« Le Grand Vizir Madani El Mezouari El Glaoui, une vie au service du Makhzen »
Plongée au cœur du haut-atlas amazigh précolonial
Taoufiq Boudchiche, économiste et essayiste.
Abderrahman El Mezouari El Glaoui, petit fils du « Grand Vizir Madani El Mezouari El Glaoui », nous a gratifié d’un ouvrage brillant dans lequel l’histoire familiale des Glaoui rencontre la grande histoire du Royaume depuis l’ère de Moulay Ismaël.
L’ouvrage a été présenté lors d’une rencontre littéraire organisée au Lycée Descartes le lundi 16 janvier dernier. Il plonge le lecteur dans certaines des nuances de l’histoire largement méconnues par le grand public de la période précoloniale. Elle est marquée autant par les faiblesses systémiques d’un Royaume en proie aux convoitises des grandes puissances impérialistes de l’époque que par les soubresauts internes des grandes tribus. Selon l’ouvrage, le Maroc aborda cette période avec un corpus idéologique et organisationnel en deçà des enjeux et des défis de l’époque face aux colonisateurs mais non sans avoir vaillamment résisté (confrontation avec la France lors de bataille d’Isly en 1844 et guerre de Tétouan avec l’Espagne en 1859-1860).
Une résistance générée du fait d’un ordre « sultanique » structuré par l’interaction permanente avec les grandes tribus du Royaume qui lui ont permis à cette période de préserver une structuration territoriale authentique. Conscient de cette force fondée sur l’allégeance des grandes tribus au Sultan et à l’Islam, le colonisateur a tenté de la briser à maintes reprises, mais sans parvenir à saper les fondamentaux de la nation marocaine dont le socle persiste jusqu’à aujourd’hui. Aussi, selon l’auteur, la colonisation n’est qu’une « brève parenthèse » dans l’histoire millénaire du Maroc. Comme il est souligné que la notion de « Siba » par exemple, mérite d’être nuancée. En effet, souligne-t-il le Maroc était doté d’un ordre ancestral dans lequel, les tentations des tribus de se soustraire aux pouvoirs des sultans, visaient avant tout à asseoir une capacité de négociation avec le pouvoir central pour mieux se rapprocher du Makhzen à défaut de pouvoir s’en défaire. D’où selon certains auteurs historiques une certaine « duplicité » dans la relation entre les tribus qui aspiraient à étendre leur pouvoir local et le Makhzen (Etat central).
L’ouvrage nous invite à découvrir ainsi une partie de l’histoire Royaume et du Haut-Atlas Amazigh, à travers, l’itinéraire du Grand Vizir Madani Mezouari El Glaoui, fondateur de la puissance des Glaoui. Une période qui reste sujette jusqu’à aujourd’hui à de multiples analyses et interprétations car les événements de l’époque et parmi eux les troubles internes, à la fois entre tribus, entre tribus et Makhzen et au sein même du Makhzen comme les batailles entre les frères Moulay Abdelaziz et Moulay Abdelhafid, ne cessent d’interroger sur leurs impacts dans le destin du Royaume postcolonial.
El Madani a été, quant à lui, un fidèle sujet et allié de quatre Sultans successifs de Moulay Hassan à Moulay Youssef. A l’époque de Moulay Abdelhafid, alors Khalifa du Sultan Molay Abdelaziz. Si El Madani, qui fut son plus puissant soutien politiue et militaire devint successivement son ministre de la guerre puis son Grand Vizir. Une période marquée par la « Hafidya » caractérisée par une volonté de réformes et de modernisation. La Hafidya a été par exemple décrite par certains historiens comme le contexte ayant permis l’émergence du nationalisme moderne marocain. Des faits historiques nouveaux sont donc rapportés sur la saga familiale ainsi que sur la région dans laquelle son grand père avait une autorité directe. Elle s’étendait, selon l’ouvrage, depuis Marrakech sur 35. 000 km2 avec comme chef lieu Télouet. Une région, caravansérail, qui était un point de passage caravanier important entre l’Afrique subsaharienne et le reste du Royaume jusqu’aux routes conduisant vers le Moyen-Orient. Dans l’ouvrage, il est précisé qu’on trouvait tout à Télouet des dattes, de l’huile, du henné, du café, des produits de beauté, du miel, des céréales…Comme il est souligné que la région était essentiellement occupée par des berbérophones musulmans et juifs.
Une saga familiale dont le mausolée de l’un de leur ancêtre Sidi Bou Mhammed Salah Ben Saïd Ben Insaren, se trouve à Safi à mi chemin entre les terres natales de l’ancètre commun Sidi Abdellah et Télouet. Une histoire dont les marocains n’auraient retenu, au grand regret de la famille élargie, que celle du frère cadet de Ssi El Madani, le Pacha Thami El Glaoui, dont l’action contestable aurait occulté l’alliance indéfectible de sa famille aux souverains successifs depuis Moulay Ismaël.
Pour éviter les suspicions de subjectivité dans la narration historique, l’auteur s’est appuyé sur de nombreux documents et archives et analyses historiques des grands auteurs de référence : Mohamed Berdouzi, Abdellah Laroui, Mohamed Rachik, Paul Pascon, Ahmed Naciri, Robert Montagne, Charles de Foucault…L’intérêt de l’ouvrage est aussi de nous introduire aux concepts, us et coutumes amazighs du haut-atlas : « Mezouari » (amezouar en amazigh, celui à qui l’on demande de faire un acte important ou difficile parce qu’il est un porte bonheur), « Amghar ( chef berbère élu par la Jemaa», « Akhnif (burnous typique », Koumya (costume traditionnel féminin), « Ahwach (danse berbère célèbre du haut atlas central)», « rakbal Hajj » (cortège officiel de pèlerins vers la Mecque), les rites de la zaouïa Nassirya…et bien d’autres connaissances sur le monde berbère.
Un ouvrage qui coïncide avec la nouvelle année Amazigh 2973, célébrée le 13 janvier 2023.
Asgass Ambarki