MONDIAL 2026: United 2026 et le Juda démasqué
Par Souad Mekkaoui
Rappelez-vous, le 9 avril dernier, le premier ministre libanais Saad Hariri avait partagé sur son compte Twitter une photo qui n’était pas passée inaperçue et qui avait fait le buzz sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’un selfie inédit le montrant avec le Roi Mohammed VI et le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, tous souriants, à Paris, dans une posture décontractée et conviviale. Tous les détails dénotaient des relations amicales sauf que Juda était de la fête et allait se démasquer, quelques mois plus tard. En effet, le vote pour l’organisation de la coupe du monde 2026 a mis à nu les dessous des relations internationales permettant ainsi au Maroc, bouché à l’émeri, de revoir ses prétendues amitiés et relations.
David contre Goliath
Ce mercredi, 13 juin, l’organisation de la Coupe du monde 2026 de football a été attribuée, à Moscou, à la candidature du trio Etats-Unis-Canada-Mexique. « United-2026 » s’est imposé donc en vote final, lors du 68è Congrès de la FIFA, par 134 voix, sur les 203 associations habilitées à voter devant « Maroc-2026 », qui a été soutenu par 65 fédérations tandis que trois se sont abstenues (Cuba, Slovénie, Espagne) et qu’une (l’Iran) a rejeté les deux prétendants. Ainsi, la politique du Moloch et la loi du plus fort auront dit leur mot. Un vote qui est tout sauf sportif où menaces de sanction et lobbying ont tenu la laisse.
Le rêve n’est pas interdit. Nous avons caressé et nourri un rêve collectif pendant des mois. Nous avons rêvé grand et nous y avons cru. Mais au fond de nous, on savait très bien que c’était chimérique.
D’entrée de jeu, la situation s’annonçait compliquée puisque la compétition 2026 sera la première à accueillir 48 sélections, soit le plus grand Mondial jamais organisé. Ce qui change carrément les paradigmes de tout ce qui a précédé et dresse d’énormes haies devant un pays émergent qui plus est veut organiser seul le Mondial, désormais taillé pour des associations de plusieurs fédérations. Cela dit, les atouts sur lesquels le Maroc a tablé n’auront pas suffi à séduire la FIFA qui ne parle que chiffres. Evidemment qu’animée par des enjeux financiers qui supplantent toute éthique, elle pencherait pour le trio « de choc » qui lui ferait gagner le double de ce que le Royaume avait promis. S’il est vrai que cette fois-ci, le Maroc, qui ambitionnait d’être le deuxième pays africain à accueillir le Mondial, s’est présenté avec un dossier plus ou moins solide, de sérieux atouts à savoir sa situation géographique, stratégique qui font de lui un candidat « euro-africain », en plus de la carte de l’homogénéité, de la cohésion et de la commodité, il ne faut tout de même pas se leurrer. Un dossier qui repose sur les promesses d’investissement et les bonnes intentions ne pouvait peser contre « United 2026 », encore moins quand la politique se mêle au sport en termes de sélection. Tout de même, quelque part cela fait « plaisir » de voir une grande puissance en arriver aux menaces sur les pays et leur mettre une pression politico-économique pour avoir la victoire.
L’offre américaine remporte l’organisation de la très convoitée coupe du monde face au Maroc, mais doit-on vraiment être déçus ou étonnés ? D’un côté, le Royaume qui a enregistré un retard flagrant sur tous les plans s’est lancé dans une bataille perdue d’avance face à un Moloch horridus imbattable. C’est à se demander si les responsables de la Fédération qui ont –il ne faut pas le nier- fait un travail salutaire, mobilisé des gens et dépensé de l’argent ne nous ont pas vendu un rêve gratuit et chimérique. D’un autre côté, le champ était, d’emblée miné, par une FIFA au cahier des charges des plus exigeants. D’autant plus que la passivité et la partialité de l’instance suprême du football mondial qui a fait la sourde oreille aux menaces de sanction et à la manipulation dont a usé le président américain Donald Trump pour intimider la communauté internationale restent inexplicables.
