17ème édition des « Mardis du tourisme » et comment Neila Tazi brise le plafond de verre et séduit le public

Hassan Alaoui

La 17 ème édition des « Mardis du tourisme » (MDT), organisée mardi 19 novembre à Casablanca est à coup sûr l’une, pour ne pas dire la plus importante du cycle lancé il y a quelques mois par Othman Chérif Alami, président du groupe Atlas Voyages.

Elle s’inscrit dans le cadre des activités d’échanges que le site – et publication aussi – « Premium Travel New » a mis en place. La conférence de mardi 19 novembre s’était offerte un choix judicieux en la personne de Neila Tazi qui, pendant trois heures d’affilée et face à un auditoire attentif et affichant complet, a tenu le haut du pavé avec une intervention de grande qualité, d’une remarquable profondeur et riche en enseignement.
Après une vive introduction faite par Othman Chérif Alami qui a retracé rapidement le bilan des seize éditions passées, où il s’est réjoui de recevoir une invitée de marque, la parole a été donnée à l’invitée sous les applaudissements d’une salle comble.
Neila Tazi a traité d’un sujet d’actualité brûlante, comme on dit : « Enjeux et défis d’une nouvelle offre culturelle pour les visiteurs ». Présidente de la nouvelle Fédération des Industries culturelles et créatives de la CGEM ( Confédération générale des entreprises du Maroc), parlementaire CGEM à la Chambre des Conseillers, présidente du Festival Gnaoua  d’Essaouira, présidente également du groupe A3 Communication, ardente militante des droits de l’Homme et des femmes , elle incarne plus que tout autre l’avocate engagée de la culture. Nul(le) autre mieux qu’elle n’eût réussi le pari d’évoquer avec pertinence et l’objectivité nécessaire le sujet de la culture au Maroc d’aujourd’hui, tant il est vrai que celle-ci est réduite au carré quasi confidentiel, appauvrie dans sa forme et son fond, démunie avec un budget dérisoire.
Neila Tazi, qui a organisé les 1ères  Assises des Industries Culturelles et Créatives en octobre dernier avec le ministère de la culture, a relevé le défi de détricoter une problématique avec talent, une analyse  menée au scalpel qui n’a épargné aucun aspect ni volet du thème de la culture en général. Un regard spectral , nous faisant cheminer du thème global aux détails et aux recoins : les Musées, les théâtres, les festivals, la vision d’ensemble, le rôle de l’Etat, le secteur privé, de la société civile, la place des monuments, l’histoire et la mémoire collective et tout ce qui constitue les soubassements d’un long parcours de notre histoire et notre mémoire.
Neila Tazi a recouru à un terme et y est revenue à plusieurs reprises avec insistance, celui de la notion du « récit ». Le récit en effet, la force narrative d’un pays et d’une nation, celui d’un peuple et qui est à l’histoire collective ce que le monument signifie et instaure comme un symbole. Sa démonstration – rigoureuse parce que confortée par des chiffres qui parlent d’eux-mêmes – ne fait aucune concession à la complaisance et à la facilité. Aussi, invitée à établir le lien entre tourisme et culture, « enjeux et défis d’une nouvelle offre » comme l’a exigé le thème de la soirée, réussit-elle à relever le pari, celui d’analyser et de convaincre.
D’emblée, elle affirme que 40% des touristes dans le monde « choisissent une destination de voyage à partir de son offre culturelle » et le « touriste culturel » dépense 1/3 de plus qu’un touriste classique. Le constat s’est imposé comme un critère, ce qui lui fait dire que « la culture renforce l’attractivité et la compétitivité des territoires, et inversement que le tourisme constitue un vecteur puissant pour valoriser la culture et procurer des revenus qui contribuent à entretenir le patrimoine ».
Argumentant sur la relation entre tourisme et culture, Neila Tazi a pris en considération les rares études réalisées sur le sujet  (dont 2 par par l’OCDE) dont l’une explicite « que cette relation entre culture et tourisme s’est installée progressivement à partir des années quatre-vingt, avec les sites patrimoniaux, puis l’artisanat, les manifestations culturelles, l’architecture, le design, et plus récemment les activités de création et le patrimoine immatériel UNESCO ». Culture et tourisme sont devenues selon la conférencière « deux exigences complémentaires et croisées », la tendance actuelle dans les destinations tend à  « inclure dans le périmètre culturel les sorties gastronomiques et la dégustation des produits du terroir ».
Neila TAZI explique que désormais la notion de tourisme culturel est un peu dépassée pour laisser la place au « tourisme créatif ». L’enjeu est désormais la créativité du territoire, la capacité à promouvoir « l’Esprit du lieu » et donc  l’expérience touristique dans laquelle la population locale joue un rôle essentiel, d’où la nécessaire démarche d’inclusion, de prospérité partagée.  Dans la foulée, elle a rappelé que « les industries créatives ont été positionnées par les Nations unies en tant que vecteur central pour affronter la crise économique », soulignant implicitement que le tourisme et les industries créatives sont  un vecteur essentiel au développement durable.
