Algérie : la dérive autoritaire franchit un nouveau cap avec la condamnation du journaliste français Christophe Gleizes

Alors que Boualem Sansal attend ce mardi le verdict en appel de son procès, l’Algérie envoie un signal inquiétant à la communauté internationale en condamnant à sept ans de prison ferme le journaliste Christophe Gleizes, sur fond de tensions diplomatiques accrues avec la France. Un pas de plus dans une logique répressive qui confirme la nature autocratique du régime algérien.
Le climat diplomatique délétère entre Paris et Alger prend une nouvelle dimension par la condamnation à sept ans de prison ferme du journaliste français Christophe Gleizes, acte qui marque un tournant inquiétant pour la liberté de la presse en Algérie. Ce verdict, prononcé dimanche 29 juin dans un relatif silence institutionnel, illustre de manière saisissante la consolidation d’un régime autoritaire qui n’hésite plus à instrumentaliser la justice à des fins politiques.
Le ministère français des Affaires étrangères, dans un communiqué laconique diffusé lundi, s’est limité à « déplorer vivement » cette « lourde condamnation », réaffirmant son attachement aux libertés fondamentales sans pour autant exiger la libération du journaliste. Cette prudence diplomatique, bien que prévisible dans un contexte de tensions croissantes, contraste avec la gravité des faits reprochés à Gleizes : « apologie du terrorisme » et « possession de publications à des fins de propagande portant atteinte à l’intérêt national ». Une rhétorique judiciaire typique des régimes qui cherchent à criminaliser toute expression critique ou indépendante.
Christophe Gleizes, collaborateur de longue date des magazines So Foot et Society, s’était rendu en mai 2024 en Algérie pour enquêter sur la Jeunesse Sportive de Kabylie (JSK), club emblématique du football local. Son travail, reconnu pour sa rigueur et son indépendance éditoriale, l’avait conduit à entrer en contact avec un dirigeant du club, également affilié au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), organisation classée « terroriste » par Alger en 2021. À l’appui de cette interaction, les autorités ont monté un dossier à charge qui, selon ses soutiens, repose essentiellement sur un échange postérieur à cette désignation et motivé uniquement par des besoins journalistiques.
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Placée sous contrôle judiciaire pendant treize mois et empêché de quitter le territoire, la cible de cette affaire n’est donc pas tant un prétendu soutien au terrorisme que l’acte même de documenter un sujet sensible dans un territoire perçu comme dissident par le pouvoir central. Le traitement infligé à Gleizes rappelle d’autres précédents dans la région, où l’accusation d’« atteinte à la sécurité nationale » sert à faire taire les voix critiques, y compris étrangères.
Cette affaire intervient alors que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, figure intellectuelle respectée des deux rives de la Méditerranée, attend le verdict en appel de sa propre condamnation à cinq ans de prison pour avoir simplement exprimé, lors d’une conférence en France, des propos jugés attentatoires à « l’unité nationale ». Sansal, qui avait évoqué le caractère artificiel des frontières héritées de la colonisation, est devenu l’un des symboles de la crise entre les deux pays. À travers lui, Alger entend punir non seulement un écrivain libre, mais aussi toute mise en cause du récit officiel national.
Depuis l’été 2024, les relations entre la France et l’Algérie se sont à nouveau détériorées, ravivées par la reconnaissance par Paris du plan marocain d’autonomie pour le Sahara. Alger y a vu un affront stratégique, rompant brutalement les canaux de coopération migratoire, judiciaire et diplomatique. Dans ce contexte, l’acharnement judiciaire contre des voix indépendantes d’origine française prend une dimension politique qui ne peut être ignorée.
En choisissant de criminaliser le journalisme d’investigation et de réduire au silence ses intellectuels les plus critiques, le régime algérien se démasque. Les apparences institutionnelles ne suffisent plus à masquer la réalité d’un pouvoir qui, derrière le paravent de la lutte antiterroriste, s’enfonce dans une logique autoritaire où l’état de droit est vidé de sa substance. La multiplication des arrestations, les poursuites arbitraires, l’absence de transparence dans les procès et le refus du débat public forment les piliers d’un système qui se referme sur lui-même, au mépris des engagements internationaux qu’il prétend honorer.
Le silence relatif de la France, puissance ancienne colonisatrice et partenaire historique, interroge. Si la prudence diplomatique peut se comprendre dans certains cas, elle devient ici un aveu d’impuissance, voire de renoncement. Car en ne condamnant pas avec force les dérives autoritaires d’Alger, Paris risque de laisser s’installer une dangereuse jurisprudence : celle d’un régime qui, sans craindre de représailles, arrête des journalistes étrangers pour le simple exercice de leur métier.