Afrique/USA: Vers un repositionnement de la démarche stratégique US envers le Continent

Tribune

Par : Othmane Semlali

L’Afrique, Continent de tous les possibles, ne cesse, ces dernières années, d’attirer l’attention des grandes puissances les plus influentes sur la scène internationale, et à leur tête les USA, qui à un avenir très proche, voyaient déjà dans l’Afrique une « terre lointaine » et sans intérêt stratégique « direct » et « majeur » pour Washington.

Pourtant, durant la crise pandémique engendrée par le Covid-19 et même après, l’Afrique a montré une capacité de résilience inouïe, avec un taux de croissance des plus élevés de par le monde, poussant ainsi, les USA en particulier à réviser sa stratégie et à revoir ses cartes vis-à-vis de ce Continent si prometteur.

Et pour preuve : Après le Sommet d’affaires USA- Afrique tenu du 19 au 22 juillet à Marrakech autour de la thématique : « Construire ensemble l’avenir », qui a connu un franc succès, permettant de démontrer à quel point le Maroc peut jouer ce rôle « pivot » dans le rapprochement USA- Afrique, les USA et l’Afrique se sont déjà donnés rendez-vous le 13 décembre prochain à Washington pour un autre Sommet tout aussi « stratégique » que « prometteur ». Occasion d’approfondir davantage les discussions et de donner corps aux multiples concertations déjà entamées, sous la nouvelle Administration « Biden ».

C’est d’ailleurs, dans cette optique de rapprochement et de restructuration des relations USA- Afrique, que le Secrétaire d’Etat US, Antony Blinken a entamé depuis dimanche 7 août 2022 une visite en Afrique, la seconde du genre, avec comme point de départ l’Afrique du Sud, avant de se rendre dans un second temps en République Démocratique du Congo et puis au Rwanda.

Pour rappel, le Secrétaire d’Etat US, s’était rendu, l’année dernière, au Kenya, au Nigeria et au Sénégal.

Animant conjointement une conférence de presse à Pretoria, avec son homologue sud- africaine, Naledi Pandor, le responsable américain a fait part de l’ambition de son pays d’établir un « véritable partenariat » avec l’Afrique.

« Ce que nous recherchons avant tout, c’est un véritable partenariat entre les États-Unis et l’Afrique. Nous ne voulons pas d’une relation déséquilibrée ou transactionnelle », a-t-il enchaîné, avant de souligner que « Washington ne considérait pas la région comme le « dernier terrain de jeu dans une compétition entre grandes puissances ».

« Ce n’est fondamentalement pas ainsi que nous voyons les choses. Ce n’est pas ainsi que nous ferons progresser notre engagement ici », enchaine-t-il en toute assurance. « Notre engagement en faveur d’un partenariat renforcé avec l’Afrique ne consiste pas à essayer de surpasser qui que ce soit », explique Blinken.

C’est dire que ce déplacement en Afrique du Sud n’est pas un pur fruit du hasard ou une simple coïncidence de la diplomatie américaine mais bel et bien, serait un choix minutieux et motivé par la volonté de la Maison Blanche d’opérer un rapprochement de la diplomatie de l’Afrique du Sud avec le clan occidental. L’ambition ne serait autre que de vouloir « faire face » à l’influence russe et celle chinoise qui vont crescendo sur le Continent.

Un constat judicieux dès qu’on se met à l’évidence le fait que la tournée de Blinken en Afrique fait suite à celle effectuée fin juillet 2022 par le Chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, l’ayant mené au Congo, à l’Ouganda, en Egypte et puis en Ethiopie.

+Publication d’un nouveau document US « Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne »:

Concrètement, l’intérêt grandissant des USA pour l’Afrique a été derrière la publication lundi 08 août 2022, d’un document intitulé « Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne ».

Sorte de « feuille de route » détaillée et exhaustive, le document tentera d’établir une refonte, tous azimuts, et donc de redéfinir la nouvelle politique de Washington dans le Continent, et repose sur les sociétés ouvertes et démocratiques, la sécurité, le développement économique et la transition énergétique.

Ce document qui trace les contours et la contenance de la nouvelle stratégie US envers l’Afrique, ne s’éloigne pas dans le cadre de son approche adoptée, de l’ambition de faire bloc devant les influences de la Russie et de la Chine.

1- Une nouvelle approche en matière de lutte contre le terrorisme :

Autre ambition majeure de la nouvelle stratégie USA envers l’Afrique consiste pour Washington à vouloir développer une approche plus « efficace » contre le terrorisme et qui ne se limite guère au seul volet militaire.

Cette réorientation en matière de lutte contre le terrorisme fait suite à une série de critiques exprimées au sujet de la démarche US qui a trop misé sur l’action militaire comme « solution efficace » contre les groupes terroristes en Afrique. Une approche dont les résultats se sont avérés limités, ne réussissant guère à endiguer la nébuleuse terroriste et par là, à freiner son extension géographique. Le document qui se veut « novateur » tient compte aussi du poids de la croissance démographique du Continent, son poids au sein de l’instance onusienne, ainsi que de ses potentialités naturelles et des multiples opportunités de croissance que l’Afrique offre.

Selon les termes de ce nouveau document, « Les Etats-Unis ont tout intérêt à s’assurer que la région reste ouverte et accessible à tous, et que les gouvernements et les populations puissent faire leurs propres choix politiques (…) Des sociétés ouvertes sont généralement plus enclines à travailler de concert avec les Etats-Unis, attirent plus de commerce et d’investissement américain (…), et contrent les activités nuisibles de la République populaire de Chine, de la Russie et d’autres acteurs étrangers ».

