Pourquoi Biden a-t-il limogé Moncef Slaoui, un leader scientifique ?
Hassan Alaoui
La « démission » forcée sur ordre de Joseph Biden du chercheur maroco-américain Moncef Slaoui du programme national américain Warp Speed n’est qu’une surprise à moitié, comme on dit.
A la limite, elle eût été une autre surprise si le nouveau président américain élu le 3 novembre avait décidé de le maintenir à la tête du projet de lutte contre la Covid-19. Or, il n’a pas attendu d’accéder au bureau ovale de la Maison Blanche le 20 janvier prochain, qu’il s’est déjà précipité pour « débarquer » le scientifique auquel la presse des Etats-Unis et du monde entier n’a cessé de tresser des couronnes, louant ses travaux et ses compétences. Le moins que l’on puisse dire est que la décision prise par Joe Biden de le démettre de sa fonction pèche par un esprit revanchard. Autrement dit, il agit comme son prédécesseur, Donald Trump, auquel il a été constamment reproché de dénoncer à son arrivée à la Maison Blanche en 2016 des décisions majeures adoptées par Barack Obama.
Joseph Biden qui ne peut savourer une victoire complète après son élection le 3 novembre dernier – et pour cause ! – peut-il justifier le limogeage brutal de Moncef Slaoui, autrement que par l’appartenance de ce dernier à une époque et surtout à un homme, en l’occurrence Donald Trump ? Pourtant la stratégie de lutte contre la pandémie de la Covid-19, la campagne de vaccination qui n’a pas encore réellement commencé n’appartiennent nullement à l’héritage républicain du président sortant, encore moins au scientifique désigné à la tête de la lutte contre la pandémie…En d’autres termes, la décision du nouveau président américain s’apparente à une volonté d’écarter tout ce qui est bon pour l’Amérique, ou pourrait l’être. Moyennant quoi, le monde entier retiendra plutôt une politisation extrême de la bataille contre la Covid-19…L’Amérique totalise, il faut le rappeler, près de 23 millions de cas et plus de 400.000 décès par la Covid-19. Biden lui-même a bel et bien joué sur la corde sensible de la pandémie pour battre campagne contre son adversaire républicain, jouant des symboles et de la partition du port de masque…
Moncef Slaoui, un homme de science et de recherche, n’a pas été adoubé par Trump, il ne lui doit aucune allégeance. Il se prévaut à juste titre d’un profil international. Son engagement scientifique, la quête de vérité qui est son trait saillant, sa passion pour la recherche et son dévouement pour l’Amérique lui épargnent toute critique et surtout celle d’appartenir ou de faire allégeance à un parti quelconque. Il eût pu être désigné avec le même critère par Joseph Biden, nouveau président démocrate, en principe soucieux de compétences et de l’intérêt majeur pour son pays, transcendant les clivages et autres querelles byzantines. Manque de pot, Biden semble verser à son tour dans la même propension d’excommunicateur reprochée à son prédécesseur. Serait-il alors hanté par l’ombre de son adversaire républicain, qui en l’espace de quelques mois et à la stupéfaction de tous a fait tomber et vaciller l’architecture de tous les accords importants souscrits par son pays lors des dernières années ?
Si l’on s’en tient à la décision de faire démissionner le Dr. Slaoui , attribuée, a-t-on dit, au staff de Joe Biden, elle ne justifie guère a priori l’arbitraire d’une administration démocrate, certes souveraine, mais sectaire à coup sûr. La tentation est grande d’y voir le spectre d’un jeu partisan moribond et en particulier une propension vengeresse contre le président sortant. C’est dire que républicaine ou démocrate, la gouvernance reste tributaire des enjeux politiciens. Et Moncef Slaoui n’en est que le malheureux miroir grossissant. Le président Joseph Biden a été mal élu, quand bien même beaucoup se réjouissent de son arrivée à la Maison Blanche. Celles et ceux qui attendent de profonds changements de la politique américaine en prendront pour leurs grades, tant il est vrai que seules quelques milliers de voix séparent les scores entre les deux candidats, le vainqueur l’ayant emporté de justesse en Georgie, dans le Wisconsin, l’Arizona et la Pennsylvanie. Mieux : Biden sera très mal mené au Sénat où prédominent les républicains, comme il sera fragilisé à la Chambre des représentants. Or, Donald Trump a obtenu quelque 10 millions de voix de plus que lors de sa première élection en novembre 2016, ce qui constitue un précieux supplément d’âme à ses yeux et un motif de rugir de nouveau…
Paradoxalement la victoire de Joe Biden, qui n’a rien d’éclatant, ne console pas pour autant ses partisans, peu convaincus a fortiori de sa détermination, mais elle ravive en revanche la mobilisation des adversaires républicains, à leur tête, rasséréné, un Donald Trump, qui ne s’encombre d’aucun principe pour se lancer dans une nouvelle campagne électorale, prévue dans… quatre ans ! On peut considérer in fine que le limogeage du Conseiller et chef du programme anti-Covid-19 qu’aura été depuis le mois de mai dernier Moncef Slaoui ne présage aucun changement majeur des mœurs politiques et partisanes à Washington. Serait-ce en revanche un signal, le début de futurs chamboulements inhérents aux alternances politicienne dans les dédales des majorités interchangeables ?