À cause des inégalités vaccinales, la fin de la pandémie n’est pas pour demain

Par Dr Tayeb Hamdi٭

Sur le volet de la vaccination contre la Covid-19, les disparités entre le nord et le sud, entre les riches et les pauvres, ont conduit à un échec moral, catastrophique pour reprendre l’expression du Directeur Général de l’OMS. Un échec qui risque surtout de compromettre un succès médical inédit.

Un accès équitable aux vaccins, à l’échelle planétaire, basé sur les priorités médicales, scientifiques et épidémiologiques, et non sur le seul critère du pouvoir économique, est en mesure de garanti, une contention plus rapide de la pandémie, avec la sauvegarde de centaines de milliers de vies humaines, et même des bénéfices économiques immédiats pour tous les pays et en premier pour les pays riches eux-mêmes.

Avant l’aboutissement des essais cliniques, les pays du G20, avec leurs 14% de la population mondiale, avaient déjà précommandé plus de 50% de la production des vaccins anti Covid pour 2021. Pour diversifier leurs fournisseurs et garantir leur accès en premier et à la plus grande quantité possible de vaccins, certains pays ont acheté de quoi vacciner cinq fois leur population comme c’est le cas pour le Canada, quatre fois pour le Royaume Uni, trois fois pour l’Australie, deux fois leur population pour les pays de l’Union Européenne et les USA.

D’autres pays ont négocié leurs doses environ 50% au-dessus du prix du marché afin d’être servis en priorité et à flot. Ces pays ont acheté la totalité de la production des vaccins de Moderna, 96% de la production de Pfizer.

Le cinquième de la population mondiale ne sera pas vacciné en 2021. Dans 70 pays à revenu faible, une seule personne sur dix sera vaccinée en 2021, les autres devront attendre 2022. 3,8 milliards de doses sont déjà acquis par les pays riches, cinq autre milliards de doses sont déjà précommandés par ces mêmes pays en 2021.

Les usines de production de différents vaccins ne pourront pratiquement servir les pays pauvres que lorsque les pays riches auraient déjà vacciné toute leur population.

Dans les pays à faibles revenus, la problématique de l’accaparement du vaccin par les pays riches, est aggravée par le manque de moyens de financement de ces vaccins, et par les exigences logistiques et de la chaîne de froid.

L’Afrique, où des études ont montré une intention de se faire vacciner chez la population africaine de 80%, paiera de ses vies humaines, de son économie et de sa stabilité sociale, cette iniquité.

Sur le plan médical et épidémiologique, il y a un consensus scientifique pour vacciner, en priorité, les professionnels les plus exposés au virus, et les personnes les plus à risque de faire les formes graves de la maladie et les plus à risque de décès.

Avec ce mode injuste de répartition des doses des vaccins entre les pays riches et les pays pauvres, les premiers procèderont à la vaccination de leurs jeunes sans comorbidité, alors que des médecins, dans d’autres pays à revenu faible, continueront à affronter le SARS COV2 nus, sans aucune protection contre la COVID-19! Dans les pays du nord, les jeunes de 20-30 ans qui ont un risque de mourir de la COVID-19 de l’ordre de 0,01% seront vaccinés, laissant les personnes âgées des pays du sud qui ont un risque de décès qui avoisine les 14%, faire face au virus sans aucune protection.

Le manque voire l’absence de protection des professionnels de santé dans les pays du sud, risque d’aggraver l’usure des systèmes de santé durant cette crise sanitaire, et l’aggravation de l’hémorragie de ces professionnels, qui partent de plus en plus vers les pays riches demandeurs d’une main d’œuvre médicale toute prête.

La vaccination devrait débuter, en priorité, dans les régions les plus touchées par la pandémie. L’injustice de la répartition des vaccins en a décidé autrement. L’Afrique du Sud qui connaît une flambée de l’épidémie, et qui produira des millions de vaccins dans les quelques mois à venir, ne sera correctement servie qu’à partir de l’été prochain. A Manaus, au Brésil où le virus a déjà touché plus de la moitié de la population, aucune dose des vaccins n’a été injectée à ce jour, alors que plus de 60 millions de personnes dans les pays riches ont déjà reçu au moins leur première dose.

