Allons-nous vers une fracture entre le public et le privé ?

Par Souad Mekkaoui

 Depuis un peu plus de trois mois, le tac au tacle entre les étudiants en médecine des deux secteurs public et pri­vé et le gouvernement dure et perdure. Au moment où les pre­miers manifestent et s’opposent, entre autres, à l’accès des étudiants du privé au concours d’internat et de résidanat au sein des CHU du Royaume, ceux-ci montent au créneau et dénoncent une discrimina­tion à leur égard. La tension va crescendo et le bras de fer se serre entre les grévistes qui refusent de lâcher prise allant jusqu’à boycotter les examens et le gouvernement qui dit avoir tout de même satisfait la qua­si-totalité des revendications.

Quand les grèves font boule de neige et que le gouvernement campe sur ses po­sitions en brandissant des menaces c’est qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Quand l’égo dit son mot

Refuser l’accès à des concours d’in­ternat ou de résidanat, à des étudiants en médecine, issus du secteur privé, croyant que ceux-ci privilégient d’un système de notation qui les favorise, constitue une violation manifeste d’un principe consti­tutionnel garantissant l’égalité dans l’en­seignement supérieur à tous les citoyens. Pourtant sur les étudiants des facultés de médecine publiques qui se dressent au­jourd’hui contre l’accès de leurs homo­logues aux concours publics, 65 % sont issus de lycées privés et tous ont passé un baccalauréat national. Les étudiants du privé, quant à eux, réclament leur droit de passer les concours d’Etat sur la base du mérite. L’appréhension étant les places limitées dans les cycles de perfection­nement et de spécialité, la concurrence est de mise et chacune des parties tire la couverture de son côté. A ce niveau, le conflit prend un autre visage, celui des « filles et fils à papa » face aux « fils du peuple ». En conséquence, la fracture sociale s’installe, mettant les étudiants, les uns contre les autres. Toujours est-il que -et il faut bien le souligner-, les uns comme les autres ne font que défendre leurs droits légitimes.

Si les futurs médecins du public s’op­posent à la participation de leurs homo­logues du privé aux concours dans les CHU publics, ceux de l’Université Mo­hammed VI des Sciences de la Santé ne font que valoir leurs « droits constitu­tionnels et légaux des étudiants en mé­decine des fondations d’utilité publique à but non lucratif » comme cité dans leur communiqué.

Faut-il rappeler que l’Université Mo­hammed VI des Sciences de la Santé a le statut d’une fondation à but non lucratif, et que comme toute fondation pareille, elle n’a pas le droit de dégager de béné­fices ?

Certes, la frustration est là quand le seuil, pour accéder au concours de méde­cine du public, dépasse 16 de moyenne au moment où les universités privées se limitent à un 14. Mais que dire quand, paradoxalement, accéder au même concours, à Oujda par exemple, nécessite une moyenne de 14 ?

L’aberration est donc dans le système d’évaluation et de sélection. Autre pa­radoxe, si le concours de résidanat dans les CHU publics est ouvert à tous les titulaires de doctorat en médecine, issus des facultés publiques ou étrangères, pourquoi l’interdire alors aux étudiants du privé ?

L’Etat, encore l’Etat …

L’Exécutif, autant le dire, est respon­sable de cette dualité entre le public et le privé. Et cette crise ne risque pas de s’apaiser de sitôt, surtout que le gouver­nement, qui persiste à vouloir régler avec le privé les problèmes du public, réitère par ailleurs « sa détermination à mettre en oeuvre les dispositions juridiques et procédurales en vigueur dans de telles situations, y compris le redoublement de l’année universitaire ou la révocation pour les étudiants ayant déjà consommé les années de redoublement autorisées ».

Il est clair que les étudiants du privé sont tout aussi victimes que ceux du pu­blic. Et ce n’est pas cinq ans après qu’on viendra leur dire que leur formation « ne vaut pas son nom » et qu’ils n’ont droit ni aux stages ni aux concours, au sein des universités publiques. Si le pays, au bout de plus de cinquante ans, n’a pu construire que cinq universités de méde­cine publiques, mais autant dans le privé en seulement cinq ans, alors pourquoi ne pas prévoir justement un CHU privé dépendant de la fondation du moment que les étudiants paient chèrement leur formation ?

S’il y a donc un coupable dans l’af­faire c’est, bien entendu, l’Etat qui devait trancher dès le premier jour et éclairer l’opinion publique sur le statut de l’Uni­versité Mohammed VI dite privée. En effet, L’UM6SS est une initiative de la Fondation Cheikh Khalifa Ibn Zaid créée par Dahir n°1-07-103 du 24 juillet 2007 portant promulgation de la loi n°12-07 et publié au BO n°5548 du 2 août 2007. Elle jouit du statut d’université partenaire de l’Etat, délivre des diplômes nationaux reconnus par l’Etat et bénéficie notam­ment du système d’encadrement et de formation de l’écosystème hospitalier national. Son président est nommé par Dahir. Excepté sa gestion autonome, le reste appartient à l’Etat.

Aussi doit-on dire que les étudiants, chaque clan de son côté, défend une cause juste, en ce qui le concerne. Mais c’est à l’Etat de trouver une issue à cette impasse, dans la loi et la raison et non dans le chantage et la menace. Il doit assumer ses responsabilités par l’élargis­sement des places d’accès à la spécialité, par l’ouverture de nouveaux postes bud­gétaires, par l’amélioration des condi­tions de travail des médecins internes au niveau des CHU…

Public/Privé : éternels frères ennemis

Si le gouvernement peine à rai­sonner les futurs médecins, un nou­veau bras de fer risque d’opposer le ministère de l’éducation nationale, cette fois-ci, aux ingénieurs. Ceux-ci s’opposent à la reconnaissance des écoles privées par l’Etat ce qui représente selon l’Union nationale des ingénieurs marocains une tenta­tive de privatisation de l’enseigne­ment de l’ingénierie. Pour rappel, en 2016, le ministère de l’enseignement supérieur a ouvert la voie aux écoles privées pour décrocher la reconnaissance de l’Etat. Aussi les lauréats auront-ils ac­cès aux concours de la fonction publique et pourront poursuivre leurs études su­périeures dans les universités publiques ou encore accéder à des métiers régle­mentés. C’est pourquoi l’UNIM n’a pas tardé à rejeter ce projet qui « menace l’avenir de l’enseignement d’ingénie­rie » dans une conjoncture nationale et internationale assez difficile.

Or force est de constater que le Royaume accuse un manque terrible en médecins et en ingénieurs. En plus, de bons profils préfèrent aller briller sous d’autres cieux. De facto, vu les contraintes budgétaires de l’Etat, une participation du secteur privé à l’effort de formation ne serait que bénéfique à condition que les exigences en matière de qualité soient respectées.

Une chose est à retenir. Le privé, qui n’est que le prolongement du public, est là pour souligner la grande défaillance d’un secteur qui a montré ses limites. Il faut revoir le système d’évaluation pour les deux secteurs et instaurer un examen national pour tous. Et que la méritocratie l’emporte.

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