Les Fake news : Une menace suprême contre la démocratie !
Abdessamad Mouhieddine
Depuis la création d’ « Arpanet », l’ancêtre d’Internet, en 1966, par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), des sociologues versés dans la futurologie ont prévu les dérapages possibles d’un système d’information ouvert, accessible à tous et dépourvu de centre névralgique.
Conçu initialement pour le maintien d’un système de communication, en cas de frappes nucléaires, l’ « Arpanet » a engendré le « monstre » technologique qu’est devenu l’Internet et qui a pulvérisé l’information naguère, exclusivement institutionnelle.
Instrument de pouvoir par excellence, l’information est devenue accessible à tous non seulement en termes de consommation, mais également au niveau de la production. Grâce aux réseaux sociaux, chacun peut aujourd’hui produire et partager l’information à sa guise.
Ainsi, les trois milliards d’utilisateurs de réseaux sociaux de par le monde peuvent créer, échanger, partager et répercuter des milliers de milliards d’informations, de jour comme de nuit, en un flux vertigineux qui ne laisse aucune place au filtrage, à l’analyse et a fortiori au moindre sens critique.
Les 16 millions de facebookeurs marocains peuvent ainsi satisfaire, allègrement, leurs pulsions en méga-tberguig tout en inventant, partageant ou répercutant, au gré de leur oisiveté ou de leurs rancunes, autant de rumeurs ou d’informations « fauthentiques », face à leurs écrans d’ordinateurs ou de smartphones, sans craindre quelque censure que ce soit.
Les limites de la rationalité occidentale
Mon vieil ami Hassan Kacimi Alaoui, ex-adepte des cours magistraux de Michel Foucault, se plaît souvent à citer notre Maître. Je m’y essaie ici à mon tour en traitant le sujet de cette menace majeure contre la démocratie qu’est l’universalisation des « fake news ». N’est-ce pas l’auteur de « Les Mots et les choses », l’ami de Michel Serres, de Georges Dumézil, de Roland Barthes et de Gilles Deleuze qui écrivit : « Les limites de la rationalité occidentale sont abyssales ».
Les analyses développées au sein de la chaire de « Gouvernementalité et biopolitique » que Foucault anima, durant deux années (1978-1979), au sein du Collège de France, renseignent, en effet, sur l’étendue du hiatus entre « administrants » et administrés au sein des démocraties occidentales. En un clash flagrant entre « concept et processus ».
Aujourd’hui, « les limites de la rationalité occidentale » sont plus que jamais abyssales, en cela que le monde « des Bâtards de Voltaire » (John Saul) semble avoir définitivement tourné le dos à la Raison. En effet, celle-ci semble à jamais délaissée alors qu’elle fut le rhizome de la modernité engendrée par les Lumières !
Alors que le marché y a triomphé de la démocratie, l’Occident subit dorénavant deux fêlures civilisationnelles dont les dégâts dépassent les promesses, en ampleur comme en profondeur.
La première de ces fêlures aura été la sortie du capitalisme de son antre productive vers la sphère exclusivement financiariste ; et cela mérite une analyse dont ce n’est hic et nunc ni le lieu ni l’occurrence.
La seconde fêlure se rapporte à la globalisation de l’information. Et c’est là notre sujet.
C’est donc cette globalisation de l’information, paradoxalement si perverse et si nocive, qui fait sujet dans ma chronique-ci.
La révolution de l’information qu’Internet a mise crescendo en branle, depuis un peu plus de deux décennies, a enfanté les « Fake news ». Traduisez la formule à loisir et comme bon vous semble : « balivernes », « bobards », « qu’en-dira-t-on de corbeau » ou encore « fausses nouvelles »…etc.
Ce que j’appellerais, quant à moi, « l’industrie de la rumeur » fait aujourd’hui autant de dégâts sociaux, économiques, politiques, géostratégiques ou ethnoculturels que la plus dévastatrice des guerres modernes.
Elle peut disloquer des Etats, des nations, des démocraties, des équilibres régionaux, des cultures, des « vivre-ensemble », des foyers, des carrières et, in fine, l’humain.
Aujourd’hui, les périls naturels les plus apocalyptiques ne peuvent atteindre les préjudices économiques – une « fausse nouvelle » peut pulvériser les principales bourses mondiales ! –, sociaux, politiques, culturels…occasionnés par les « Fake news ».