« Ce serait dommage que les pays que nous avons toujours soutenus fassent campagne contre la candidature nord-américaine. Pourquoi soutiendrions-nous ces pays quand ils ne nous soutiennent pas? ». De facto, le tweet du président américain encrasse sa victoire « arrachée ».
Un rêve partagé
Maintenant que la messe est dite et que les masques sont tombés, le Royaume gagnerait à être plus réaliste, plus opérationnel et plus efficient.
Le rêve n’est pas interdit. Nous avons caressé et nourri un rêve collectif pendant des mois. Nous avons rêvé grand et nous y avons cru. Mais au fond de nous, on savait très bien que c’était chimérique. Ce n’est pas avec des maquettes et des promesses de budgets qu’on s’imposera. Ce n’est pas avec des projets toujours remis à une date indéterminée qu’on exaucera un rêve qui date de trois décennies. Faut-il rappeler que c’est le cinquième échec et la énième frustration qu’on fait vivre à tout un pays qui lorgne encore et toujours l’organisation de la plus prestigieuse compétition de football dans le monde ? Le Maroc a déjà essuyé la défaite après avoir tenté sa chance, en vain, pour les compétitions de 1994, 1998, 2006 et 2010. Mais depuis que le Royaume a présenté sa première candidature, combien de stades ont été construits ? Combien d’écoles et d’universités ont vu le jour ? Combien de CHU ont été bâtis ? Combien de kilomètres de routes et d’asphalte neuf compte-t-on ? Quelle évolution l’indice de développement a-t-il marquée ?
A-t-on les mêmes armes et les mêmes munitions dans cette « guerre » ? Tout le secret est là. Le pays a besoin d’opter pour une vraie stratégie de développement à tous les niveaux. Si, même fort de l’équipe qui a porté le dossier pendant des mois d’efforts colossaux, le Maroc est toujours l’élève recalé, c’est qu’il n’est pas encore prêt à accueillir un événement de cette envergure. D’autant plus qu’aujourd’hui, les enjeux de la FIFA sont autres et les intentions ne sont plus les mêmes. Il y a quelques années encore, le Mondial constituait une opportunité et un accélérateur d’émergence économique et de transition politique, aujourd’hui, d’autres facteurs, notamment la géopolitique du football, régissent et guident les décisions. Donc c’était plié d’avance. Et le fait que le Maroc soit arrivé au niveau du vote est déjà salutaire.
Si, même fort de l’équipe qui a porté le dossier pendant des mois d’efforts colossaux, le Maroc est toujours l’élève recalé, c’est qu’il n’est pas encore prêt à accueillir un événement de cette envergure.
Mais soyons réalistes, ayons un vrai projet de société et focalisons-nous sur nos priorités et nos urgences à savoir l’éducation, la santé, la justice, l’emploi, la gouvernance, la relance de l’économie, la réforme des impôts et des taxes pour atténuer l’écart des inégalités sociales avec une meilleure répartition des ressources. Injectons le budget supposé être consacré à l’organisation de la coupe du monde 2026 aux chantiers prioritaires pour un Maroc meilleur. Ce sont nos vraies coupes nationales à organiser et notre fer de lance pour permettre à notre pays de relever les défis.
MBS, l’autre face cachée
Il a fallu juste 203 clics pour que les faces cachées soient dévoilées laissant voir la fragilité des amitiés de pays qui font fi de relations humaines pour peu qu’il y ait un intérêt quelconque. Aussi ce vote « politique » avant et après tout est-il plein d’enseignements que le Maroc, qui a toujours joué les pompiers de service, doit retenir. Bien évidemment quand on est candidat, on n’est jamais sûr de gagner et donc on se prépare à tous les scénarios. Mais dans ce vote, ce qui a le plus choqué les Marocains c’est les masques qui sont tombés d’un coup. Ce qui leur a fait le plus mal, au-delà de la coupe ratée, est l’image perdue de « pays frères » qui s’avèrent n’avoir jamais été si sincères. Le lobbying et les tractations des coulisses ont fini par démasquer le Ganelon des temps modernes. Si l’odieux personnage, compagnon de Charlemagne, s’est acoquiné avec Marsile, roi des Sarrasins pour prendre au piège, le pur héros Roland dont il était pourtant le proche parent, notre traître, à nous, cachant derrière son sourire machiavélique sa rage, a tenu à faire payer au Maroc sa neutralité quant au dossier du Qatar et à lui assener un joli coup de bélier. L’Arabie saoudite – puisque c’est d’elle qu’il s’agit- a vu couler sur ses terres le sang de nos soldats morts pour une cause qui n’est pas la nôtre et nous a remerciés largement, non seulement en votant contre nous mais en menant une campagne acharnée par son homme de peine, Turki al-Cheikh, en faveur de « United 2026 ». Une nouvelle leçon dans les relations internationales au goût du sport nous a donc été donnée par celui qui a toujours été en cheville avec les USA dans la destruction du Moyen-Orient. Pourtant, le Maroc leur a apporté son soutien dans leur intervention au Yémen. Il est clair que les Saoudiens savent rendre la parade.
