Nos valeurs aux risques d’une famine; quels impacts pour le continent Africain ?
Depuis le 24 février 2022, date de l’invasion Russe en Ukraine, de très nombreuses analyses ont été réalisées. L’impression donnée est que, ce jour-là, tout aurait commencé. Or, cela faisait des années que les tensions allaient crescendo entre une partie du peuple ukrainien pro-russes et une autre partie du peuple pro-européens.
Le population était aussi en révolte contre ses dirigeants considérés comme corrompus. En 2014 déjà, la destitution du président pro-russes a provoqué l’annexion de la Crimée par la Fédération de Russie et un conflit dans le Donbass entre ukrainiens partisans de la Russie et les séparatistes. La raison invoquée par les dirigeants russes serait à la fois l’extension de l’OTAN à plusieurs ex-pays de l’URSS, le rapprochement de l’Ukraine à l’OTAN en vue d’une adhésion, et des rumeurs de génocides à l’encontre des séparatistes pro-russes dans le Donbass.
L’entrée dans cette danse morbide, par les pays occidentaux et les Etats-Unis, reste fondée sur la défenses des valeurs de démocratie, de liberté et des droits de l’Homme. La Fédération de Russie espérait de la part des Etats proches des soutiens plus prononcés. Or, l’attitude, pour le moins ambivalente, de la Turquie ou encore les messages de soutien de la part de la Chine ne se sont pas traduit par de véritables s soutiens concrets. D’autres pays encore comme l’Inde ou le Brésil, et une partie des Etats d’Afrique, se sont positionnés face à ce conflit par une neutralité constructive. Au Conseil de l’Europe, la Fédération de Russie a perdu son statut d’Etat-membre de cette Organisation pan-européenne.
Au-delà des aspects territoriaux et militaires, cette guerre a révélé la fragilité de nos circuits d’alimentations et d’approvisionnement autant pour l’Europe que pour les pays africains et asiatiques. Contrairement aux affirmations du Président Russe, qui affirmait que cette guerre n’avait « (…) aucune influence sur les difficultés économiques mondiales (…), ce conflits a également généré une forte inflation mondiale et de fait un déséquilibre général.
L’ONU, dont on espérait un rôle central pour parvenir à un cessé le feu rapide, n’a hélas pas pu débloquer totalement les exportations ukrainiennes de céréales depuis la mer Noire vers l’Afrique et tous les pays qui en dépendent fortement.
Le blé, une céréales essentielles pour l’alimentation de base, était d’origine ukrainienne (1/3 des exportations vers le monde) et s’est trouvé bloqué dans ses ports, voire détourné au même titre que le maïs ou l’huile de tournesol. Non seulement les pays initialement bénéficiaires de ces denrées se trouvent confrontés à un grave problème de sécurité alimentaire et de manque de nourriture mais qui plus est, les prix se sont envolés de façon exponentielle. Ils sont devenus hors d’atteinte des économies de plusieurs pays d’Afrique.
Ces pays importateurs n’ont pas la capacité de s’approvisionner ailleurs et pourtant ils doivent pouvoir nourrir leurs populations. Selon les chiffres diffusés par le journal français Le Figaro Economie du 22 mars 2022, l’Egypte viendrait en tête des plus gros importateurs de blé, suivie de l’Indonésie, de la Turquie, de l’Algérie et de l’Italie.
Cela signifie que les pays d’Afrique du Nord, à des échelles variables, sont également fortement dépendant de ces importations. L’Egypte n’a pas la chance de disposer d’une énergie fossile exportable comme le pétrole d’Algérie dont les prix ont aussi explosé.
Selon le professeur Henri-Louis Védie, « (…) 16 pays dépendent à plus de 56% pour leur approvisionnement en blé de l’Ukraine et/ou de la Russie, auxquels viennent s’ajouter 26 pays ayant une dépendance inférieure. L’Afrique est sans doute le continent le plus concerné par sa dépendance au blé russe et ukrainien ». En complément de ceux déjà cités, les autres pays africains repérés comme dépendant seraient : le Bénin, le Congo, la République démocratique du Congo, l’Erythrée, la Libye, Madagascar, la Namibie, le Rwanda, le Sénégal, les Seychelles, la Somalie, la Tanzanie.
