Achever la révolution pour un Maroc de tous

Quiconque suit ce qui se passe, aujourd’hui, sur la scène politique marocaine perdra le nord en raison de l’improvisation qui bat son plein.

Les meilleurs observateurs et analystes s’emmêlent les pinceaux tellement cacophonie et anarchie sont les mots d’ordre dans un pays où les politiques ne gèrent pas les crises mais les créent. Si bien que face à un gouvernement fragile et incapable de résoudre les problèmes, la population est déterminée à arracher ses droits en faisant des réseaux sociaux la tribune redoutable des sans voix. A-t-on besoin de rappeler que depuis quelque temps, la toile est en ébullition donnant même naissance à une gauche « virtuelle » animée tantôt par un malaise général qui rampe tendant ses tentacules venimeuses, tantôt par une main invisible qui tire les ficelles tissées par des règlements de compte politiques se servant de la colère de la population pour semer le trouble voire le désordre?

La nature a horreur du vide

Quand un ministre – et pas des moindres- conteste son propre gouvernement et manifeste aux côtés d’employés d’une multinationale cela traduit, d’emblée, l’incapacité de l’Exécutif à trouver des solutions au sein de conseils tenus dans ce sens et présidés par un chef de gouvernement du même parti politique dudit ministre.

En soutenant les salariés de Centrale Danone, filiale marocaine du géant français de l’alimentaire, Lahcen Daoudi s’est attiré les foudres des internautes et plus encore celles de son parti.

Sous d’autres cieux, il est normal qu’un ministre présente sa démission suite à un problème quelconque. D’ailleurs, lundi 4 juin, le gouvernement jordanien, conduit par le Premier ministre Hani Mulqi a défrayé la chronique en présentant une démission collective au Roi Abdellah II. Pour cause les protestations que connaissent la capitale Amman et plusieurs villes et gouvernorats notamment contre le projet d’impôt sur le revenu. Mais chez nous, cela relèverait de l’utopique qu’un ministre demande à être dispensé de ses devoirs tellement le pouvoir grise les esprits. Aussi, Lahcen Daoudi marque-t-il le point avec sa demande de quitter le navire après sa participation déplacée au sit-in auprès des citoyens exaspérés par l’incompétence et la passivité d’un gouvernement absent. Rappelons que depuis le 20 avril, le boycott de produits locaux, une première au Maroc, continue à dévoiler encore une fois les failles d’un Exécutif puéril et mou. En effet, la campagne de boycott à l’encontre de Centrale Danone, des Eaux Sidi Ali et Afriquia a créé une tension qui a montré que la communication et le dialogue ne constituent pas le fort de nos politiques. Au contraire, c’est à croire qu’ils rivalisent dans la provocation du peuple qu’ils insultent et dénigrent.

Que ceux qui prétendent que le gouvernement El Othmani subit un acharnement quelconque de la part des citoyens se détrompent. L’Exécutif a bel et bien montré ses limites. Saad Eddine El Othmani, quant à lui, est plus préoccupé par son statut au sein du parti – ayant été déstabilisé au moment même de son élection par son prédécesseur et ses acolytes- que par sa mission de chef de gouvernement.

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Un chef de gouvernement « effacé » et des ministres « gauches »

Depuis le Hirak d’Al Hoceima jusqu’au boycott en passant par la crise de Jerada, la crédibilité des ministres s’effrite et leur légitimité d’étiole face à une classe moyenne qui, plongée de plus en plus dans le rouge voit rouge.

Si l’Exécutif est désigné pour décider du bien des citoyens, on a l’impression que les membres du gouvernement font abstraction de l’intérêt général. D’ailleurs, qui est responsable des inégalités sociales ? De la dégradation du niveau de vie des Marocains ? Du coût de la vie de plus en plus inaccessible et des prix excessifs sous l’emprise de mafias de lobbying de la surenchère? Qui protège les lobbies ? Qui est derrière les tarifs insurmontables des factures d’eau, d’électricité et d’impôts qui écrasent le peuple? Tant de questions qui taraudent les esprits endoloris par la frustration face à des prix à la consommation qui ne cessent de flamber, des salaires gelés et un taux de chômage qui grimpe.

