L’État-nation en danger
À la suite d’une procédure lancée par un certain nombre d’associations (Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous et la Fondation pour la nature et l’homme), le tribunal administratif de Paris a considéré, le 3 février 2021, que l’État français est fautif pour s’être montré incapable de tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre.
Le tribunal condamne donc les «carences fautives de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés». L’avocat Régis de Castelnau rappelle que «Dans ses divers engagements internationaux, notamment lors des accords de Paris, la France s’est engagée à limiter ses émissions de gaz à effet de serre, pour atteindre un bilan neutre en 2050… Ces objectifs n’ont pas été atteints et si de ce point de vue, la carence est incontestable, pour autant appartenait-il au juge administratif de la constater et de la sanctionner, en prétendant ordonner à l’État ce qu’il doit faire ?»
Certes, le système français donne au juge administratif le pouvoir de sanctionner judiciairement la puissance publique. Mais, précise Maître de Castelnau «ce pouvoir relève essentiellement et avant tout du contrôle de la légalité de ses actes et de l’indemnisation des conséquences de ses fautes. Pour prendre un exemple particulier, dans la fameuse affaire de l’amiante, l’État a été condamné à indemniser les victimes de l’usage de ce produit dangereux pour n’avoir pas pris les mesures d’interdiction de celui-ci dès lors que cette dangerosité était scientifiquement connue. La faute précise résidait bien dans cette abstention, mais elle put être constatée et sanctionnée dès lors que la juridiction était saisie par une victime au préjudice incontestable. Rien de tel dans la décision concernant le cas des effets de serre puisque c’est bien une carence générale que le juge a constatée en relevant que l’État n’avait pas atteint les objectifs qu’il s’était lui-même fixé. Quant au préjudice en lien avec cette carence, il est pour l’instant complètement hypothétique, et les associations demandeuses à la procédure n’en ont subi aucun».
Il faut rappeler que le pouvoir légitime à conduire l’action publique est celui de l’Exécutif. Le juge administratif n’a pour mission qu’arbitrer les conflits entre les citoyens et la puissance publique. Il ne peut – ni ne doit – se substituer au pouvoir exécutif dans la définition des politiques publiques sinon nous sombrons dans le «gouvernement des juges». Pourtant, le juge administratif n’a de cesse d’amoindrir le rôle de l’exécutif. Ainsi le Conseil d’État annulait-il en 1978 une décision de Raymond Barre – alors Premier ministre – suspendant le désastreux regroupement familial voulu par Chirac, ou le même Conseil d’État annulait en janvier 2021 une décision du gouvernement Castex arrêtant (pour cause de pandémie) le regroupement familial. Bien sûr, le juge peut compter sur le régime pour amoindrir la place de l’État, par exemple quand Macron demande à la firme états-unienne Mc Kinsey, avec laquelle, selon France Info, il entretient des liens étroits, d’intervenir – en lieu et place des agents publics dont c’est pourtant le rôle – dans la campagne de vaccination mise en place par l’exécutif ! C’est le même Macron qui répète sans cesse qu’il a fait le choix d’une stratégie «européenne» alors que la gauleiter allemande de la commission européenne est obligée de faire un mea culpa (La Croix du 5 février) et de reconnaître les lacunes de l’Union européenne en matière de gestion des vaccins.
Dans ces conditions, écrit encore Régis de Castelnau, il ne faut pas s’étonner que les taux d’abstention aux élections deviennent parfois vertigineux. Décidément, le système républicain est bien malade. Faut-il rappeler qu’en France au moins, c’est l’État et l’État seul qui est comptable de l’intérêt national et, toujours à l’opposé des idéologies totalitaires, est en mesure de préserver le bien commun et la dignité des citoyens.