Société civile : quel engagement pour une action citoyenne solidaire?

Dossier du mois

Témoignages de membres actifs de la société civile et du monde associatif

Pr. Ayad Lemhouer, Président Fondateur, Association Tous Contre l’Abandon Scolaire

La « société civile », ainsi que nous nous efforçons de nous l’imaginer ou qu’on essaie de nous le faire croire, est constituée d’organisations œuvrant dans l’unique intérêt du citoyen et de la communauté, relève plutôt du mythe. Au fil de l’histoire des relations entre gouvernants et gouvernés, dans toute forme de régime, des cellules de citoyens se sont formées pour dénoncer les pratiques et les dérives des décideurs, avec l’objectif de recouvrer l’indépendance, d’acquérir plus de liberté, de faire valoir les droits, d’améliorer les conditions de vie de la communauté, etc.

En s’élargissant, ces cellules décident parfois de se constituer en associations ou en groupes de pression et tentent d’exercer une influence sur le pouvoir public qui a le contrôle de la politique et sur le secteur privé qui a le contrôle de l’économie. Elles réussissent parfois à se constituer en partis politiques, à gagner les élections et à devenir, à leur tour, le pouvoir public. La « société civile » n’est-elle pas plutôt un autre tremplin vers l’acquisition du pouvoir qu’une plateforme exclusivement dédiée à la seule défense des intérêts des citoyens ? Actuellement, tenter de définir le rôle de la société civile ou essayer de délimiter son champ d’intervention relève de l’impossible puisque, avec le temps, la société civile a investi tous les aspects de la vie sociale, en s’attribuant une infinité de rôles dans tous les domaines, sans limites aucunes. Elle semble être partout et sous diverses formes: des minuscules groupes de jeunes de quartier aux grandes organisations non-gouvernementales en passant par les associations légalement constituées ou les groupes sociaux qui utilisent les réseaux sur Internet.

Au Maroc, et depuis l’instauration de l’Initiative Nationale de Développement Humain, la société civile s’est lancée dans le développement communautaire et l’action caritative, puis, suite à l’avènement de ce qu’on appelle « Le Printemps Arabe », elle s’est orientée à outrance dans la dénonciation des dérives décisionnelles et des pratiques politiques, économiques ou sociales jugées inadéquates ou reprochables. Les nouvelles technologies de l’information aidant, la société civile est devenue plus dynamique, plus présente et plus visible.

Cependant, la « société civile » s’est développée de manière telle qu’il devient, de plus en plus, difficile d’en connaître la réelle envergure ou d’en identifier le mode opératoire ou encore d’évaluer les retombées de ses interventions. Avec plus de 120 000 associations au Maroc, d’après les derniers recensements, le pays aurait pu faire un grand pas en avant si chacune de ces associations avait entrepris une et une seule action concrète et utile pour la communauté où elle opère. Ce qui n’est malheureusement pas le cas, puisque la majorité de ces associations a été créée pour des raisons autres que ce pour lesquelles elles sont sensées exister. Parmi les aberrations, on peut recenser dans certains cas autant d’associations qu’il y a de membres dans une seule et même famille.

D’ailleurs, dans l’état actuel des choses, il est parfois difficile de distinguer la « société civile » des formations politiques, et ce pour deux raisons. D’une part, la « société civile » ne semble pas unie et unifiée et ne semble pas poursuivre les mêmes objectifs face au pouvoir public et au pouvoir économique. D’autre part, il est clair que c’est de cette même « société civile » que les formations politiques semblent se nourrir pour renforcer leur présence sur la scène. Par conséquent, comment peut-on parler d’une société civile forte quand ses organisations sont financées soit par l’état dont elle est censée limiter le pouvoir, ou par des groupes d’intérêts, économiques ou idéologiques, nationaux ou étrangers, dont elle est censée contrôler l’influence ? Les notions de liberté et d’indépendance sont exclues de fait.

De facto, il est évident que l’affermissement de la démocratie ne peut se réaliser qu’à travers la « société civile ». De par leur diversité, leur indépendance et la flexibilité de manœuvre, les organisations de la société civile devraient avoir comme première préoccupation le développement du sens de citoyenneté, condition principale pour prétendre s’engager sur le long et épineux chemin vers la démocratie. Prêcher par l’exemple, générer des idées, initier, innover, sensibiliser, impulser, stimuler, encadrer, agir concrètement, évaluer dans la transparence, etc … sont autant d’actions que les organisations de la société civile pourraient faire pour préparer les citoyens et influer sur les mentalités. Dans une vraie démocratie, la société civile devrait bannir certaines notions telles « la charité » et l’ « assistance » et privilégier le partage et le droit à de meilleures conditions de vie. Or le financement des associations reste l’un des aspects les plus controversés. Logiquement, quand une association est créée, ce sont ses membres qui devraient financer son fonctionnement et ses actions. Tout autre financement émanant des pouvoirs public et/ou économique ou d’autres sources devient un facteur de dépendance des bailleurs de fonds. L’Etat a donc tout à fait raison de garder un œil sur les financements occultes de certaines organisations afin de protéger la nation des influences éventuellement né- fastes venant de l’intérieur ou de l’extérieur. De même, le Citoyen devrait lui aussi garder un œil sur le financement de certaines organisations par l’Etat afin d’éviter le risque de dépendance de ces associations des pouvoirs publics.

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