Et dans le tumulte, nos ministres font montre du degré zéro de gouvernance. Aziz Rebbah ravive le feu en déclarant avec « arrogance » que 70 % des Marocains paient 100dhs/le mois en eau et électricité ! Mohamed Yatim, quant à lui, oublie de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de mettre les pieds dans le plat et de dire grossièrement : « Je suis ministre et non un citoyen » ! Et bien sûr Daoudi s’ajoute à la liste avec ses menaces à propos de Centrale Danone qui allait arrêter son activité au Maroc –alors que ce n’était pas le cas-. Le pire des propos sort de la bouche du ministre des Finances qui qualifie les boycotteurs de « mdaouikhs » : « étourdis ». Quelle réaction attendre alors d’un peuple que ses gouvernants traitent du haut de leur tour d’ivoire ?  Le mot d’ordre apparu, le 20 avril, sur facebook est « le boycott » comme ultime moyen pour se faire entendre. En multipliant les faux pas et les dissonances, ceux qui nous représentent ont fait naître, par leur populisme morbide, un ras-le-bol social d’un pays qui s’est endetté jusqu’au cou, d’une classe moyenne écrasée par les charges de la vie quotidienne au moment où une élite minoritaire s’enrichit chaque jour encore plus.

L’adhésion en masse à ce mouvement mystérieux qui s’est répandu comme une traînée de poudre – mais dont les meneurs ne sont pas connus- révèle une chose sûre : la société marocaine n’est plus ce qu’elle était. Les élus, administrateurs, et gouvernement qui affichent leur déni et ne se sentent pas concernés, soucieux juste de garder leurs fauteuils douillets,  sont désormais dans le viseur d’une population qui n’hésite plus à donner un coup de cloche. En effet, la gauche naissante sur les réseaux sociaux est décidée à mettre les membres du gouvernement au double discours devant leur schizophrénie déclarée et présentée sous toute sa splendeur, grandeur nature, vidéos et photos à l’appui.

Seul l’arbitrage royal peut calmer les esprits

Aujourd’hui, on a l’impression que le pays est pris en otage par une élite politique qui passe son temps à s’expliquer et à se justifier perdant toute crédibilité et légitimité face à  un raz de marée facebookien. Il est évident que certains surfent sur la vague des hiraks et du boycott mais il faut avouer qu’ils ont mis à nu une infrastructure politique défaillante et un gouvernement dans l’impasse, discrédité aux yeux de l’opinion publique. Cette grogne générale nous rappelle à l’ordre par un boycott qui s’est progressivement « politilisé », que le gouvernement aurait pu gérer autrement s’il n’avait pas minimisé puis diabolisé -sans prendre au sérieux- la colère sociale causant ainsi d’énormes dégâts. Par ailleurs, résoudre les problèmes du pays ce n’est pas seulement créer des commissions et les charger d’examiner sans vraiment qu’elles ne soient efficientes.

Or des solutions urgentes s’imposent pour arrêter cette crise inédite. Seulement, avec un gouvernement qui brille par son incompétence, rien ne peut absorber cette ébullition sauf un séisme qui se profile à l’horizon.

Si la gestion jusqu’ici catastrophique n’a fait que provoquer des secousses sociales, un remue-ménage et une mise à niveau politiques sont nécessaires pour mettre fin à un mouvement spontané, dévastateur qui ne s’arrêtera qu’en cas de séisme qui doit secouer la terre sous les pieds de ceux qui inondent le peuple de leurs coups de bec.

Faut-il rappeler que SM le Roi, dans son discours à l’occasion de la fête du trône du 30 juillet 2015, avait souligné que « Tout ce que vous vivez m’intéresse : ce qui vous atteint m’affecte aussi, ce qui vous réjouit me réjouit également, ce qui vous tracasse figure toujours en tête de mes préoccupations » ?

Le Roi Mohammed VI qui a, plusieurs fois, sonné les cloches aux  politiques, lui qui a dit ne plus avoir confiance en eux, lui qui a tiré la sonnette d’alarme, à plusieurs reprises, ne peut ne pas réagir pour la dignité de son peuple. Lui qui a fait du « séisme politique » – expression prononcée dans son discours du 24 octobre, lors de la rentrée politique- l’élément phare de l’année, ne peut pas ne pas frapper fort. Alors, le discours de la fête du trône apportera-t-il le mot de la fin pour réparer le tort de ceux qui ont fait de ce boycott un mouvement de « citoyens contre l’Etat » et non de « consommateurs contre des entreprises » ?

En tout cas,  on a besoin d’une équipe de choc et de renfort pour sauver ce qui reste à sauver. On a besoin de technocrates qui puissent sortir le pays de l’ornière en séparant politique et religion et pouvoir et politique.

Pour cela, un remaniement profond s’avère urgent et seul le Roi peut décider de la manière de « mettre au coin » ceux qui vouent le peuple aux gémonies affichant grossièrement une suffisance qui n’a d’égale que leur impéritie.

Serait-ce alors un remaniement partiel ou des élections anticipées avec tout ce que cela implique sur le plan politique et financier ? Le problème dans ce cas de figure c’est que les résultats resteront les mêmes. Serait-ce donc un changement radical dans la composition d’une majorité gouvernementale qui a toujours manqué de cohésion dès le premier jour?

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