Le Maroc change Messieurs les députés !
Par Hassan Alaoui
A quelque vingt-deux jours des élections législatives prévues le 8 septembre prochain, nous en sommes encore à nous interroger. Oui ou non , leur date serait-elle tenue et respectée ? Ne fût-ce que parce que la pandémie du Covid-19, au rythme accablant qu’elle connaît , représentera la menace la plus mortelle pour les votants. Le scrutin du 8 septembre représente en effet un enjeu significatif, à la fois pour les partis politiques, les institutions d’une manière générale, les citoyens et la démocratie enfin . L’autre dimension est, à coup sûr, l’alternance politique qu’il est censé incarner.
Depuis des mois, en effet, on ne cesse de nous rebattre les oreilles que la portée décisive de ces élections appelées à changer la donne, autrement dit à conforter de nouveau le Parti de la Justice et de la démocratie (PJ) ou à le voir remplacé par une autre majorité. Le jeu des hypothèses préélectorales , qui a constitué depuis toujours le sport national, semble cette fois-ci moins agressif qu’il ne l’a été par le passé. A croire que ces élections intéressent peu les amateurs de scénarios et moins encore des électeurs dont les préoccupations sont à coup sûr ailleurs.
Un post sur Facebook de mon ami Allal Sahbi Bouchikhi, cinéaste lucide, a retenu mon attention , car il fait état – dans le cadre d’une discussion avec un autre ami – de la critique situation politique du Maroc et de l’esprit qui règne avant ces élections du 8 septembre. Si Allal traduit avec rigueur et conviction cette culture de l’interrogation justifiée qui nous interpelle. En gros, se demande-t-il , pourquoi voter, et pour qui encore : pour un Radi, 87 ans, dix-sept fois député qui a inauguré le premier parlement en 1960 et qui y règne encore soixante-deux ans plus tard ? Un Chabat qui a vendu son âme et opère un come-back désastreux, un Mohamed Aboudrar qui a transité en moins de vingt jours du PAM à l’USFP en passant par le Mouvement populaire, et ce PJD qui est à la tête du pouvoir depuis onze ans et qui ne désespère pas de rebeloter , devenu une monarchie dans la Monarchie ?
Des alliances contre nature , évidemment . Le phénomène de transhumance qui, chez nous et depuis belle lurette, prend une propension plus qu’inquiétante, dévalorisant et les partis politiques et certains de leurs membres. Les uns et les autres s’en accommodent bien entendu, et beaucoup d’entre eux, appelés par la loi de l’âge et de l’usure, s’accrochent tout de go au pouvoir, à la tête de leur parti ou par une alliance bidon avec un parti considéré comme gagnant, à tout le moins membre d’une coalition gagnante. Le maintien ou le retour de « vieux chevaux » prive ainsi des centaines de jeunes espoirs à briguer ou simplement espérer faire de la politique.
Un vieil ami m’a assuré dans la foulée qu’au Maroc, « nous arriverons certainement à bout du Convid-19, mais jamais de cette autre pandémie appelée gérontocratie qui s’accapare du pouvoir ». Et si nous avions encore besoin d’une preuve supplémentaire d’une situation politique figée, à la limite d’une impasse, c’est bel et bien de ce double constat navrant : un PJD qui gouverne pendant dix ans et qui ne s’inscrit dans aucun autre esprit que durer, en face des partis inamovibles à force de suivre le jeu assassin du « durer et suivre », enfin une opinion publique abusée et désabusée. Le dénominateur commun à toutes ces forces, c’est l’inertie. Une phase nouvelle de la vie du Maroc ne pourrait jamais s’ouvrir tant que ces forces inertes sont à l’œuvre.
Nous savons par expérience que l’alternance politique doit commencer au sein des partis eux-mêmes , en permettant aux jeunes de prendre la relève et en main le destin de ces derniers, en insufflant l’esprit d’une démocratie ouverte aux nouvelles compétences dont les jeunes cadres débordent. L’accaparement des postes de responsabilités par les mêmes, pendant de longues années, a fini par user les espoirs des jeunes et à briser leurs ambitions. L’USFP n’a-t-elle pas d’autre candidat à présenter dans la région de Kénitra que le même latifundiaire ?
Les Marocains veulent à coup sûr voter en faveur de l’alternance et n’ont que faire des discours lénifiants de leaders qui n’ont plus l’étoffe exigée ou de politologues en train de couper les cheveux en quatre pour nous fourvoyer ! Ils nous reprennent à l’amphigouri, et hormis quelques uns comme le RNI qui a chiffré son programme au détail près, personne ne s’est soucié de dresser un bilan un tant soit peu objectif et correct de son parti. D’où la tiédeur ahurissante qui caractérise une campagne terne , marquée au sceau de l’inquiétude sur fond de Covid-19, ponctuée par des logomachies, des fausses alliances, des abandons, un opportunisme cacophonique…
Il existe dans le Maroc d’aujourd’hui deux majorités : la première constitue le gouvernement avec une diversité de partis en quête d’une inconstante harmonie, et de l’autre tenant lieu à la fois de force sociologique et cabinet d’opposition, une majorité qui s’active dans la marge, joue le rôle d’un lobby , fait entendre sa voix, s’allie le cas échéant à la société civile, aux syndicats…Dois-je donc me résoudre à cette conclusion désespérée de mon ami Si Allal Sahbi Bouchikhi que « rien ne changera… » ! C’est la fameuse phrase de Salina, héros du « Guépard » de Lampédusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change ! »