C’est à la faveur de ces dernières que les démocraties occidentales pâtissent, aujourd’hui, de l’émersion électorale d’un écoloseptique, anti-multilatéral et belliqueux de la trempe de Trump aux USA, que la galaxie dite arabe eût à vivre une cruelle dépression hivernale déguisée en « printemps », que la cosmogonie musulmane a souffert et souffre encore du mortel pathos « qaïdo-daechien ».
Pulsions haineuses
Il suffirait aujourd’hui, en effet, qu’une vulgaire pulsion haineuse soit postée sur les réseaux sociaux, souventement adjointe à d’improbables montages iconographiques type Photoshop, pour que prolifèrent et prospèrent, à la vitesse des clics, les complotismes les plus invraisemblables, les racismes les plus abjects, les antisémitismes les plus insupportables, les révisionnismes les plus nauséeux et, plus couramment, les populismes les plus effrayants !
Les dégâts latéraux et collatéraux des « Fake news » font l’objet, aujourd’hui, d’une foultitude d’études académiques qui en détaillent les incalculables nuisances. Mais, chacun peut en constater, dorénavant, la nocivité dans sa propre vie quotidienne, à commencer par son environnement professionnel ou familial.
Rappelons-nous la « foutaise » des « armes de destructions massives » qu’aurait cachées Saddam Hussein et par l’alibi desquelles des millions de destinées humaines furent passées par « pertes et profits » !
Heureusement que le versant « vertuel » de la technologie virtuelle a fini par mettre en lambeaux la « mère des Fake news » américano-israélienne que fut la « dangereuse imminence des armes nucléaires iraniennes » !
Et puis que de « Fake news » pouvons-nous compter, depuis quelques années, dans notre Maghreb où les « marchands du Paradis », les ennemis de la démocratie et les impérialismes de petite, moyenne ou grande taille, sans compter les mafias à la petite semaine, purent, peuvent et pourront encore s’en servir pour flinguer la tranquillité publique, la culture, le « vivre-ensemble », et jusqu’au pain quotidien des peuples !
Le pire se manifeste à cet égard lorsque les « Fake news » sont déployées parmi des populations culturellement indigentes, donc lamentablement privées du moindre sens critique, souvent immergées dans le tragique triptyque « analphabétisme-fatalisme-fanatisme ».
Nous sommes là, en vérité, au coeur d’un périlleux « bouillon de culture » où s’entremêlent les pires ingrédients du plus inflammable des populismes !
C’est de là que jaillissent les pires jacqueries, les « révoltes oisives », ou ce que d’aucuns anthropologues appellent « les colères de l’ennui » !
Et c’est ainsi que les « Fake news » ont trouvé leurs plus bienveillantes oreilles dans notre béni pays où « un rial d’encens peut parfumer toute une ville ».
Aussi, la rue marocaine a-t-elle pu colporter à loisir des « vertes et des pas mûres » sur untel qui aurait forniqué en dehors des liens du mariage avec unetelle, tel haut responsable qui aurait détourné l’équivalent du PIB ( !) ou –pis !- la personne du Roi qui serait atteinte d’on ne sait quelle rare et incurable pathologie ! Tout cela avec « ouallah », « sources dignes de foi » ou autre « C’est écrit ! » à l’appui !
Avec de telles « Fake news », on peut déstabiliser une nation, l’harmonie culturelle d’un pays, l’existence même d’un Etat, fût-il des plus enracinés, la pérennité des institutions et in fine un « vivre-ensemble » longuement, patiemment et souvent laborieusement construit autour de valeurs communément admises.
En vérité, les « Fake news » existent, depuis la nuit des temps. La Bible et le Coran eux-mêmes en rapportent copieusement à la faveur de la vie des prophètes, des contrées d’antan et des peuplades ayant vécu entre Jourdan et Euphrate. Mais c’est la technologie amplificatrice des réseaux sociaux engendrés par Internet qui, aujourd’hui, en constitue et favorise la toxicité universelle.
C’est aujourd’hui au tour de la démocratie d’en faire les frais. Cet acquis si précieux de l’humanité en pâtit aux registres de la qualité de la représentation – la rue arrachant le pouvoir aux institutions – comme de la pérennité.
Il est temps de s’interroger sur notre capacité à mettre en place les contre-pouvoirs face à la fluidité torrentielle des « Fake news » subrepticement arrivées par le « big-bang » de la globalisation !