Entre le conflit et la coopération, le Maghreb de l’ambivalence salutaire
Le Maghreb est en panne. Un verdict qui fait grincer des dents et augmenter les enchères. L’Union du Maghreb arabe, pour sa part, est une structure qui n’a de mérite que le nom qu’elle porte tant il est vrai que, depuis sa création en 1989, ses réalisations se comptent sur le doigt. L’ambivalence consacre un statu quo dynamique qui maintient le Maghreb, comble de l’ironie, sous perfusion. Pourquoi les choses n’évoluent-elles pas ? Comment percevoir les relations entre les acteurs du Maghreb étatiques maghrébins ? Sont-elles des relations passionnelles, comme la majorité en est consciente ? Sont-elles animées par la Realpolitik ou par les comportements schizophréniques de certains ou de tous, comme l’idée a été véhiculée durant les années 1970 ? Sont-elles inspirées par le mythe des origines et le poids de l’Histoire, notamment depuis 1830 et 1881, dates respectives de la conquête par la France de l’Algérie (colonisation) et de la Tunisie (protectorat) ou 1911 et 1912, dates respectives de la colonisation italienne de la Libye et du protectorat français sur le Maroc ? Par la raison d’État cultivant une perception faisant la part belle à l’école réaliste avec ses deux pôles que constituent l’équilibre du pouvoir (de la puissance) et l’intérêt national ? Par les balbutiements d’un multilatéralisme laborieux qui dépend, avant tout, de l’humeur du système international ?
Autant de questions qui décrivent les rapports entre les acteurs maghrébins qui demeurent dominés, malgré les développements survenus depuis 2011, par les relations conflictuelles entre le Maroc et l’Algérie et la passivité calculée de la Tunisie, de la Mauritanie et de la Libye qui avaient bénéficié de la politique des axes, notamment depuis 1983 et 1984, dates respectives de la signature du Traité tripartite de fraternité et concorde, et de l’accord portant création de l’Union arabo-africaine.
Du marchandage comme choix rationnel à l’intransigeance comme obsession
Les acteurs maghrébins utilisent les ingrédients du marchandage en fonction de l’offre et de la demande politique intra-nationale et régionale. L’Histoire commune, les expériences de lutte pour l’indépendance, l’interprétation que chaque acteur en fait, la recherche de l’idéal communautaire sur fond de slogans mélangeant panarabisme, panafricanisme et panislamisme, ont été souvent la cause de l’immobilisme politique qui caractérise l’échiquier maghrébin au lieu de participer à son évolution. Les planificateurs politiques et militaires ont pourtant échafaudé (peut-être sans grande conviction) des scénarios avec l’espoir que le train maghrébin démarre. Tantôt, ils ont mis en veilleuse l’idéologie pour des retrouvailles de courte durée ; tantôt, ils ont privilégie l’économique avec l’espoir qu’il provoque l’effet d’entraînement souhaité ; tantôt, faute de mieux, ils ont jeté leur dévolu sur la politique de wait-and-see. L’attentisme en tant que soupape de sécurité, pour ainsi dire, en attendant des lendemains meilleurs.
C’est dire que l’échiquier politique, diplomatique, sécuritaire et géostratégique maghrébin demeure dominé par ce qu’il est convenu d’appeler ‘confit de rôle’ ou ‘tension de rôle’ entre acteurs majeurs, qui est la conséquence de la prédominance du paradigme de « Joint Survival » par rapport au paradigme de ‘Bitter End’. Ces paradigmes qui correspondent à deux approches de perception de la géopolitique appliquées à la région du Golfe, « Peace through victory » ou « Peace through rough balance of power ». Les acteurs en conflit direct ou par agents interposés, n’arrivent pas à se neutraliser ; il n’y a ni vainqueur, ni vaincu. Ils font leur la gestion du temps et des moyens disponibles sans oser aller plus loin. La suspicion demeure de rigueur.
Pourquoi l’idéal maghrébin n’a pas été concrétisé sur le terrain ? Comment se fait-il que le comportement diplomatique de certains acteurs maghrébins reste assujetti aux réflexes de la guerre froide ou de l’intermittence géostratégique ? Quelle lecture faire du changement de leadership chez certains acteurs maghrébins durant les dernières années (et encore plus récemment, âges, incapacité ou décès obligeant) et ses répercussions sur les relations intermaghrébines et, plus précisément, sur le système de prise de décision ?