Algérie : Elarja ou le voisinage boiteux

Par Ahmed FAOUZI*

Alors que des milliers d’Algériens civiles défilent dans les grandes villes du pays bravant la répression militaire et les dangers de contamination par la Covid-19, l’armée algérienne ne trouve rien de mieux que d’envoyer, pour une mission à ses yeux hautement stratégique, quelques soldats et gendarmes à la frontière avec le Maroc. Ces derniers ont été chargés de signifier à des agriculteurs marocains labourant leurs lopins de terre près de la ville de Figuig, région qui chevauche la frontière entre les deux pays, de quitter leur domaine avant le 18 mars courant, sous prétexte que cette terre revient à l’Algérie.

Cette manière de procéder a laissé les observateurs de tous bords pantois par son manque de civilité et de tact. Habituellement, les pays usent des canaux officiels, dont le canal diplomatique, pour solutionner les différends. On comprend aisément, dès lors, pourquoi les manifestants algériens du Hirak réclament l’instauration d’un État civil. Comme chacun sait, le traçage de cette frontière découle de la colonisation quand l’Algérie était un département français et le Maroc un protectorat. Il a été arbitraire à plus d’un titre et les deux pays, une fois indépendants, ont tenu à sauvegarder le statuquo et tenter, autant que faire se peut, de régler pacifiquement tout litige y afférent. L’intervention algérienne cette fois-ci, n’a répondu ni aux critères de bon voisinage ni aux us et coutumes diplomatiques stipulés dans la charte des Nations unies qui recommandent la concertation entre États pour éviter malentendus et risques de confrontation.

A travers tous les continents, les disputes frontalières sont légion et surgissent en temps de crise pour des raisons géostratégiques. Elles peuvent aussi surgir pour des raisons économiques comme la découverte de richesses en sous-sol ou en mer. En principe, dès leur apparition, les États, sûrs de leurs droits, sont censés mener des négociations bilatérales discrètes ou, le cas échéant, à travers des intermédiaires de confiance pour trouver des solutions pacifiques. Quand ces recours sont épuisés, les pays en question peuvent décider conjointement de solliciter les juridictions internationales dont la Cour Internationale de Justice.

Ce comportement responsable est l’apanage des pays forts, conscients de leur droits et devoirs. Les frontières posent de par le monde des problèmes ingérables et parfois insolubles car elles sont la limite matérielle d’un territoire politique donné et le commencement d’un autre. C’est à cette jonction que s’établit un rapport de force entre les États et que la frontière devient une zone de frottements et de contacts entre puissances et parfois entre belligérants. En temps de paix, la coopération se développe et la paix règne, mais en temps de conflit l’économie comme les populations pâtissent de la non résolution de ces conflits. Le Maroc a, à plusieurs reprises, tendu la main à l’Algérie pour l’ouverture des frontières et créé les conditions d’un réel développement mutuellement bénéfique. En vain. Il a toujours reçu une fin de non-recevoir de la part de la junte militaire qui gouverne l’Algérie depuis l’indépendance.

En raison de cette hostilité, la frontière maroco-algérienne a cessé d’être un trait d’union entre deux peuples liés par l’histoire. Depuis plus d’un quart de siècle, cette frontière est devenue une barrière aussi infranchissable que celle qui sépare les deux Corée. Malgré cette fermeture hermétique, les autorités algériennes ne cessent de dénoncer le trafic de tous genres entre les deux pays, et d’abreuver son peuple d’un discours de haine à l’égard du Maroc. Au lieu d’ouvrir les frontières pour mieux contrôler les échanges aux bénéfices de tous, et créer une zone de développement partagée, Alger préfère la fermeture à l’ouverture, le non développement au développement. Cette politique voulue et assumée par l’Algérie, a mené à un processus de fossilisation aussi bien de nos frontières que de la mentalité des dirigeants algériens.

L’ultimatum lancé à ces paysans marocains devait, en principe, passer par le canal diplomatique pour trouver, d’une manière paisible, une issue honorable, une sorte de solution qui sied aux valeurs communes des populations riveraines et de nos deux pays respectifs. Alger a préféré au contraire procéder, à sa manière habituelle, par le fait accompli, qui plus est s’est trouvé vite amplifié par sa presse locale. On peut à ce propos lui rappeler que la prévention des conflits est l’une des obligations imprescriptibles des Etats, et qu’il est de son devoir de bannir tout acte de violence, sous toutes ses formes, à l’égard de ses voisins. Toute action préventive de sa part n’est légitime que si elle n’est pas source d’injustices pour les autres.

La logique de l’affrontement n’est rentable pour personne, à commencer par les populations de ces régions frontalières. On pourrait poliment rappeler à la mémoire des dirigeants algériens l’état des terres agricoles laissées par la France en Algérie, en 1962, et ce qu’elles sont devenues après, puisque le pays importe maintenant presque tous ses besoins alimentaires. Il faut espérer que cette terre longtemps travaillée par des bras marocains reste cultivée et verdoyante et non réduite en cendres comme par le passé. Apprendre de sa propre histoire peut éclairer l’avenir.

*Ancien Ambassadeur

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