Algérie : Le populisme comme échappatoire à la crise

Même si le régime algérien, à la faveur du redressement des cours des hydrocarbures commence à fanfaronner, avançant que le pays est arrivé à sortir de la crise, il n’en demeure pas moins vrai que le pays n’est pas au bout du tunnel et que les fragilités dont souffre l’économie, structurelles et profondes, ne peuvent être colmatées par de simples expédients ou de simples mesurettes dictées par un souci de faire taire la contestation et la colère populaires.

Le signe évident de l’improvisation du pouvoir algérien dans la gestion cacophonique des affaires économiques du pays est sa décision populiste du 13 février 2022 de tourner la page aux réformes imposées par le Fonds Monétaire International et contenues dans la loi de finances, pourtant adoptée le 25 novembre 2021 et signé par le président de la république lui-même le 30 décembre de la même année.

Craignant une explosion sociale, il a fait volte face abandonnant toutes les mesures fiscales mises en œuvre et marquant le retour à un système de subventions des produits alimentaires de base.

Pour acheter la paix sociale, le pouvoir algérien a actionné de nouvelles mesures pour mettre un terme à la colère qui ne cesse de gronder en recourant aux revenus des hydrocarbures qui se sont envolés, pour faire taire la contestation et contenir le malaise social.

Une mesure décidée à quelques jours seulement du 3ème anniversaire du Hirak et à un moment où l’inflation est devenue galopante, le pouvoir d’achat des Algériens s’est sérieusement érodé, les prix des produits alimentaires de base se sont envolés et les pénuries ont resurgi de manière brutale.

D’après les observateurs, les décisions annoncées sont des mesures en trompe-l’œil, qui consacrent, on n’en plus douter, le fiasco de la politique économique de l’Algérie et d’une équipe gouvernementale dépassée par les événements.

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L’annulation de nouvelles taxes touchant notamment les produits alimentaires et les équipements des nouvelles technologies de la communication et la prise en charge par l’Etat du différentiel des prix des céréales qui connaissent une flambée sur les marchés mondiaux remettent en cause le « système des subventions (Le coût des transferts sociaux est d’environ 17 milliards de dollars par an) qui semble abandonné, du moins remise à plus tard.

Au-delà des considérations politiciennes qui ont motivé ces mesures, de la conjoncture sociale difficile avec un pouvoir d’achat sévèrement mis à mal et des salaires qui stagnent, c’est le pouvoir en place qui est en train de payer ses propres contradictions.

En témoigne le désaveu subi par le gouvernement et le parlement qui ont dans un premier temps proposé des réformes et qui ont été amenés quelques semaines plus tard à les geler ou annuler.

La décision, qui cache mal un souci d’acheter la paix sociale, a été rendue possible par un prix du baril proche de 100 dollars, un seuil qui permet momentanément la poursuite de la politique des subventions et de tourner le dos aux réformes structurelles qu’imposent la diversification de l’économie et la résorption des déficits budgétaires devenus ces derniers temps difficilement gérables. Au même moment, l’inflation continue de malmener la bourse des ménages.

La hausse des prix généralisée a un impact négatif sur le pouvoir d’achat des Algériens qui a été doublé par la baisse de la valeur du dinar. La planche à billets a été utilisée à fond pour financer la dette de certaines entreprises publiques comme « Sonelgaz » et les retraites.

Depuis 2018, la moitié des retraites sont financées par la création monétaire. Toutes ces difficultés structurelles connues par tous ont pour origine la structure de l’économie algérienne. Cette dernière qui avait fondé sa croissance sur la rente pétrolière, connaît une grave crise de son modèle.

Sa fragilité tient à sa forte dépendance aux hydrocarbures qui assurent 60% des recettes budgétaires et 95% des rentrées de devises et près de la moitié de son PIB.

Cette rente instaure un système malsain de distribution de revenus qui décourage travail et prise de risque et empêche la diversification économique.

Pour maintenir le statu quo et pouvoir acheter la paix sociale dans le pays, le régime militaro-politique algérien doit toujours compter sur un prix plus élevé du baril de pétrole pour s’en sortir au niveau budgétaire.

Or, l’on se demande si l’embellie actuelle sur les prix du pétrole et du gaz pourrait être durable et à contrario que fera le pouvoir algérien en cas de baisse brutale des cours des hydrocarbures pour honorer ses engagements vis-à-vis de sa population ?

Tout le monde sait que pour échapper aux fluctuations des prix du baril et au dilemme qu’elles posent, il n’existe qu’un seul moyen : la diversification de l’économie pour sortir de la logique de la rente pétrolière. Mais qui s’en soucie de ces questions stratégiques quand on se rend compte que le pouvoir en place gère au plus pressé et choisit souvent les voies de la facilité pour se maintenir ?

Tout le monde en convient que la situation économique en Algérie est d’autant plus difficile qu’aucun autre secteur économique n’est capable pour l’instant de prendre le relais de la rente pétrolière.

Pire, la production industrielle du pays a été divisée par deux depuis 1989 et la production agricole ne permet pas l’autosuffisance alimentaire pour l’instant.

Les chiffres du commerce extérieur révèlent mieux que tout autre indicateur l’absence d’une industrie et d’une agriculture suffisamment développées pour fournir des emplois à la population et assurer ses besoins.

Ainsi, malgré une réduction des importations, le taux de dépendance du marché intérieur atteint encore, en valeur, plus de 90% pour les produits d’alimentation et les biens de consommation. Mais il reste extrêmement dépendant pour des produits de base comme le blé, l’huile végétale, le lait et même le sucre.

Même si actuellement l’Algérie fait état d’un excédent de 2,3 milliards de dollars à fin 2021, les experts considèrent cet excèdent en trompe-l’œil. Dans le cas de l’Algérie, cet excédent a été obtenu après avoir privé les citoyens de biens essentiels, entraînant une forte inflation et des pénuries.

L’excédent est plutôt le résultat de la privation du marché intérieur algérien de biens vitaux tels que les voitures neuves, les composants automobiles, les médicaments et les denrées alimentaires.

Il s’explique, en outre, par la politique de réduction drastique des importations, provoquant de graves pénuries de médicaments nécessaires au traitement de maladies dangereuses.

Les images de files d’attente pour des produits importés comme le lait abondent sur les réseaux sociaux algériens, ajoutant aux longues files d’attente pour les liquidités bancaires, l’huile de cuisson et d’autres produits alimentaires. Même les produits, dont l’Algérie prétend être autosuffisante font défaut sur le marché intérieur comme la pomme de terre dont les prix ont plus que doublé au cours des derniers mois.

Jusqu’à quand le régime algérien pourrait utiliser cette manne pétrolière pour acheter une forme de paix sociale et maintenir une politique plus généreuse et relancer les salaires ?

Nul ne pourrait spéculer sur cette équation à plusieurs inconnus et surtout sur des dirigeants qui s’agrippent au pouvoir et tournent le dos à toute action réformatrice salvatrice.

(Avec MAP)

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