Un modèle de ville intermédiaire: L’UM6P Benguerrir ou l’histoire d’un pari fou

Farida moha

A Kisumu , troisième ville du Kenya se tient le Sommet Africités9  réunissant président,  ministres , leaders et élus des Collectivités locales du continent  sous le thème « la contribution des villes intermédiaires d’Afrique à la mise en œuvre de l’agenda 2030 des Nations unies et de l’agenda 2063 de l’union africaine ». Les villes intermédiaires  qui jouent le rôle d’amortisseur  des flux de migration accueille aujourd’hui un peu plus de 30% des populations urbaines et sont à la base des économies locales  qui structurent les relations entre le monde rural et le monde urbain .Au Maroc, l’un des exemples les plus emblématiques de l’émergence de la ville intermédiaire  nous est donné  par la ville de Benguerir  qui, grâce à la création de l’UM6P, est devenue une référence. « Maroc diplomatique » a rencontré Hicham El Habt,  président de l’UM6P, l’un des acteurs de l’émergence de ce pole d’excellence.

Comment lui donner vie et rendre attractive une ville banlieue située à moins d’une centaine de kilomètres de Marrakech, ville phare qui attire toute la lumière ? C’est tout le pari fou, qui, aujourd’hui sert  de cas d’école pour le Maroc tout entier et au-delà pour l’Afrique. Un pari porté par le savoir et l’innovation , lancé par une équipe de décideurs économiques, à leur tête Mostafa Terrab et politiques avec Fouad Ali-El Himma ,une équipe décidée à rendre attractive Benguerir qui, il y a un peu plus d’une décennie était encore un « patelin » de quelques milliers d’habitants  dont très peu disposaient de l’électricité.

Un patelin  situé dans une morne plaine écrasée de soleil et de poussière  avec pour seule activité l’extraction du phosphate …C’est précisément l’OCP  ( l’Office chérifien des phosphates) qui disposant  d’un millier d’hectares de foncier va lancer  en 2009 le projet de création de la Ville verte Mohammed VI avec l’idée sous jacente que les phosphates étant un bien commun, il fallait faire profiter les citoyens de ses recettes. Restent les questions de fond. Comment rendre la ville attractive et au-delà de l’attractivité, thème central de la littérature géographique, comment conjuguer des questions clefs comme celle relative aux bassins  d’emplois, de la qualité de vie et de l’animation de la ville, au développement durable ?. Comment à partir du territoire des Rhamnas attirer une élite scientifique, la retenir en encourageant  l’implantation de nouvelles structures publiques et privées, des capitaux et  des personnels hautement qualifiés ? « En offrant nous confie Hicham El Habti, pour libérer les énergies et les talents un  cadre de vie de qualité, des espaces publics de proximité, et des équipements de pointe  qui favorisent les échanges avec  les plus grandes universités du monde, de Harvard à Columbia, en passant par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)pour les 3500 étudiants dont les  deux tiers sont boursiers ? »

En d’autres termes, si  l’armature  de la ville  devait être au centre de l’attention, il faut multiplier les initiatives  à mettre en œuvre  pour inventer un cadre de vie attractif  pour les jeunes étudiants, le corps professoral et les chercheurs. Avec son cadre d’étude au niveau mondial, avec ses infrastructures sportives de pointe, conçu par des architectes de renommée mondiale Ricardo Bofill et Elie Mouyal   le campus de l’UM6P est devenu le cœur de la future ville verte qui, à l’orée 2050  devrait atteindre 100 000 habitants et autour de laquelle tout va se dérouler. D’autres projets sont à l’étude afin de muscler l’offre, un hôtel, des restaurants, des clubs sportifs, une école américaine…Il reste cependant une interrogation de fond teintée d’inquiétude de voir le campus évoluer « hors sol » du reste de la ville  ..

L’UNIVERSITE EN INTERACTION AVEC LES ELUS ET LA POPULATION

A cette question, Hicham El Habti, président de l’UM6P souligne que « la notion d’attractivité d’un lieu est liée à une grande variété de contenus : environnement économique, interactions entre les acteurs et pouvoirs publics, exploitation et approfondissement du champ  des spécificités locales, positionnement par rapport aux autres villes » Il ajouté que dans un premier temps « nous avons voulu  établir une connexion forte avec les autorités de la ville en signant en 2021 une convention  avec le gouverneur portant sur la contribution de l’Université à l’éducation entrepreneuriale de l’écosystème économique. Avec l’école d’intelligence collective  qui a développé un modèle  de performance  pour coacher les équipes , les étudiants et chercheurs partagent  au cours des session de formation  avec les élus les nouvelles pratiques de démocratie  et de gouvernance ».