Autrement dit, le document définit quatre objectifs à atteindre, échelonnés sur une durée de 5 ans à savoir :

A- Favoriser les sociétés ouvertes,

B- Offrir des dividendes démocratiques et en matière de sécurité

C- Travailler au redressement après la pandémie et sur les opportunités économiques,

D- Soutenir la préservation et l’adaptation au climat et une transition énergique juste.

2- L’influence russe et chinoise dans le viseur des Américains :

Le document de réorientation de la politique US envers l’Afrique a été adopté, avec comme toile de fond de contrecarrer l’influence de Moscou et de Pékin très « pesante » sur le Continent.

Dans sa perception des choses, le document considère la Chine comme un pays se comportant comme dans une « arène pour défier l’ordre international fondé sur des règles, faire avancer ses stricts intérêts commerciaux et géopolitiques (…) et affaiblir les relations des Etats-Unis avec les peuples et les gouvernements africains ».

Pour la Russie, le document US, y voit un pays qui « considère la région comme un environnement permissif pour les sociétés para-étatiques et militaires privées, créant souvent de l’instabilité pour en retirer un avantage stratégique et financier », déplorant également le recours de Moscou à l’usage de « la désinformation ».

Dans ce schéma, ce qui est pointé du doigt directement, ce sont les agissements des mercenaires russes connus sous le nom de « Wagner », et qui seraient derrière plusieurs exactions notamment en Centrafrique.

3- Une volonté US de rompre avec l’autoritarisme et les coups d’Etat militaires :

A travers cette nouvelle feuille de route, Washington affiche sa volonté réelle de vouloir rompre avec l’autoritarisme et les coups d’Etat militaires qui, ces derniers temps, prennent de l’ampleur en Afrique.

Pour se faire, estime-t-on, un effort accru est à déployer afin d’endiguer la récente vague d’autoritarisme et de coups d’Etat militaires, en travaillant avec des alliés et des partenaires dans la région afin de répondre au recul démocratique et aux violations des droits de l’homme ».

Les Etats-Unis seront donc amenés à utiliser leur « capacité unilatérale » c’est-à-dire « militaire » contre des cibles terroristes « uniquement là où c’est légal et là où la menace est la plus aiguë », estimant que « le but est de donner la priorité aux « approches dirigées par des civils lorsque c’est possible et efficace ».

Washington estime que l’appui des USA pour une véritable relance « post-Covid-19 » de l’Afrique est « une condition préalable pour regagner la confiance de l’Afrique dans le leadership mondial des USA ».

+ Le Maroc, un rôle « pivot » dans la restructuration des rapports USA- Afrique

De par son ancrage africain, la qualité des liens historiques, profonds et exemplaires unissant le Royaume Chérifien à nombre de pays africains, dans divers domaines d’intérêt commun, d’une multitude de projets structurants et de grande envergure en cours de réalisation dans les provinces du Sud, le Maroc dispose de plusieurs atouts à son actif pour jouer un rôle « pivot » dans le rapprochement entre Washington et l’Afrique, en contribuant positivement à la restructuration de ces liens.

Autres atouts considérables résident dans le fait que Rabat et Washington demeurent liés par un accord de libre-échange, outre les relations exemplaires historiques et profondes qui unissent les deux pays, étant donné que le Royaume Chérifien fut le premier pays à reconnaitre officiellement l’indépendance des USA dès 1777.

Après la reconnaissance par les USA de la Marocanité du Sahara en 2020, la multiplication des visites entre responsables américains et marocains, et le renforcement de partenariats édifiants dans plusieurs domaines stratégiques (économique, militaire, recherche scientifique, industriel….), le Maroc et plus précisément Marrakech a été du 19 au 22 juillet 2022 au rendez- vous, avec les travaux de la 14ème édition du Sommet des affaires USA-Afrique.

Ce Sommet organisé par le gouvernement marocain, en partenariat avec « Corporate Council on Africa » (CCA), a connu la participation d’une importante délégation gouvernementale américaine, de ministres africains et de décideurs des plus grandes multinationales américaines et des milieux d’affaires africains.

Un congrès réussi à tous les niveau comme en témoigne la présence de 1.500 participants, six ministres des Affaires étrangères, plus de vingt ministres représentant des secteurs différents et plus de cinquante pays africains, outre 80% de participants issus du secteur privé.

Plus de 450 d’entreprises américaines étaient présentes, alors que plus de 5.000 mises en relations ont été initiées entre des représentants des secteurs public et privé.

Lors de ce Sommet, on assistait aussi à la signature de plusieurs contrats d’affaires entre des entreprises américaines et africaines.

Pour la présidente et CEO du « Corporate Council on Africa » (CCA), Florizelle Liser, le Sommet de Marrakech a été l’occasion d’insister sur l’importance d’une action conjointe des gouvernements américain et africains, ainsi que des secteurs privés africain et américain, « pour faire avancer les investissements et les relations économiques et commerciales entre les Etats-Unis et l’Afrique ».

« Nous sommes très honorés et ravis de travailler en étroite coopération avec le gouvernement marocain et d’avoir le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI », s’est félicitée Liser, notant que le CCA demeure engagée à œuvrer de concert avec le Maroc pour faire avancer les relations économiques entre les Etats-Unis et l’Afrique.

Offrant l’occasion d’établir des partenariats d’affaires tripartites USA-Maroc-Afrique orientés vers l’avenir, ce Sommet, placé sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, a offert l’opportunité de consolider davantage le positionnement stratégique du Maroc, seul pays africain ayant conclu un accord de libre-échange avec les Etats-Unis, en tant que hub pour l’Afrique et partenaire économique de référence pour les USA.

Après Marrakech, l’Afrique est attendue à Washington le 13 décembre prochain, pour un autre Sommet qui serait à la hauteur des attentes d’un Continent longtemps exploité et mis en service des grandes puissances.

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