MD Talks, le cycle de conférences lancé par MAROC DIPLOMATIQUE pour une réflexion stratégique africaine et internationale
Il est de bon aloi de rappeler que l’information et le débat de qualité sont, plus que jamais, un bien public puisqu’il s’agit, bien entendu, d’un rouage important du système démocratique. Et c’est dans cet esprit justement que MAROC DIPLOMATIQUE a lancé, à point nommé, son cycle de conférences de haut niveau, qui ambitionne d’être une plateforme de rencontres, d’échanges, de réflexion, un événement professionnel d’envergure, avec, à chaque fois, la présence d’intervenants et d’experts de grosse pointure pour des débats et des confrontations d’idées fructueux.
Cela ne peut se faire, évidemment, sans entériner une parfaite symbiose entre les participants à ces conférences, en créant de vrais liens relationnels, à travers les échanges d’expériences, en faisant émerger des idées pour une contribution constructive à nos objectifs communs, afin de contribuer, un tant soit peu, à rendre ses lettres de noblesse à une presse de valeur, et participer à alimenter, sainement, les débats pour contribuer au rayonnement d’un Maroc dynamique. D’emblée, MAROC DIPLOMATIQUE a réussi à faire de ce premier grand rendez-vous, à grande échelle, qui a eu lieu jeudi 19 septembre, à l’hôtel Four Seasons Casablanca, une grande réussite qui sera, -nous l’espérons bien- la première d’une longue série. Pour ce premier rendez-vous d’ouverture, l’intégration régionale en Afrique a ainsi été débattue sous un prisme multidisciplinaire puisqu’en plus d’être un sujet à connotation politique, ses ramifications économiques se traduisent par des points de croissance dans le cas des entités intégrées et par la perte de point de croissance, comme tribut de la non-intégration dans d’autres zones du continent. Diplomates, analystes politiques, économistes, experts en relations internationales… étaient donc présents pour débattre de sujets d’envergure sur la question africaine lors de cette première conférence.
« Nous entamons notre cycle de conférence par l’Afrique et le Maghreb et les enjeux qui leur sont consubstantiels et qui constituent de nos jours la trame d’une problématique interpelant les Etats, les gouvernements, l’opinion publique, les sociétés civiles, les organismes et médias, et tout simplement les citoyens », souligne Hassan Alaoui, notre directeur de publication dans son mot d’ouverture de la conférence. Et d’ajouter que « L’Afrique, vaste continent, ne peut se résumer ou caricaturer à des chiffres. C’est un acteur majeur voire suprême par ses femmes et ses hommes, ses cultures et ses combats. C’est un carrefour d’ambitions et de contradictions en même temps ». La rencontre, déclinée en différents panels, ajoute-t-il, a pour objectif de mettre en lumière l’ornière dans laquelle est plongée notre région.
L’intérêt était donc porté sur des thématiques clés qui ont fait l’objet de tables rondes ayant traité du coût du Non-Maghreb, des voisinages et frontières, des obstacles à la paix, des relations avec l’Union européenne… Des
Panels se sont penchés sur des questions bien sensibles notamment si l’Union du Maghreb arabe est un espoir réalisable ou si ce n’est qu’un leurre diplomatique. Bien entendu, on se devait de parler du terrorisme et de la sécurité collective en Afrique, de l’impératif de la consolidation de l’unité du Maghreb pour l’Afrique que nous voulons. Pour cela, on ne pouvait pas clôturer notre conférence sans repenser le modèle de développement économique en Afrique.
Un zoom sur le Maghreb entre guerre impossible, paix introuvable
«Une plus grande intégration au sein du Maghreb, parallèlement à des réformes structurelles plus larges, pourrait être une solution efficace pour relever le taux de croissance à moyen terme des pays concernés», souligne le dernier rapport du FMI intitulé « L’intégration économique du Maghreb : une source de croissance inexploitée ». En effet, la non-intégration économique des pays du Maghreb leur fait perdre des points de croissance considérables. Aussi les pays de la région sont-ils appelés à accélérer ce chantier pour le bien de leurs communautés afin de gagner des points de croissance, mais aussi se prémunir contre les risques de tensions internationales. D’ailleurs le FMI souligne que certains pays du Maghreb sont plus complémentaires entre eux qu’avec leurs principaux partenaires à l’exportation.
