension quasi messianique qui est au rapport entre les deux ce que l’engagement irréversible est à la fidélité proclamée entre deux forces de la nation. Un Pacte que les Occidentaux et autres n’auront jamais compris.

Hassan II distribua des armes de ses propres mains aux chioukhs

Il convient de rappeler que cette cérémonie du 14 août 1979, n’avait pas seulement une dimension familiale et un caractère de retrouvailles puisées dans la tradition quasi millénaire, elle s’inscrivait dans un contexte politico-militaire interpellateur. Aidé militairement et financièrement par une Algérie par trop dominatrice et manipulatrice, le polisario multipliait ses agressions au Sahara et entendait occuper par la force Oued Eddahab. Le Roi Hassan II , après avoir souligné la volonté du Maroc de ne pas laisser les « fils du Maroc » livrés à eux-mêmes, ni non plus exposés aux agressions, procéda alors à la distribution d’armes, de fusils aux représentants des tribus de Oued Eddahab. Une manière de signifier qu’il n’est pas d’autre solution, en ces circonstances, que d’assurer aussi son autodéfense comme l’avaient fait depuis la nuit des temps ses ancêtres…Le pacte d’allégeance réciproque avait pris alors, après ce geste, une signification qui avait valeur de symbole : il renouvelait le serment prêté par le Roi et par les populations de Oued Eddahab à leur engagement réciproque.

Oued Eddahab refondait le pacte sacré de la Béiâa que le colonialisme espagnol et l’isolement des populations avaient cru en vain occulter voire briser. Oued Eddahab , traduira toujours une sorte de retour aux sources des fondements de l’allégeance telle qu’elle a constamment fonctionné, renouvelant le pacte historique et religieux entre le Roi et les populations, entre celui qui incarne le rôle et la mission d’Amir Al Mouminine et les fidèles, à l’image du verset coranique « Dieu a béni les croyants qui t’ont fait allégeance sous l’arbre » qui décrivait le prophète Sidna Mohammed recevant le serment de la Béiâa à l’ombre d’un arbre…Et l’arbre est à présent symbolisé par l’ombrelle qui « protège Amir Al-Mouminine du soleil »…Sultans et Rois du Maroc ne se sont jamais départis d’une telle tradition, devenue au fil du temps le socle emblématique du règne monarchique. Elle est aujourd’hui inscrite dans la Constitution comme un acte fondateur !

Al Beiâa , confiance et continuité ancestrale du Maroc

Ce 14 novembre 1979, les représentants des tribus du Sahara ont perpétué la tradition en l’occurrence et réitéré leur fidélité à la fois au principe de l’allégeance et au Roi qui la leur rend bien à son tour. Car, l’allégeance procède d’une volonté partagée Des siècles durant, avant même que le colonialisme ne s’installât au Maroc, leurs arrières parents et leurs parents quittaient le territoire et effectuaient pendant des semaines le voyage à Fès ou à Rabat pour faire acte d’allégeance au Roi. C’est sur le principe de l’allégeance et des liens historiques et juridiques que le Maroc a fondé son argumentaire en posant en 1974 le problème du Sahara devant la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye et que celle-ci a rendu un verdict sans appel le 15  octobre 1975…Il est clairement explicité qu’au moment de la colonisation par l’Espagne, des « liens juridiques d’allégeance » ont de tout temps existé entre les tribus du Sahara et le Sultan du Maroc, quelles qu’en fussent les conditions et les circonstances.

Or, l’allégeance illustre, à coup sûr, un pacte de droit , un acte de foi dont les fondements juridiques et partant historique ne se sont jamais, tant s’en faut, accommodés avec le droit occidental, dit positif. La Béiâa incarne, en outre, un dispositif de valeurs religieuses, relevant de l’imamat, qui corroborent aussi les valeurs universelles régissant la politique, la gouvernance voire le comportement de l’homme autant qu’elles défendent la dignité de ce dernier.