Cet échec moral de l’humanité dans cette épreuve de la Covid-19, aura des conséquences sur l’évolution de la pandémie elle-même. Le feu de la pandémie ne saura s’éteindre dans des pays, alors que des braises sont laissées brûlantes dans d’autres. Le risque de la reprise de la pandémie restera handicapant.

L’échec moral à cause de cet égoïsme, le nationalisme vaccinal, risque hautement de compromettre un grand succès : la mise au point, en un temps record, de vaccins anti Covid sûrs et efficaces, avec la perspective et l’espoir de voir cette pandémie contrôlée grâce à une immunité collective par une immunité vaccinale.

En Grande Bretagne, en Afrique du Sud, au Brésil, de nouvelles souches ont émergé. Plus le virus circule, infecte, se multiplie, plus il a des chances de muter. L’efficacité des vaccins aujourd’hui disponibles sera peut-être demain compromise si une mutation plus importante viendrait compliquer la donne épidémiologique. L’émergence d’une telle souche dans une partie de la planète mettrait en péril tous les efforts déployés pour contenir la pandémie. La remise en cause de l’immunité post maladie ou post vaccinale par une souche mutante, méconnaissable par notre immunité, affecterait tous les efforts consentis, y compris la vaccination de la population, même dans les pays riches. Pas d’immunité de troupe, pas de protection effective des populations, pas de retour à la vie normale, pas de déclaration de victoire contre la COVID-19, avant le contrôle de la pandémie dans toutes les régions de la planète : tous en sécurité ou tous sous la menace du virus et ses mutations.

Ce « nationalisme vaccinal » risque également d’être néfaste sur le plan économique pour les pays riches.

L’OMS a publié le rapport du groupe Eurasia, qui montre qu’une solution équitable en matière de vaccins se traduirait pour les dix pays pris en compte, dans l’analyse, par des bénéfices qui s’élèveraient à 153 milliards de dollars en 2021, et qui atteindraient 466 milliards de dollars en 2025, soit plus de 12 fois le coût total de l’accélérateur ACT (Access to COVID-19 Tools Accelerator), qui a été estimé à 38 milliards de dollars.

L’ACT étant un programme international visant à faciliter une certaine équité de partage d’outils de dépistage, de traitement, de vaccination et de renforcement des systèmes de santé contre la Covid-19.

LIRE AUSSI : Pour pouvoir retourner à la normale, il faut vacciner 80% de la population mondiale (Dr. Slaoui)

Le Maroc a déployé tous ses efforts pour assurer une protection optimale à sa population, y compris sur le plan vaccinal, mais en parallèle, dès le déclenchement de la pandémie, il est resté sensible et solidaire vis-à-vis des pays africains. Des aides substantielles ont été déployées par le Maroc vers beaucoup de pays africains, en pleine crise sanitaire, pour leur venir en aide en matière de moyens de protection et de traitements anti Covid-19. Aujourd’hui, le Maroc reste défenseur du continent pour un accès plus juste à la vaccination. Des accords ont été signés pour le transfert de technologies et la mise en place au Maroc d’une industrie de fabrication de vaccins, pour cette pandémie et pour d’autres, pour servir le Maroc et servir également l’Afrique.

Le Maroc fait partie, par ailleurs, de l’initiative COVAX pilotée par l’OMS pour garantir une certaine équité vaccinale dans le monde, en permettant de vacciner les professionnels de la santé et les personnes les plus vulnérables face au virus de la COVID-19, soit 20% de la population mondiale. L’initiative manque de financements nécessaires pour atteindre les objectifs dans un contexte de frénésie incontrôlée vers les vaccins.

Cet esprit de solidarité et de partage doit être cadré dans les lois sanitaires internationales dans une vision d’équité pour garantir une efficience des réponses durant les crises sanitaires à l’échelle planétaire.

Avec le nationalisme vaccinal, la fin de la pandémie n’est pas pour demain !

*médecin, chercheur en politiques et systèmes de santé

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page