Afghanistan : Les dessous d’un chaos programmé

Par Gabriel BANON

Les États-Unis et les Talibans avaient signé, le 29 février 2020 à Doha, au Qatar, un accord dit historique, qui prévoyait le retrait sous quatorze mois des troupes américaines d’Afghanistan. Après une guerre de dix-huit ans — la plus longue guerre des États-Unis — les « boys » sont rentrés aujourd’hui à la maison, mais pas dans le schéma prévu par les accords.

La résolution n°2513, adoptée à l’unanimité des quinze membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, transformait l’accord de Doha en Loi. Ainsi les Américains n’avaient plus de possibilité de revenir sur les termes de l’accord.
Pour justifier le chaos dans lequel le départ inorganisé des troupes américaines a plongé l’Afghanistan, Joe Biden se contente de déclarer : « Les événements que nous voyons actuellement sont la triste preuve qu’aucune quantité de force militaire n’aurait permis d’obtenir un Afghanistan sûr, uni et stable, connu dans l’histoire comme le cimetière des empires. Les États-Unis, a-t-il poursuivi, n’ont jamais eu comme objectif de « construire une nation » en Afghanistan. « Notre mission (…) n’a jamais été censée créer une démocratie unifiée centralisée », a souligné le président, en précisant que l’objectif unique « reste aujourd’hui, et a toujours été, d’empêcher une attaque terroriste sur le sol américain ».

Piètre argumentaire devant l’impression de déroute et d’improvisation qui a escorté le retrait américain.
Dix jours, c’est le nombre de jours qui se sont écoulés entre la prise par les Talibans de la première capitale provinciale, Zaranj dans le sud-ouest de l’Afghanistan, et celle de Kaboul. Dans cet intervalle, jamais l’armée gouvernementale afghane n’a semblé en mesure de freiner l’avancée du groupe islamiste, mettant en évidence les erreurs commises pendant vingt ans en Afghanistan par les États-Unis et le Pentagone ; Ils ont dépensé sans compter et sans succès, près de 5 milliards de dollars par an.

Depuis leur arrivée en Afghanistan, les États-Unis ont dépensé 83 milliards de dollars pour créer de toutes pièces une armée à l’image de celle de Washington, c’est-à-dire dépendant largement d’un soutien aérien et d’un réseau de communication en bon état, dans un pays où seulement 30 % de la population a de l’électricité 24 heures sur 24.

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Mais les Américains n’ont pas tenu compte du fait que la majorité des soldats afghans étaient illettrés et que le pays manquait d’infrastructures pour entretenir un équipement militaire sophistiqué.

« Les systèmes d’armement avancés, les véhicules, la logistique utilisés par les armées occidentales, dépassaient les capacités des militaires afghans, largement illettrés et peu éduqués« , indique également le dernier rapport du Sigar, chargé par le Congrès américain de superviser l’action des États-Unis en Afghanistan.

Les responsables du Pentagone n’ont eu de cesse, ces derniers mois, de souligner à quel point les forces afghanes (Armée et police), fortes de plus de 300 000 hommes, avaient un avantage sur 70 000 Talibans. Faux, mais mentir permettait aux militaires afghans d’obtenir un soutien financier, chaque fois plus important, de la part des États-Unis. Selon le rapport du Sigar, les désertions ont également été un problème.

Le maître mot expliquant l’effondrement de l’armée afghane face aux Talibans est : la corruption.

Mais que dire de la politique du Pentagone! Toutes les opérations menées en dehors du territoire américain ont été des échecs. Les images terribles du chaos et des scènes de panique à l’aéroport de Kaboul, ont un goût amer de déjà-vu. Le retrait des troupes US du Vietnam a donné lieu aux mêmes scènes de panique, avec des grappes humaines accrochées aux hélicoptères d’évacuation. Et que dire des milliers de vietnamiens comme aujourd’hui des milliers d’Afghans qui ont fait confiance aux Occidentaux et ont été abandonnés à la vindicte des nouveaux maîtres du pays?

On est en droit de se poser la question : a-t-on intérêt à se mettre sous le parapluie américain ? Est-ce une fausse impression de sécurité ? Rappelez-vous, le traité de l’Asie du Sud Est (OTASE), créé à Bangkok en 1954, entre les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Thaïlande, le Pakistan et les Philippines. Il devait, dans l’optique de la politique du « cordon sanitaire » définie par John Foster Dulles, enrayer la progression du communisme chinois vers l’Asie du Sud-Est. Mais la crise du Laos en 1959-1960, puis celle de la Malaisie en 1963, la dénonciation de la politique américaine en Indochine par la France, bientôt suivie du Pakistan, furent autant d’événements qui montrèrent les limites de cette alliance.

Être allié de l’Amérique, c’est comme dîner avec le diable. Il faut veiller constamment à ce que les intérêts croisés subsistent. On n’est jamais à l’abri d’un redéploiement géopolitique brusque, qui risque de laisser le partenaire désemparé, nu sur le sable.

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