Algérie : Et si Bouteflika rempilait avec 70% de voix ?

Hassan Alaoui

Rien n’est moins sûr que cette hypothèse quelque peu hasardeuse selon laquelle Abdelaziz Bouteflika céderait à la pression de la rue, au prétexte que ses adversaires ruent dans les brancards.

Lui-même réaliserait-il qu’un jeu de pronostics se déchaine autour de lui qu’il n’en aurait cure. Il n’a jamais pu concevoir et encore moins accepter qu’il existerait jamais un adversaire ou quelqu’un capable de lui ravir la vedette.

« Lui », à la première personne, ce sont aussi « eux » au pluriel qui campent avec obstination autour de son image devenue une effigie : les caciques du FLN, indécrottables partisans qui tiennent toujours le haut du pavé, les militaires restés fidèles au sein desquels il n’a cessé d’opérer des purges depuis son arrivée au pouvoir en 1999 ; les DRS, DSS et autres officines , le clan de son propre frère Saïd, ambitieux et âgé de 61 ans, enfin toute la nomenklatura corrompue qui profite des prébendes d’un régime qui a érigé la corruption, les royalties du pétrole et le système rentier.

Les observateurs pertinents ne cèdent pas au mirage des révoltes, et répètent à qui veut les entendre que, sauf soulèvement profond qui nous enverrait à l’hypothèse d’un « printemps algérien », Bouteflika rempilerait. Autrement dit, il pourrait remporter les élections du 18 avril prochain haut la main, avec un score à faire pâmer d’envie tant d’autres.

Comme il y a quatre ans, lorsqu’il avait brigué le 4ème mandat, les voix se sont élevées dans tout le pays, chez les autres peuples d’Europe, du Maghreb, du monde arabe voire d’Afrique pour dénoncer la violation constitutionnelle et l’anomalie qui en découle. Un processus analogue à celui d’aujourd’hui a enclenché la colère du peuple algérien et précipité les uns et les autres dans un brouillamini , éparpillant à la fois les voix de ses adversaires et dévoilant des ambitions individuelles qui frisaient le ridicule.

→ Lire aussi : Les Algériens disent “Non” à un 5è “mandat de trop”

Autant dire que, à présent comme il y a quatre ans, la cohérence était du côté du pouvoir et de Bouteflika, et l’anarchie de celui de ses adversaires. Retors et même pervers, Bouteflika connait bien et tient bien les rouages de l’Etat, de l’armée et de la politique. Il va même jusqu’à prétendre que c’est lui le « créateur de l’Algérie d’aujourd’hui », l’inventeur de son modèle, le « père de la nation ».

Sa chance est d’être à la tête de l’Etat à un moment où grimpant au chiffre des 100 dollars, la manne pétrolière lui a permis de jongler aisément avec une richesse en plein expansion au point de cumuler en 2016 un trésor de guerre équivalent à la bagatelle de 160 ou plus de milliards de dollars, enfouis dans les caisses de l’Etat qui, aussi vite que recueillis, sont dépensés dans une folle course à l’armement.

L’Etat algérien n’a jamais été un distributeur à son peuple des richesses issues du gaz et du pétrole. Il est le tenant de ce qu’on appelle la théorie du ruissellement, autrement dit il enrichit une aristocratie du farniente au détriment du peuple qui en reçoit les miettes, il achète la paix sociale par une politique de subventions du goutte à goutte. L’armée, émanation de l’ANP ( Armée nationale populaire), est le pilier du régime qui détient le vrai pouvoir et , le cas échéant, assure sa pérennité.

A présent, la situation reste confuse aux yeux des dirigeants occidentaux, arabes et africains, mais elle ne semble pas si désespérée pour les partisans du président sortant, tant il est vrai qu’en face de sa candidature, la multitude partis représentés sur l’échiquier et les prétendants spontanés ne font nullement le poids. Moins de deux mois nous séparent du scrutin, et les candidats sont à coup sûr peu ou très mal préparés à un affrontement politique où ils dénoncent d’ores et déjà la manipulation et les fraudes habituelles.

Les plus cyniques des observateurs estiment qu’à 82 ans et après 20 ans de « règne » sans partage, Abdelaziz Bouteflika qui a commencé sa carrière politique avec Ben Bella, il y 57 ans, ministre des Affaires étrangères et président ad vitam aeternam, dira-t-on, est aujourd’hui à l’Algérie ce que le triste héros du roman de Gabriel Garcia Marquez, « L’Automne du patriarche » incarnait : entre « dictature et chaos carnavalesque ». C’est le peuple qui en paye le prix fort…

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