Justice et démocratie: les Marocains se mobilisent
Force est de constater que, dans notre pays, sur le plan de la promotion des valeurs humaines fondamentales de dignité et de liberté, du vivre-ensemble, de la solidarité envers les plus démunis, c’est véritablement la société civile qui s’impose comme une véritable force en action et un véritable moteur de changement. Les initiatives, comme Ftour pluriel, qui mobilisent toute une magnifique jeunesse pour distribuer des centaines de repas en cette période de ramadan ; la vague de solidarité qui a déferlé pour aider Fouzia, la jeune femme handicapée violée par son neveu et aujourd’hui, mère d’un enfant né de ce viol, une solidarité qui a permis de récolter, en moins de 48h, plus de 203.531 dhs ; la révolte qu’ont suscitée les agressions, à Inezgane, de deux jeunes filles harcelées pour leur tenue vestimentaire et, à Fès, d’un jeune homme pratiquement lynché pour être homosexuel ; les manifestations qui ont eu lieu, ce 6 juillet, à travers le pays, pour revendiquer le respect des libertés individuelles : les actions et réactions ne se comptent pas pour contrer l’injustice et lutter contre des violences dans lesquelles d’aucuns voient se profiler le spectre de l’extrémisme religieux.
Parmi ces actions et réactions, on compte, aussi, la création, sur Facebook de groupes non seulement de réflexion mais réellement militants et activistes. Après les récents événements d’Inezgane et de Fès, au lendemain de la manifestation du 6 juillet, un groupe baptisé « Les modernistes, Al Hadatyoune », a ainsi rassemblé, en 2 jours, près de 3000 personnes, et les demandes de rejoindre le groupe, qui a pour slogan « Vivons libres et ensemble », ne cessent de pleuvoir. Un groupe ou un mouvement qui appelle au respect des différences qui font la singularité même du Maroc et à la responsabilité civique, « pour un projet de société humaniste, moderniste et pluraliste ! »
Pour la réalisation d’un tel projet, il s’agit, déclarent les fondateurs sur le site, de « Réagir, agir…ou périr, tel est le choix qui se pose à tous les partisans d’un Maroc ouvert, respectueux des libertés individuelles et attaché au Vivre-Ensemble. Le moment est crucial, non pas pour quelques-uns d’entre nous mais pour notre société tout entière, dont l’héritage, le patrimoine fait d’ouverture, de diversité est gravement remis en cause… Par trop de silence, d’atermoiements, de renoncements, d’égoïsme, les « modernistes » – c’est-à-dire ceux qui souhaitent et accompagnent le progrès « intelligent » sans pour autant renier les valeurs constitutives de notre identité – ont laissé la parole aux tenants du repli et du rejet de l’Autre. Il est temps de (re)trouver la parole, de (re)tisser le lien social, de faire preuve de pédagogie, en direction de nos concitoyens –tout particulièrement la jeunesse, la classe moyenne – moteurs de notre société – pour produire du sens, offrir un choix, ouvrir une autre voie : celle du mieux-être, pour l’ensemble de notre population ! (…) Convaincus que la mission est immense mais nécessaire et possible, nous unissons nos compétences, notre volonté, nos forces…pour les mettre au service de ce projet. De la culture, à l’indispensable participation au vote, en passant par l’action concrète et mobilisatrice, nous nous engageons pour ce Maroc « de toujours » qui aujourd’hui a besoin de nous tous pour retrouver ses couleurs. Les couleurs de la diversité, du vivre ensemble et des libertés individuelles et collectives ! »
« Indispensable participation au vote » : c’est malheureusement là que le bât blesse. Car, si tout le monde est d’accord pour dire qu’il n’est plus question de déserter les bureaux de vote et que les citoyens doivent prendre leur responsabilité en endossant leur rôle de véritables acteurs politiques pour une démocratie en marche, le désarroi reste grand face à cette question que chacun se pose : voter oui, mais pour qui ? Quel parti représente aujourd’hui ces idéaux, ces valeurs d’un Maroc ouvert, libre et fier du pluralisme qui le caractérise ?
Une question fondamentale, qui nous renvoie à cette amère réalité : la démocratie ne se résume pas à l’accès aux urnes, et l’Histoire nous l’aura assez prouvé ces dernières années où, comme par hasard, nombre de pays arabes se sont vu offrir une pseudo démocratie qui a ouvert la voie aux islamistes, puis à la dévastation que l’on connaît. C’est donc le concept même de démocratie, largement galvaudé, que la société civile, par ce désarroi qu’elle manifeste, questionne aujourd’hui. Et elle a raison. Car la démocratie n’est pas une creuse mise en scène destinée à leurrer les esprits en leur donnant l’impression d’un quelconque pouvoir ou libre-arbitre. Et il serait temps de donner à ce principe démocratique le sens qui lui revient, par-delà l’instrumentalisation électorale.