Quand les chasseurs de têtes de l’ailleurs nous dérobent nos cerveaux
Dossier du mois
Fatima Aderdoun, mère de famille
Partir pour ne plus revenir
Je vis à Rabat, j’ai une soeur en Allemagne avec ses deux enfants, une autre à Montpellier avec ses deux enfants aussi et une troisième qui est restée comme moi à Rabat. Mais qui a tout de même envoyé ses trois rejetons en Allemagne. Mes fils quant à eux vivent l’un à Bruxelles et l’autre à Montréal.
Voilà donc une famille de plusieurs enfants tous partis, installés pour ne plus revenir, tous travaillant selon leurs études et diplômes….
Quand on est enfants de la mission française, cela implique bien entendu un certain état d’esprit….
Après leurs études et des stages à l’extérieur du pays, un petit retour frileux. Mais après insistance de la famille, l’expérience désastreuse de la déception et de la frustration … Aucune réponse à leurs CV… Ou «sorry, la place a déjà été attribuée». Quant ce n’est pas silence radio, plus aucune nouvelle, la DRH n’est jamais disponible pour répondre…
Voyant que certains cancres de leurs classes avaient, comme par enchantement, droit à des postes confortables, ou héritaient d’une entreprise mise en place par «papa», que les mariages se transformaient en association, mes enfants ont compris qu’ils n’avaient plus rien à attendre. Le départ qui présageait d’être définitif s’était imposé non sans regret.
A leur arrivée en Europe et après les démarches habituelles (CV, rendez-vous et entretiens), ils ont décroché des postes. On leur a distribué un petit appendice « Loi fondamentale pour la république fédérale d’Allemagne » et en Belgique « Guide pratique des droits d’aujourd’hui et demain». Désormais obligés d’avoir la carte vitale santé, ils sont remboursés à 85 %. Sans parler du droit au chômage et d’aide au logement dont ils ont bénéficié pendant une certaine période. Mon fils de Bruxelles y a eu droit pendant 1 an en attendant d’obtenir son poste.
Sans compter l’ouverture d’esprit, le côté culturel beaucoup plus développé, les distractions en tout temps…
Partir ? Une évidence.
Doit-on encore se demander ce qui motive la fuite des cerveaux marocains ?
Notre pays ne propose malheureusement rien. C’est selon «Bak Sahbi», «de quel cercle tu viens», le nom de famille compte énormément, le compte en banque aussi, bien évidemment. Des filles et des fils du peuple, on exige des années d’expérience qu’ils ne peuvent avoir puisqu’on ne leur accorde pas de chances de travail.
Nos décideurs font la pluie et le beau temps dans leurs grandes entreprises. Et nos enfants se retrouvent perdus dans leur propre pays, la mission française leur ayant inculqué « liberté, égalité, fraternité» ou « L’Union fait la force » ….
Donc nous retrouvons dans tous les pays d’Europe, des médecins marocains, des professeurs, de hauts cadres dans des multinationales, des parlementaires, des maires, de hauts fonctionnaires. Ce qu’on ne voit pas sous nos cieux surtout quand il s’agit de jeunes originaires de l’Oriental, du Souss, ou du Sud qui ne peuvent se targuer d’avoir un nom de famille connu.
Malheureusement, toutes les procédures administratives accentuent encore plus le dégoût que vivent les Marocains d’ailleurs qui ont quitté le pays d’origine pour une raison ou une autre. Il n’y a qu’à aller dans les ambassades ou consulats marocains pour vivre cela de près. Le phénomène de la longue file et du report de date est alors exporté ce qui pousse nos enfants à vouloir régler leur situation le plus tôt possible afin d’avoir tous leurs papiers dans le pays d’accueil.
Ils deviennent allemands, belges ou canadiens et coupent le dernier lien les unissant au pays d’origine.
Le problème ne date pas d’aujourd’hui puisqu’à Bruxelles, des Marocains se sont déjà implantés, depuis des décennies, en tant que marchands, grossistes, épiciers. Ils ont tous acheté leurs maisons et mis leurs enfants dans des écoles publiques belges qui leur procurent, gratuitement, un enseignement de qualité. Sans compter le parascolaire, les piscines couvertes dans chaque quartier, les terrains de sport partout, les bibliothèques, les centres aérés…. Ils se sont toutefois regroupés en « ghetto » pour être entre eux. Heureusement que la 2e génération a compris et commencé à « se mélanger » dans les quartiers belges, fuyant justement ce qui les a poussés à quitter le Maroc.
Nous avons de grosses pointures en Europe que notre pays a perdues, par manque de discernement, les passe-droit et l’hogra. Le pays a perdu certains de ses enfants qui, justement, connaissent l’injustice pour l’avoir vécue et qui auraient fait d’excellents cadres, des responsables, des élus dans notre pays, quand des analphabètes siègent au parlement, à coup de billets, de pistons et de magouilles. Nous le payons au prix fort, aujourd’hui.
Ceci est ma rage, mon cri de coeur et mon angoisse pour l’avenir…
Etant arrivée au 3ème âge – et là aussi c’est tout un autre volet – je constate, avec amertume, que rien n’est prévu pour nous. Je pense sérieusement un jour à mettre les voiles car là-bas, encore une fois, la prise en charge est totale…