Handicaps et troubles mentaux : « le confinement est un vrai parcours du combattant »
La période de confinement est une épreuve pour chacun d’entre nous, et son impact sur la santé mentale des populations, à travers le monde, est conséquent. Mais cette mesure est d’autant plus difficile pour les personnes qui présentent déjà des troubles psychiques ou des handicaps physiques. Rim Akrache, psychologue spécialisée en neurosciences cognitives, intervient auprès d’enfants et d’adolescents en situation de handicap, à la section régionale de Casablanca du Centre National Mohamed VI des handicapés (CNMH). Elle est également membre fondatrice de l’association Ruban d’Espoir dont le but est de promouvoir la santé mentale au Maroc.
Comment l’entourage procède à l’annonce d’une telle mesure à une personne en situation de handicap ou ayant des troubles psychiques et quelles en sont les difficultés ?
Je pense que ce qui rend difficile l’annonce c’est que trop souvent, les parents eux-mêmes sont face à l’incertitude. C’est un défi d’expliquer les mesures prises à cause de cette crise de façon à ce que ce soit assimilé tout en manquant de données. Ils ne peuvent pas alimenter l’angoisse des petits mais c’est la leur qui se ressent. Quelque soit le déficit intellectuel, et même si certains sont plus disposés et ont les ressources nécessaires à comprendre ce qui se passe, l’essentiel est de ne pas les laisser dans le flou. Par exemple, nous avons eu des retours de parents qui ont décidé de ne pas en parler, mais les enfants ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent plus sortir, ou pourquoi ils ne vont plus à l’école. Certains ont montré des comportements agressifs vis-à-vis de leurs parents comme s’ils en étaient responsables, d’où la nécessité de rendre la situation plus compréhensible en fonction de la nature des troubles dont les parents sont les meilleurs connaisseurs. Bien sûr, l’accompagnement par les spécialistes est indispensable, et plusieurs capsules vidéo ont pour but de leur donner des conseils. Nous les avons publiés et envoyés individuellement lorsque les difficultés ont été exprimées.
Comment ces personnes réagissent-elles aux mesures de distanciation sociale ?Ailleurs, beaucoup de spécialistes se sont interrogés sur les inégalités que cette crise risque d’amplifier, notamment pour les personnes en situation de handicap, espérant là, qu’il y aura un avant et un après. Pour autant que nous soyons en mesure d’appliquer les recommandations des institutions sanitaires internationales de façon aussi efficace, avec un grand sens de la collectivité, je pense qu’il est temps pour le Maroc de s’intéresser aussi à cette population précaire et à son quotidien, et d’adapter ses réponses à tous les publics… de prendre en compte ses difficultés. Ces personnes sont déjà confinées depuis longtemps et ce n’est pas la distanciation sociale qui risque de leur poser problème. Nous avons eu un message très touchant d’un monsieur sourd et malvoyant qui a perdu une prothèse dentaire et qui ne savait pas vers qui se diriger pour être “soigné gracieusement” disait-il.
Quels conseils donneriez-vous à ces personnes ?
Le confinement devra être strict parce que pour les accompagnateurs et les aidants, on ne peut pas parler de distanciation sociale alors qu’ils s’occupent de personnes ou d’enfants en situation de handicap qui manquent d’autonomie et nécessitent cette proximité.
Et tant que nous n’avons pas encore de visibilité sur la fin du confinement, il s’agira pour les parents de relever le défi de continuer la prise en charge, à la maison, tout en tenant compte des conduites conseillées par les soignants, les orthophonistes, les kinésithérapeutes ou les psychométriciens. Lorsqu’il s’agit d’un enfant par exemple, il est important de programmer des sessions d’apprentissage pour éviter les régressions, même si ce n’est pas facile. Beaucoup de professionnels se sont mobilisés pour préparer des documents, des vidéos, et des dispositifs de télé-consultation pour pallier ce problème et ne pas repartir à zéro, une fois cette crise passée. Les enfants pourraient également faire face à l’ennui et à l’incompréhension. Il faudra leur créer un environnement harmonieux auquel il sera plus facile de s’adapter. Concernant les personnes qui souffrent de maladies mentales, on recommande de ne pas se laisser submerger par les informations anxiogènes et de préserver le lien social pour ne pas les fragiliser davantage. Leurs familles devront assurer la continuité des soins par téléphone pour qu’il n’y ait pas de rupture au niveau de la prise en charge.
Existe-t-il suffisamment de structures adaptées au Maroc ?
Il y a énormément d’associations dédiées à la prise en charge du handicap. Pour la plupart, c’est la scolarisation qui prime sur la prise en charge médico-psychologique parce qu’il s’agit pour ces organismes de répondre au refus des écoles d’accepter les enfants en situation de handicap, en créant des classes spécialisées. D’ailleurs, souvent, ce sont des parents qui ont eu cette expérience qui prennent l’initiative de s’engager là-dedans. La section régionale de Casablanca du Centre National Mohammed VI des handicapés offre, pour la première fois, un large panel de soins en s’organisant autour de 6 pôles : un pôle administratif, un pôle social qui accueille les familles, un pôle médico-social offrant différents types de consultations (avec médecin, psychologue, pédopsychiatre, dentiste, orthophoniste, kinésithérapeute et psychométricien), un pôle socio-éducatif organisé en plusieurs classes spécialisées visant l’intégration, un pôle d’insertion professionnelle et enfin un pôle sportif. L’idée est vraiment de proposer une prise en charge pluridisciplinaire et d’accompagner un enfant jusqu’à l’insertion à l’âge adulte
Concernant les services psychiatriques, on constate d’importantes lacunes, peut-on considérer qu’il y a quand même eu quelques améliorations ?
Bien sûr, l’état des services psychiatriques n’a rien à voir avec ce que les mausolées comme Bouya Omar étaient avant que leur fermeture ne soit effective en 2015. Certes, il existe des lacunes mais il y a beaucoup d’amélioration aussi, notamment en ce qui concerne la qualité des soins, et la capacité litière. Malheureusement, les résidents sont très souvent abandonnés par leurs familles, et ne peuvent compter que sur la mobilisation de la société civile pour améliorer ce qui ne dépend pas des hôpitaux, et sur les associations aussi pour réclamer que la santé mentale soit considérée comme une priorité pour les projets futurs. Je pense aux infirmiers et aux infirmières de l’hôpital Errazi à Berrechid qui proposent plusieurs ateliers aux patients (confection, dessins, psycho-éducation des familles) et qui en prennent vraiment soin. Les images ne sont pas souvent révélatrices d’une réalité inespérée compte tenu de ce qui se faisait il y a quelques années.
Parlez-nous de Ruban d’Espoir
L’association Ruban d’Espoir agit sur 3 niveaux, d’abord au niveau de l’amélioration des conditions matérielles et immatérielles aux seins des services psychiatriques, et des organismes dédiés à la santé mentale et psychique, ainsi qu’à l’accompagnement de personnes en état de détresse psychologique. Il s’agit également de lutter contre les idées reçues et la stigmatisation des maladies mentales pour faire valoir la différence, et enfin la réinsertion socio-professionnelle des patients stabilisés. Ce dernier objectif semble encore difficile à atteindre si on ne rompt pas définitivement avec les nombreuses discriminations et les préjugés qui tiennent leurs racines dans la peur de la maladie mentale qui renvoie à la vulnérabilité de chacun, et qui est universelle (on retrouve le même type de stigmatisation dans d’autres pays), mais également à la culture imprégnée de superstition, de sorcellerie et de possession.