Pays limitrophes, riches de leurs ressources sans pour autant avoir leur autosuffisance, ils choisissent de tisser des relations bilatérales fortes avec les pays de l’union européenne, au détriment d’une intégration intra-maghrébine. Par conséquent, les économies des pays maghrébins sont pénalisées, et des pertes en PIB sont constatées chaque année, encore plus que l’année passée. L’absence d’une union maghrébine empêche en effet le développement des échanges de biens, de services, de capitaux, ainsi que la circulation des ressources humaines. Le Maghreb reste ainsi le seul groupement au Monde qui ne connait pas de constructions régionales, le commerce intra-maghrébin est insignifiant avec moins de 3% des échanges. Le Maghreb perd chaque année 2, 5 points de PIB chaque année, il perd également 220.000 emplois par an à cause d’un déficit budgétaire de 350 millions de dollars pour l’ensemble des pays de l’union, laquelle peine à se concrétiser, regrettent les intervenants et experts pour qui, l’aventure séparatiste algérienne dans le Sahara marocain, entre autres facteurs bloquants, est à l’origine de cette absence d’union dans la zone.
C’est dire les opportunités que le Maghreb est en train de rater pour permettre au continent de se mettre sur la voie du développement.
Or dans ces pays que tout rapproche notamment les similitudes culturelles, d’un côté, les peuples appellent à la fraternité mais de l’autre, les frontières terrestres restent fermées, les gouvernements en permanente divergence et des solutions miracles ne pointent pas à l’horizon. Le manque de sécurité et le terrorisme poussent donc chaque Etat à exacerber sa gestion frontalière et être, de moins en moins, enclin à l’ouverture. Que coûte le non-Maghreb au Maghreb, sur le plan économique, politique et social ? Quel impact cela a-t-il sur le continent africain ? Telles sont les questions qui s’imposent donc dans un climat de méfiance et de peur de l’Autre.
La grande question donc est : pourquoi les pays de Maghreb n’arrivent-ils pas à franchir le pas et à réussir leur intégration dans le continent ?
Cette non-intégration régionale impacte directement l’activité économique des pays. « Le coût du non-Maghreb est donc exorbitant, tant du point de vue économique et social et surtout d’un point de vue politique
Il faut noter qu’une banque d’investissement et de commerce extérieur avait été créée avec comme mission d’aider le développement du commerce entre le Maroc, la Mauritanie, la Libye, la Tunisie et l’Algérie, et le reste des pays arabes, ainsi que le développement de projets viables dans les cinq pays de l’UMA.
De fait, cette banque n’a jamais pu accomplir sa noble mission. Dès lors, le Maroc n’a d’autre choix que de se tourner vers ses voisins de l’Afrique de l’Ouest. Une nouvelle orientation qui pourrait être payante pour le royaume d’autant plus que le Maroc se positionne déjà en figure de proue par rapport à ses voisins du Maghreb, lesquels n’ont aucune politique africaine pour l’heure, selon les experts.
Le Maroc, l’Union du Maghreb arabe et l’intégration régionale
Pour cette conférence d’ouverture, nous avons choisi un thème global d’une importance capitale à savoir « Intégration régionale en Afrique » tout en faisant un zoom sur « le Maghreb entre guerre impossible et paix introuvable ». Il va sans dire que pour débattre de thématiques cruciales, il fallait faire appel à des intervenants de renom et des experts en la matière. Ainsi, la conférence s’est déroulée au rythme d’analyses et de recommandations qui ont envoûté l’assistance. Charles Saint-Prot, Directeur de l’Observatoire d’études géopolitiques, OEG Paris, a souligné que l’absence de cohésion régionale conduit à avoir moins de poids pour dialoguer avec les États-Unis, les pays européens ou les autres puissances mondiales pour la défense des intérêts des pays du Maghreb. Pour lui, en Afrique, au lieu d’unir leurs efforts, les pays du Maghreb s’affrontent. De son côté, Mohamed Mbarki, Directeur Général de l’Agence de Développement de la Région de l’Oriental a mis en évidence le fait que l’Union du Maghreb Arabe n’est pas seulement une nécessité régionale mais un véritable enjeu d’équilibre géostratégique mondial. Pour sa part, le politologue Mustapha Sehimi a pointé du doigt la régression de l’entité politique historique et l’état d’inertie dans lequel les pays du Maghreb se noient. Pour le professeur de droit, le risque est que le Maghreb ne soit plus qu’une simple contiguïté géographique aussi faut-il de l’audace et du volontarisme pour aller au-delà. L’économiste et expert en géopolitique, Gabriel Banon a, quant à lui, insisté sur le fait que si l’Afrique ne surmonte pas les défis liés à ses frontières, elle risque de voir se déclencher d’autres conflits et perdre des possibilités de paix et de développement.