C’est à croire que désormais une nouvelle carte géopolitique, répondant aux rapports de force, est née. Nous avons été lâchés par nos voisins espagnols et sept pays arabes qu’on a toujours considérés comme alliés nous ont filé des coups en douce et ont voté pour le dossier américain (le Liban, l’Arabie saoudite, Les Emirats arabes unis, le Koweït, le Bahreïn, la Jordanie et l’Irak). La Guinée Conakry pour laquelle on a construit hôpital et mosquées a voté aussi contre nous. C’est dire que ces coups de Jarnac méritent réflexion ! Nous nous trompons sûrement d’ennemis et le Maroc a besoin de donner un coup de torchon dans ses amitiés.
L’Arabie saoudite – puisque c’est d’elle qu’il s’agit- a vu couler sur ses terres le sang de nos soldats morts pour une cause qui n’est pas la nôtre et nous a remerciés largement, non seulement en votant contre nous mais en menant une campagne acharnée par son homme de peine, Turki al-Cheikh, en faveur de « United 2026 ».
L’Arabie saoudite et l’Afrique du sud en se rangeant derrière le concurrent nord-américain et en entraînant bien d’autres fédérations dans leurs sillages nous ont mis face à notre « crédulité ». D’autres pays africains, comme le Bénin et le Cap-Vert n’ont pas respecté la consigne du président de la CAF, Ahmad Ahmad et nous l’ont fait sentir passer. Et coup de théâtre, le Nigeria, qui avait été directement mis sous pression par Donald Trump, a finalement voté pour Maroc 2026 ! Là encore, bien des surprises étaient au rendez-vous. Le Yémen et l’Algérie qui ont mis de côté tous différends, ont soutenu le dossier marocain.
Ce vote est donc un désappointement criard pour le Maroc mais il faut savoir recommencer de façon intelligente. Fort de ses racines africaines, le Maroc a pu compter sur 42 pays africains qui ont tenu tête au président américain. Ceux-ci méritent toute notre estime et notre soutien. D’ailleurs, un avenir commun est à partager. Il est temps que le Maroc après ces coups de Trafalgar reçus, revoie ses comptes et ses relations internationales dont le miroir n’a pas été reluisant. Ce vote a été assurément politique mais n’oublions pas que les enjeux économiques régissent le monde. N’est-il pas encore temps pour que le Maghreb arabe surmonte ses conflits afin qu’il puisse affronter les forces de la division ?
Faisons en sorte que cet événement raté soit rattrapé autrement. Beaucoup ont reproché au Maroc un budget prévisionnel bien trop élevé pour un pays émergent. Continuer sa trajectoire en réalisant les projets présentés dans son dossier –comme a été indiqué par le comité- ne pourrait qu’être bénéfique pour le Royaume. Dès lors, il ne faut pas trop s’attarder sur l’échec et son amertume mais plutôt faire son bilan et se rapprocher de ceux qui ont osé dire « Non » à Trump. Un geste à marquer d’un caillou blanc à un moment où nos amitiés se réduisent comme une peau de chagrin.
Il est incontestable qu’on a besoin de rêve pour avancer. Rêvons donc d’un Maroc nouveau, sorti du cirage. Rêvons d’un Maroc meilleur non seulement pour l’organisation d’un événement grandiose mais pour ses citoyens. Et ce sera Byzance !