Algérie : « La Révolution du sourire nous permet de rêver et d’être aussi grands que nos rêves »

Les Algériens ont, désormais, un nouveau Président qui n’est autre que l’ancien Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune qui a été élu vainqueur avec 58,15% des suffrages, selon les chiffres officiels communiqués par l’Autorité nationale indépendante des élections. Seulement 9,1 millions électeurs ont voté, sur les 24,4 millions d’inscrits sur le fichier électoral, contre 60% des électeurs inscrits qui ont ainsi choisi de boycotter ce scrutin. Cependant, dans les rues, la contestation continue d’élever sa voix contre le régime en place et battre le pavé chaque vendredi, depuis 10 mois.

A la lumière de ces présidentielles, tenues jeudi dernier, MAROC DIPLOMATIQUE s’est entretenu avec l’Algérienne Sarah Slimani, enseignante à l’Université de Boumerdes et Co-directrice des Editions Frantz Fanon.

MD_ En tant que citoyenne algérienne, que représentent ces présidentielles pour vous ?

En tant que citoyenne algérienne opposante au régime actuel, ces élections sont véritablement un non-événement pour nous. En effet, le seul mot qui nous vient à l’esprit est « mascarade ». Aucun des candidats n’a pu faire sa campagne normalement, aucun d’eux n’a pu se rendre en Kabylie ou à Alger. Comment peut-on les prendre au sérieux ? Ils font tous les cinq partie du clan contre lequel nous nous sommes insurgés, ils occupaient des postes de ministres, Conseillers ou autres dans le gouvernement Bouteflika. Ces élections sont, comme le dit bien mon compatriote Mohamed Kacimi,  » de la foutaise« .

Ils auraient pu au moins se soucier des formes et d’investir dans des personnages que le peuple ne connaît pas, mais le mépris qu’ont ces gens vis-à-vis de leur peuple est tel qu’ils nous recyclent l’ancien régime avec les mêmes éléments. Ce sont des élections illégitimes et illégales. Le taux d’abstention est phénoménal, pourtant les autorités avancent des chiffres faramineux. La fraude n’est même plus camouflée, de ce fait le peuple les rejette.

MD_ A votre avis, quels sont les scénarios politiques probables ?

Les scénarios possibles sont nombreux et d’orientations différentes. Ce qui est sûr c’est que le gouvernement en place ne compte pas abandonner ses projets, ce qui nous laisse penser qu’il fera absolument tout pour se maintenir en place. Par contre, on espère qu’il y aura d’autres instances qui pourront faire la différence.

MD_ Le vendredi dernier marque la 43ème semaine de la mobilisation. Jusqu’à quand la contestation sociale pourrait-elle persister ?

La contestation populaire date maintenant de 10 mois et la mobilisation n’a pas diminué d’un iota, au contraire. En dépit des différentes manœuvres mises en place dans l’objectif de déstabiliser le mouvement et l’affaiblir ; manipulations, rumeurs, tentative de division de la population, et j’en passe. Toutefois, le peuple a atteint un degré de conscience politique lui permettant de contrecarrer les stratégies gouvernementales. Aussi, la détermination des activistes du Hirak ne semble pas ébranlée par les nouveaux éléments de la scène politique. Nos objectifs sont clairs : destituer le gouvernement, annoncer une période de transition et installer une assemblée constituante. Sans parler évidemment de la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus d’opinions.

MD_ Quel est le vœu des Algériens aujourd’hui ?

Notre vœu le plus cher est de voir l’Algérie à la hauteur de ce qu’elle mérite.

MD_  Le premier ouvrage au sujet du Hirak en Algérie est apparu en mai dernier, sous votre direction, intitulé « la révolution du sourire ». Plus de de dix auteurs y ont participé, dont des écrivains, des journalistes, des romanciers et des sociologues. Quel est le message clé que cherche à transmettre les auteurs du livre ?

Le livre « La Révolution du sourire  » est un recueil de nouvelles, publié au mois de mai dernier, auquel ont participé 10 personnes, d’horizons et de générations différents. Le but ultime de ce livre est de figer, par l’écriture et la mise en récit, le sentiment de libération extraordinaire que le peuple algérien a ressenti et a chanté, pendant les premiers mois du Hirak algérien.

Pendant des décennies, les voix s’élevant pour la liberté et la dignité étaient très vite étouffées, la volonté de changement était paralysée par une mémoire traumatique d’une Algérie blessée. Mais le naturel révolutionnaire algérien est revenu au galop, en dépit de toutes les tentatives autoritaires. Ces sentiments de fierté était si grand, si constructeur que nous ne pouvions imaginer que des déceptions ultérieures puissent le dissiper. Ce livre témoigne de ce sentiment grandiose, mais aussi de toutes les ambitions du peuple algérien, de son désir de changement et sa détermination inébranlable à recouvrer sa dignité bafouée depuis des lustres.

MD_ « La révolution du sourire », une appellation prometteuse d’un meilleur avenir. Est-ce que c’est le sentiment que vous avez aujourd’hui quand vous suivez l’évolution de la situation politique du pays ?

Cette appellation de Révolution du sourire a fait l’objet d’un nombre d’interrogations. En ce qui me concerne, elle demeure la plus adéquate à notre mouvement, car elle symbolise notre pacifisme sans limites. Mais aussi, notre aspiration à une vie meilleure pour nos enfants, sans devoir sacrifier les nôtres, nous ne voulons aucunement verser dans la violence, conscients que nous serions les seuls perdants.

Aussi, il y a un aspect mythique à ce sourire, celui du grand Larbi Benmhidi, architecte de la révolution de 54. Il a été condamné à mort par la France coloniale, et dans toutes ses photos, il arbore un sourire extraordinaire, illuminé et confiant. Nous voulons justement garder ce même sourire.

MD_ Peut-on dire que « la révolution du sourire » est une réussite ?

La « Révolution du sourire » est un des événement des plus importants de l’Histoire de l’Algérie contemporaine. En marge des acquis politiques auxquels on aspire, l’aspect psychosocial de notre révolution est d’autant plus important, qu’elle a marqué une véritable réconciliation de l’algérien avec lui-même. Elle nous a permis de revoir nos ambitions à la hausse, après s’être déprécié et méprisé durant des lustres, l’Algérien découvre son génie. La Révolution du sourire nous permet de rêver et d’être aussi grands que nos rêves. Pour moi c’est une réussite.

Algérie

Propos recueillis par Yasmine El Khamlichi

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