Alger, dernier joker de Macron ?

Qu’on se le dise sans équivoque : Le Maroc, devenu une puissance régionale, dérange. Sa diplomatie de plus en plus offensive exige la transparence, la clarté et surtout un traitement d’égal à égal. Ceci ne plaît pas, bien entendu, à l’ancienne puissance coloniale qu’est la France. Pourtant, en août de l’année dernière, le Quai d’Orsay déclarait que le « Maroc est un grand pays ami de la France avec lequel elle entretient un partenariat exceptionnel ». Mais en politique, l’évidence même est qu’il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts qui régissent les liens et les relations.

La visite qu’entame le Président français en est la meilleure illustration, bien entendu. En se rendant, aujourd’hui, et pour trois jours en visite officielle en Algérie, Emmanuel Macron dévoile bien ses cartes juste quelques jours après le discours royal où Sa Majesté le Roi Mohammed VI où il a appelé les partenaires à adopter une position claire : « S’agissant de certains pays comptant parmi les partenaires du Royaume, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, Nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque».

En décembre 2017, au tout début de son premier quinquennat, Macron avait fait une visite éclair en Algérie qui lui a attiré les foudres de la droite et de l’extrême droite en France. A ce moment-là, les relations entre les deux pays s’annonçaient plutôt bien. Le jeune président novice avait beaucoup parlé de la guerre d’Algérie et qualifié la colonisation française de « crime contre l’humanité », reconnaissant « au nom de l’État » les crimes de l’armée française à Alger, laissant croire à une éventuelle repentance. Il avait même lancé le projet d’un musée de l’histoire de France et de l’Algérie à Montpellier, toutefois, cela n’avait trouvé aucun écho de l’autre côté. Ne sait-il pas que le système algérien ne prend jamais une main tendue ?

Le nouveau Président est très vite rattrapé à la nuque par un long passif et un contentieux dur à faire oublier. C’est un marécage de sang et quelque 132 ans de colonisation qui séparent la France des Algériens. D’ailleurs, les réactions sur les réseaux sociaux montrent à quel point la population rejette la visite de Macron dont elle n’attend rien.

Seulement et comme l’avait bien dit feu Hassan II, « La politique est un peu semblable à la météo, on progresse par temps clair ou par temps couvert, chaque fois, il faut percer les nuages de l’avenir ». Et pour la France, une éclaircie vient de l’Algérie.

Une mise au jeu sous haute tension

Il est clair que la France, paternaliste jusqu’au bout avec ses anciennes colonies, perd du terrain comme une peau de chagrin. Et si l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, a déclaré à l’AFP qu’il « ne voit tout de même pas bien l’intérêt d’une telle visite actuellement puisqu’il n’y a pas de changement récent dans les relations avec l’Algérie », Macron, lui, tient à forcer le changement ou du moins donner l’impression à la communauté internationale. L’objet de la visite étant, bien entendu, d’apaiser les tensions et les contentieux tout en essayant de reconstruire des relations diplomatiques entre les deux pays et renforcer la coopération franco-algérienne. Une visite qui se veut « tournée vers la jeunesse et l’avenir » comme souligné par l’Élysée, cette jeunesse qui n’a pas vécu les affres du colonialisme et qui pourrait constituer pour Macron une carte à jouer.

Mais pour cela, il devra, avant tout, dissiper les tensions cumulées suite aux propos injurieux et méprisants tenus à l’égard de l’Algérie. Pour rappel, lors de sa campagne électorale de l’année dernière, Macron avait insinué que l’identité nationale de l’Algérie s’était forgée sous domination française tout en ajoutant que les dirigeants algériens avaient réécrit l’histoire de la lutte pour l’indépendance en se nourrissant de haine à l’égard de la France.

Aujourd’hui, si l’histoire d’un passé douloureux est toujours présent dans la mémoire collective des Algériens, les enjeux politiques, économiques et sociaux sont les plus pressants.

Mais la tâche ne sera pas facile pour le Président français surtout quand tout divise les deux pays. Mais peut-être que leur point en commun, du moins pour le moment, les rapprochera : le fait d’en vouloir au Maroc chacun pour des raisons propres à lui.

Gaz contre visas ?

La météo annonce un hiver dur pour Macron qui ne peut se réchauffer qu’au creux d’un pays dont il avait pourtant dénoncé un « système politico-militaire » qui surfe sur « la rente mémorielle » autour de la guerre d’indépendance.

La pénurie de pétrole et de gaz risque de peser sur la France dans les mois à venir, il faut donc trouver des partenaires, et qui mieux que l’Algérie pour cette mission ? N’est-elle pas le troisième fournisseur de gaz naturel pour l’Europe derrière la Russie, la Norvège, et devant le Qatar ? L’Algérie, quant à elle, a besoin d’un acolyte pour défendre un dossier monté de toute pièce par ses soins. Et dans ce cas, qui mieux que la France qui traîne une lourde responsabilité dans la naissance de ce conflit artificiel ? N’est-ce pas l’administration française en Algérie qui avait tracé, en 1938, la ligne virtuelle décidée entre officiers français sur les cartes du Sahara entre le Maroc et l’Algérie ?

En somme, cette visite d’Emmanuel Macron saura-t-elle répondre aux attentes des Algériens qui exigent de réparer les torts pour atténuer le poids du passé colonial ?

En attendant les excuses qu’exigent les Algériens de la part du Président français et qui ne risquent certainement pas d’avoir lieu compte tenu des réactions que pourrait avoir la société française, celui-ci compte s’adresser aux jeunes à qui il demande d’oublier le passé et de se tourner vers l’avenir. Espérons juste qu’il ne va pas leur sortir la fameuse phrase de De Gaulle : « Je vous ai compris ».

De toute manière, au moment où la diplomatie marocaine multiplie ses partenaires, la France et l’Algérie ont intérêt à trouver un terrain d’entente et des arrangements sur la question mémorielle qui empoisonne leurs relations pour réussir le troc du gaz contre les visas et l’appui du dossier du Sahara.

Quant à nous, nous devons avoir à l’esprit les propos de feu le Roi Hassan II : « Si tu vois ton ami avec ton ennemi, sache que les deux sont tes ennemis, l’un secrètement et l’autre publiquement ».

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