Force est de rappeler que l’intégration régionale du continent a été rêvée par bon nombre de dirigeants africains et a donné lieu à la création, en 1963, de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) et de la Banque Africaine de Développement (BAD). Cet engagement a été réitéré, plus tard, dans le Plan d’action de Lagos de 1980 et, par la suite, dans le Traité d’Abuja de 1991 qui envisage, à terme, la création de la Communauté Economique Africaine (CEA). D’autres initiatives, notamment, l’harmonisation des législations commerciales à travers le continent ont contribué à améliorer le climat des échanges et des investissements. Cependant, malgré ces acquis, si le Maroc a pu relever le challenge de son intégration en Afrique, la région du Maghreb reste loin de réussir ce processus qui demeure confronté à de nombreux défis et ce pour différentes raisons.
Et c’est au tour du Colonel Hassane Saoud de démontrer que le Conseil de paix et sécurité de l’Union africaine est un organe de gouvernance sécuritaire dysfonctionnel, inefficace et sujet de réforme.
Zone de libre-échange continentale africaine : Défis et perspectives
Depuis la création de l’OUA (Organisation de l’Unité africaine) et sa transformation en Union africaine, l’entrée en vigueur de la ZLEC, le 30 mai 2019, reste incontestablement l’événement le plus important dans l’Histoire du continent africain. Lancée par les membres de l’Union africaine, ceux-ci ambitionnent de faire de la nouvelle zone de libre-échange continentale le plus grand espace commercial au monde visant à intégrer les marchés africains conformément aux objectifs et principes énoncés dans le Traité d’Abuja lors de la vingt-cinquième session ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine, tenue à Johannesburg (Afrique du Sud) les 14 et 15 juin 2015. Faut-il rappeler que si d’un côté, le continent détient l’une des superficies les plus étendues de la planète derrière le continent asiatique (près de 30 millions de km2), et représente 16 % de la population mondiale (deux fois l’Amérique latine et trois fois l’Amérique du Nord), d’un autre côté, il pèse moins de 5 % du commerce mondial, son commerce intérieur étant fortement balkanisé (6 % seulement du total des échanges entre pays) ? Or au lieu de penser « Afrique » pour le bien du continent, chacun des Etats se focalise sur ses intérêts nationaux.
Dans ce sens, Mohamed H’Midouche, Vice-président exécutif de l’Académie Diplomatique Africaine a expliqué que d’ici là le chemin est encore long et qu’il faudra harmoniser les normes, concevoir des unions bancaires, et éviter la concurrence fiscale entre Etats. Il faudra aussi des infrastructures plus performantes et pour commercer, il faut des routes et des ports. « Voilà pourquoi la ZLEC est une pierre angulaire de l’ambitieux agenda 2063 de l’Union africaine », dira-t-il devant une assistance attentive. De son côté, Nabil Bayahya, Associé Exécutif de Mazars, a choisi pour thème : Mieux entreprendre en Afrique: Entre intelligence économique et communication d’influence. Le consultant international soutient que si les technologies de l’information ont pénétré l’Afrique comme toutes les régions du monde, elles ne sont pas encore aussi complexes et intégrées que peuvent l’être les immenses bases de données disponibles aux Etats-Unis, en Europe, et même en Asie. Dans ces conditions, l’intelligence économique serait-elle un problème davantage qu’une solution pour entreprendre en Afrique ? a-t-il souligné avant de céder la parole à Mohamed Harakat, Responsable de la structure de recherche «Gouvernance de l’Afrique et du Moyen – Orient ». L’intervention de ce dernier a porté sur la diplomatie économique en Afrique et la réforme de l’Union africaine. Pour sa part, Jean-Yves de Cara, professeur à l’Université Paris-Descartes-Sorbonne Paris Cité et à Sciences Po Paris, Juge ad hoc à la Cour internationale de Justice, a captivé l’assistance par son analyse sagace et judicieuse sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne relative au Sahara marocain. En effet, « La juridiction européenne s’immisce dans un différend international hautement politique qui échappe, en principe, à la compétence de l’Union et en particulier de ses juridictions. Elle trouble la mise en oeuvre d’un accord de coopération dans un domaine sensible et important. Ce faisant, dans ce panel consacré aux « défis dans une zone de libre échange », elle illustre l’existence du défi juridique et judiciaire que les négociateurs n’ont pas toujours à l’esprit » précise-t-il.