Historiquement, et quelle qu’aient été les circonstances, l’allégeance a constitué le fil conducteur par lequel s’est pérennisée la relation de confiance entre les populations du Sahara et les sultans du Maroc, à commencer par les Almoravides, Berbères venus du sud au XIème siècle qui avaient eu le mérite d’unifier le Maroc sous leur coupe, de mettre un terme aux dissidences, d’organiser un Etat centralisé dont les contours géographiques allaient de Tanger jusqu’au fleuve Sénégal. Il n’est pas rare de lire, encore aujourd’hui, qu’à ce titre, la prière du vendredi était dite au nom du sultan du Maroc, à Gao et Tombouctou…Le 5 août 1890, au moment où elles concevaient et mettaient en œuvre leur politique d’occupation coloniale du Royaume , France et Espagne signaient une convention qui, paradoxalement, constitue une preuve à conviction de la marocanité irréversible des territoires convoités : à savoir les oasis du Touat, du Tidikelt, de Gourara, d’Igli et du Saoura à l’est, à proximité de l’Algérie et qui ont été arbitrairement incorporés par la suite par la France coloniale à l’Algérie…Ensuite du Sahara marocain qui, au moment de son occupation par l’Espagne en 1884, n’était pas une « terra nullius », ce que la Cour de justice internationale reconnaîtra le 15 octobre 1975 en rendant son avis…Les signataires de la convention de 1890 parlaient d’un « Maroc dont les frontières s’étendaient de Figuig au Cap Blanc ( Nouadhibou, en Mauritanie) et comprenant Saquia al-Hamra et Rio de Oro » ( Oued Eddahab)

Le dernier territoire du Sahara décolonisé

C’est dire que les populations de Oued Eddahab, non contentes d’avoir appartenu depuis des lustres au Maroc, et d’avoir façonné son histoire méridionale – au même titre que les légendaires Mâa al-Aïnine, les Hiba à Smara, les Aït Bâamrane  à Sidi Ifni ou Moha ou Hammou Zayani dans le Moyen Atlas – , ont toujours eu à cœur d’affirmer leur attachement au Royaume du Maroc. La colonisation espagnole les en a empêchées pendant quelques décennies, peut-être, mais elle n’est jamais parvenue pour autant à détruire leur appartenance . Les tribus qui composent les populations de Oued Eddahab, notamment les Ouled Dlim, avaient des attaches irréversibles dans le nord, à Sidi Kacem et dans le Maroc du nord. Quand l’Espagne s’empara du Rio Oro en 1884 pour y créer la Sociedad de Africanistas y colonistas et s’installa officiellement à Villa Cisneros ( Dakhla) les Ouled Dlim se soulevèrent pendant dix ans en signe de révolte contre cette présence et en écho à la lutte menée plus loin par un certain Ma al-Aïnine à Tidjijka…

Oued Eddahab constituait le dernier territoire saharien à être décolonisé et réintégré au Royaume du Maroc. La cérémonie du 14 août 1979 officialisait ce retour, parce que la Béiâa que les tribus ont présentée ce jour-là au Roi du Maroc signifiait ni plus ni moins un référendum confirmatif, le libre choix et l’option irréversible d’exprimer leur attachement définitif au Maroc. Quelque sept mois plus tard, en mars 1980, le Roi Hassan II s’était rendu à Dakhla pour une visite historique où il avait reçu un accueil plus que chaleureux, délirant et enthousiaste…Cette visite immémoriale , accomplie dans la tradition d’un Roi comme Moulay Ismaïl et d’un Hassan 1er, traduisait ainsi sa volonté de défendre cette province , ses populations et le patrimoine historique du Maroc… Les historiens retiendront donc que le retour de Oued Eddahab au Royaume du Maroc, réalisé avec succès par les populations de la province, est un acte de foi qui entérine définitivement la décolonisation du Sahara et tourne une page controversée .

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