→ Lire aussi : Les villes intermédiaires au cœur du Sommet Mondial de Kisumu

Et de préciser : « Mais au-delà de la convention, il s’agit pour les étudiants et enseignants  dont la majorité proviennent de la diaspora d’Europe, de Grande Bretagne, des Etats-Unis, d’essaimer une culture et un état d’esprit présent dans l’université qui doit servir de trait d’union entre la nouvelle ville et l’ancienne ». Il indique que « pour créer un nouvel écosystème nous avons parié sur la création d’une pépinière de talents pour encourager les industries à venir s’implanter Cet  environnement d’entrepreneuriat crée une dynamique vertueuse  qui encourage les étudiants et qui peut attirer les gestionnaires de projets et des bailleurs de fonds pour financer des programmes  de recherche, de start-up etc… », programmes de recherches et développement qui intègrent l’agriculture, la chimie, la mine et des secteurs stratégiques pour l’OCP, le Maroc et l’Afrique.

Essaimer , savoir et innovation

A la question de savoir comment essaimer cette culture ? Le président de l’UM6P répond : Grâce à un pilotage minutieux décliné à différentes échelles pour créer une interaction entre tous les acteurs. Dans un premier temps par exemple,  les élèves du lycée d’excellence doivent tous mentorer les élèves des écoles publiques. Au-delà du soutien scolaire, les étudiants et professeurs de l’école d’architecture  travaillent quant à eux,  bénévolement sur la réhabilitation, la mise à niveau et nouvelles formes d’urbanité de la ville ancienne. En, utilisant le concept  des  « living labs » urbains, processus d’innovation ouverte, active… et attractive  sur des espaces d’échange entre générations et  d’expérimentation in situ , ou l’innovation urbaine est testée directement par les différents  acteurs économiques, citoyens, associations ou acteurs publics, peuvent y tester leurs innovations en situation réelle. Et solliciter ainsi les usagers dans un processus d’innovation ouverte, active… et attractive ».

Comment concrétiser un tel projet ? « Pour créer le lien avec l’arrière pays rural , dit-il, chaque étudiant doit mener un  projet de recherche  sur un douar  en imaginant les possibilités de résilience .Toujours dans le domaine de l’urbanisme et dans les laboratoires de recherche, et à travers les MOOC urbains on imagine les villes de demain en Afrique, les nouveaux matériaux de construction  pour les maisons neutres en énergie  avec des compétitions comme le Solar Decathlon ».

En collaboration avec l’Institut de Recherche en Energie Solaire et Energies Nouvelles , l’UM6P a lancé Solar Decathlon Africa qui a 20 équipes participantes, venues de 54 universités pluridisciplinaires et de 20 pays différents, ils ont dévoilé les maquettes de leurs projets innovants  Au Green Energy Park, un Living Lab de l’UM6P et avec  l’imagination et la créativité au rendez vous , les étudiants et chercheurs ont planché sur  la réalisation en maquette des logements attrayants et abordables, à haut rendement énergétique, adaptés au climat local africain.

Rappelons que 7% des étudiants de l’UM6P son subsahariens  avec l’ambition de porter ce pourcentage à 20% dont la majorité en recherche agronomique avec déjà un projet sur les rails, celui notamment de répertorier  toutes les semences orphelines  que l’on pourrait en ces temps de changements climatiques  réintroduire  dans les champs. Des chercheurs planchent  sur le développement d’un modèle africain météo, basé sur les mathématiques  adapté aux réalités du continent

 La province des Rhamna  est une terre aride où les cultures  d’orge ou de blé ne résistent pas à la sécheresse, les chercheurs travaillent sur la qualité et les possibilités d’adaptabilité des sols ; « Une expérience nous confie M. Habti,  a été lancée  sur la culture du quinoa sur quelques 200 hectares . Cet aliment de base jadis surnommé la« céréale du pauvres »  et  cultivée en Bolivie et au Pérou,  est devenu un produit de luxe très demandé et prisé en Europe.D’autres expériences concernant l’économie de l’utilisation de la ressource hydrique sont menées avec à la clef plusieurs start up  qui ont développé des capteurs.Nous avons crée il y a un an une entité Innovate for industry  pour initier et accompagner des projets d’innovation jusqu’au stade industriel ».

Même souci d’essaimage dans le domaine de la santé , poursuit Hicham El Habti où les chercheurs de l’UM6P ont travaillé en étroite collaboration avec les autorités locales  pour définir une offre de santé  pour l’hôpital provincial  en attendant l’ouverture de la faculté de médecine CHU en septembre. Avec comme message que l’on diffuse répandu partout auprès des populations locales sur l’importance  du sport  et de l’éducation. On le voit à travers ces exemples dans le domaine de l’éducation , de la santé , il y a une interaction  et une intermédiation  très forte entre  l’université, le monde associatif,  les  entreprises, les  citoyens, les  acteurs de la culture, du  sport, de l’environnement, avec une ambition d’essaimer et d’inculquer le souci de l’innovation. Une stratégie partagée aujourd’hui avec les partenaires africains grâce au programme Excellence in Africa  qui développe l’éducation digitale,  promeut la recherche scientifique et la formation d’une centaine de jeunes professeurs doctorants  dont certains pourront effectuer un détachement d’une année dans les laboratoires de l’UM6P. Un Erasmus du savoir et de l’innovation très attendu par les partenaire africains.

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