Défis de la gouvernance sécuritaire en Afrique
Pour débattre des défis de la gouvernance sécuritaire en Afrique, Youssef Chiheb, spécialiste en géostratégie et en développement international, a mis en exergue la nécessité de l’intégration politique de l’Afrique pour sa gouvernance, son développement et sa sécurité. Selon l’intervenant, « le continent est «maudit » y compris par les lois de la nature et par le déterminisme géographique qui a fragmenté son socle en cinq entités géomorphologiquement, historiquement et idéologiquement hétérogènes (le Nord de l’Afrique méditerranéenne, le Sahara, le Sahel, l’Afrique équatoriale et l’Afrique australe. De telles fractures géographiques ne peuvent favoriser des interconnexions et des infrastructures terrestres. La part de la logistique aérienne et maritime ne représente que 19% des échanges commerciaux intra africains ».
Et c’est au tour du Colonel Hassane Saoud de démontrer que le Conseil de paix et sécurité de l’Union africaine est un organe de gouvernance sécuritaire dysfonctionnel, inefficace et sujet de réforme.
Le thème traité par le Président de l’ESJ Paris, Guillaume Jobin, pour sa part, est la sécurité physique et financière et le développement des affaires économiques communes en Afrique en expliquant comment gérer la complexité.
Or l’intégration ne peut être obtenue en adoptant seulement des programmes politiques ou économiques. L’Afrique doit s’unir pour renforcer sa présence sur la scène internationale et répondre aux besoins de sa population, en instaurant une croissance solidaire en vue d’une redistribution des fruits de la croissance. Oumama Kettani, Professeure à l’Université Mohammed V de Rabat, s’est intéressée, elle, à la régulation des champs religieux et cultuels, primordiale pour une conciliation entre l’impératif de cohabitation et les menaces du radicalisme en Afrique.
Abondant dans le même sens, l’intervention de Nezha Bouchareb, Co-fondatrice de l’Alliance mondiale des savoir-faire ancestraux pour le climat (AMSEC) nous ramène à l’évidence que l’Humain et la culture sont des catalyseurs de rapprochement entre les États.
Et parce que le Maroc fait de l’Afrique, de son développement, de sa stabilité et de son émergence une priorité et un devoir dans sa politique extérieure, les investisseurs marocains étendent leurs activités à travers le continent d’autant plus que l’implantation des banques marocaines a eu pour effet de leur faciliter la vie. C’est pourquoi on a fait appel à Brahim Benjelloun Touimi, Administrateur, Directeur Général exécutif du groupe BMCE Bank of Africa, présente dans 18 pays africains, pour nous faire un exposé de ce modèle de réussite et de cette riche expérience. « Repenser le modèle de développement » économique en Afrique, c’est considérer que ce modèle est nécessairement multidimensionnel. Les économistes ne doivent pas rester dans leur ‘’économisme’’ et s’arrêter à la seule dimension économique. Les dimensions sociale, humaine, culturelle voire spirituelle, doivent également être considérées. Pour sa part, le Président fondateur de l’Institut Amadeus, Brahim Fassi Fihri a mis en évidence l’ancrage continental du Royaume.