Concernant le Maroc et les sites qu’elle considère sous valorisés et sous exploités en raison d’une offre non aboutie et des services  autour trop faibles, elle cite le cas de Volubilis  qui reçoit près de 300.000 visiteurs et qui reste un site prisé. De même elle déplore fortement que ce qu’on appelle le « Mausolée Ibn Batouta » à Tanger, non seulement demeure introuvable dans le maquis de la médina de la cité du Détroit, d’autant plus oublié que ceux qui, après une odyssée dans les fins fonds des ruelles, se plaignent dans leurs commentaires sur les sites de voyages  qu’il n’y a rien de spécial à voir ! Pourtant combien de grands personnages marocains ont réussi comme Ibn Battouta  à marquer l’histoire et la science?
Neila Tazi déplore cet état de choses, nous cite d’autres exemples qui jonchent l’histoire et la mémoire du Maroc, pointe le doigt sur l’importance de changer les choses. Maniant la didactique, un langage de parler vrai, sans fioritures, mais tout simplement elle-même, dominant son sujet, elle partage, elle communique et ne sacrifie à aucune langue de bois.
Comment faire pour y remédier ?
S’appuyant sur les données de l’OCDE, elle rappelle « qu’une politique culturelle et touristique durable ne porte ses fruits qu’au bout de 20 à 25 ans ». Et de rappeler trois cas pertinents qui ont donné la preuve de leur succès : le premier nous vient de la ville de Malaga qui, conciliant tourisme et culture, est devenue en 20 ans synonyme de culture, classée juste derrière Madrid et Barcelone en termes d’offres culturelles. Affilier le nom du grand peintre Pablo Picasso à la magie de la ville de Malaga aura été le secret des responsables de la ville et notamment de son maire, Francisco de la Torre Prados , élu depuis vingt-ans et .personnalité emblématique qui a su concilier avec bonheur les deux vocations. Neila Tazi nous assène cette vérité qu’à présent « Malaga compte 37 musées et accueille plus de 1 million de touristes par an pour une population de 600.000 habitants. »
Le 2ème exemple que la conférencière a présenté est celui de Glasgow, en Ecosse, cité ouvrière par excellence vouée il y a quatre décennies à la récession qui, abritant le célèbre Festival, The Garden Festival, a attiré en 9 mois 5 millions de visiteurs. Le troisième exemple et non le moindre est celui du Gnaoua Spirit, impulsé il y a 23 ans à Essaouira par un groupe d’amis, dont Neila Tazi, et son Festival qui attire des centaines de milliers de spectateurs et connaît un succès fulgurant. Il est à la ville ce que la pompe à oxygène est à un organisme, en cessation d’exister, il procure à la ville et aux populations de nombreuses opportunités. La ville a su culture et tourisme. Essaouira ne cesse depuis d’innover jusqu’à  devenir il y a 15 jours à peine une des 250 « villes créatives » reconnue par l’Unesco.
Il nous faut  aller plus vite et innover
Cette performance, Neila Tazi la voit comme un critère impératif, un modèle devant être exporté à d’autres villes. D’où son souci d’en appeler à la valorisation du vaste patrimoine du Maroc en termes d’architecture, d’artisanat, de patrimoine archéologique. Et de citer 200 sites et monuments historiques dont les plus attractifs sont à Marrakech. Des sites qui ont rapporté quelque 180 Millions de dirhams de recettes en 2018, ceux de Marrakech en tête avec 105 Millions de dirhams. Le Maroc compte, selon elle, quelque 80 musées, des mausolées, des médersa, des universités comme la Qaraouiyine, des parcs archéologiques, des Kasbah, tout un héritage rupestre, des grottes, des lieux de culte…tout un monde silencieux, témoin de notre histoire mais attentif au temps.
Dans sa déclaration, qui est un véritable compendium pédagogique, avec talent et une irascible volonté de démontrer avant de convaincre, Neila Tazi s’est faite l’avocate pro domo, on l’a dit, d’une politique de sauvegarde et de mise en perspective : la sauvegarde du patrimoine et l’ouverture à la nouvelle ère des technologies, du partage et la modernisation des méthodes d’approche et de traitement.
« Il nous faut donc aller plus vite et innover », lance-t-elle du haut de ses convictions chevillées au corps « Avancer tous ensemble et relever le pari ». Et pour commencer, il faut donc relever le défi majeur de dépasser le chiffre de 12,5 millions de touristes atteints, et la culture , dit-elle, constitue l’une des solutions pour atteindre l’objectif du départ, à savoir les 20 Millions de touristes. Car « la culture comme le tourisme sont transversales, elles ont besoin des autres secteurs pour décoller ».
La force de l’argumentaire est ainsi déclinée dans ce propos quasi péremptoire : « Pour que tourisme et culture s’arriment au mieux, deux sujets majeurs s’imposent : mettre les régions et les territoires au cœur de la dynamique ; s’appuyer sur le partenariat public-privé ». Et de lancer ensuite : « Le Maroc avance sur beaucoup de ces questions ; il lui reste à présent à accélérer le rythme, et cela repose sur notre contribution à tous, acteurs publics, élus, professionnels, secteur privé, associations, fondations, société civile, etc… ».
Un succès que cette édition des MDT, une découverte que cette présidente de la Fédération des industries culturelles et créatives de la CGEM qu’elle honore et défend avec acharnement.

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