Le Maroc, bien que disposant d’un stock conséquent de céréales et de blé grâce aux prudentes anticipations, n’est pas épargné par un risque alimentaire. Il figure hélas juste derrière l’Egypte et l’Algérie, parmi les importateurs réguliers de produits alimentaires (blé, maïs, orge, sucre, fruits oléagineux, etc.). Pour mémoire, l’Agence ECOFIN rappelle qu’au Maroc, « (…) le blé tendre compte pour 70% de la consommation de blé en milieu urbain et 66% de l’utilisation humaine en zone urbaine ». Ce blé est utilisé à 90% pour la confection de la farine nécessaire à la fabrication du pain. Et l’on sait combien la consommation du pain fait partie de l’alimentation de base. Les prévisions d’approvisionnement pour 2023 seraient à la hausse à la suite des épisodes météorologiques où la sécheresse a réduit la production céréalière de près de 64% (soit, 3,4 millions de tonnes).
Selon Yann Lebeau de l’Agence REUTERS, le Maroc aurait recours à des « (…) achats de blé sur le marché international [qui] pourraient être compris entre 4,5 et 5 millions de tonnes durant l’année prochaine. ». Les pays, auprès desquels le Maroc est susceptible d’avoir recours, sont : l’Argentine, le Brésil, les Etats-Unis pour le blé dit « tendre » et le Canada, la France et le Royaume-Uni pour le blé dit « dur ».
La guerre en Ukraine a ainsi mis en lumière l’importance vitale de la sécurité alimentaire. Si le Maroc reste néanmoins serein pour le proche avenir, c’est grâce à Sa Majesté le Roi Mohammed VI qui, dès le début du conflit, a exigé que tous les moyens soient déployés pour anticiper au maximum les effets à venir de cette guerre. Les pays européens, le Canada, le Japon et les Etats-Unis ont également anticipé la dimension humanitaire. C’est pourquoi le G7, dont ils sont membres, s’est réuni dès mars 22 pour décider des mesures nécessaires pour éviter une famine, notamment pour les pays les plus exposés comme la région dénommée « MENA » (Afrique du Nord et Moyen-Orient). Pour mieux comprendre, en termes d’ordre de grandeur, l’Institut Marocain des Relations Internationales explique que « (…) la consommation annuelle de pain est en moyenne de 60 kg par habitant, [qu’] elle est de 100 kg en Europe, 30 kg en Afrique Subsaharienne, et atteint entre 180 à 200 kg dans la région Mena. »
En conclusion, aucune guerre ne peut se justifier d’une quelconque légitimité, car les grands perdants restent toujours des femmes et des hommes innocents, qui n’ont rien demandés d’autre que de vivre en paix. Cette fois encore, au-delà des questions de territoires, d’Histoire, de grands principes, d’apparent conflit entre deux pays, ce sont nos valeurs humanistes fondamentales qui sont en jeu. Et le rayonnement de ce conflit est quasi planétaire, car des êtres humains périssent, certes sur le terrain de combat mais d’autres, à des milliers de kilomètres de là, sont confrontés à la famine, au froid, à la pauvreté face à l’explosion des prix. L’issue ne sera que par le dialogue renoué et la diplomatie. Il n’y aura ni gagnants ni perdants…que des blessés et des morts et des destructions massives. Faut-il voir une lueur d’espoir et croire les récents propos du président russe qui déclarait « Le processus de règlement dans son ensemble, (…) prendra un certain temps. Mais (…) tous les participants à ce processus devront s’accorder avec les réalités qui se dessinent sur le terrain ». Nous sommes de ce fait tous concernés et l’espoir doit guider nos réflexions et nos prises de positions pour dessiner un avenir qui tienne compte de cette affreuse expérience en Europe, que tous croyaient d’une autre époque.
C’est pourquoi, les Organisations internationales (ONU, FMI, Banque mondiale, Union européenne, etc.) vont également devoir réviser leur fonctionnement. Non seulement elles devront redonner confiance aux Etats membres mais surtout prendre en considération que plusieurs Etats du monde, à l’instar du Maroc, ne sont plus ceux du siècle dernier mais sont en pleine capacité d’égaler les grandes puissances pour définir l’avenir du destin mondiale.
PhD. Jean-Marie HEYDT