
La scène est internationale, le décor new-yorkais, mais le scénario, lui, sent le renfermé. C’est dans la salle du Comité de décolonisation des Nations Unies que l’ambassadeur Amar Bendjama, représentant permanent de l’Algérie, est monté sur les planches… ou plutôt, sur ses grands chevaux. C’est donc depuis la tribune du Comité de décolonisation (C-24) qu’il nous a gratifiés d’un one-man-show aux accents tragico-comiques, recyclant les vieux couplets poussiéreux d’un disque rayé.
Et comme à son habitude, il a livré non pas une analyse, ni un plaidoyer, mais une prestation : une pièce en un acte, écrite à Alger, répétée dans les couloirs poussiéreux du ministère algérien des Affaires étrangères, et jouée sans public, ni crédibilité. Le théâtre de l’ONU avait bien besoin d’un numéro burlesque, et Monsieur Bendjama n’a pas déçu. Le titre ? Toujours le même : « La Question du Sahara occidental demeure une question de décolonisation ». Une formule éculée, récitées mille fois, sans nuance, sans souffle, anachronique. Une formule toute faite, vidée de son sens, qu’il agite tel un talisman devant une communauté internationale de moins en moins dupe. Un refrain figé que Bendjama ressasse avec la conviction d’un acteur prisonnier de son rôle, même après que les lumières se sont éteintes.
Depuis 1975, répète-t-il, le Maroc « occuperait » un territoire. Depuis 1963, l’ONU serait supposée régler ça, d’après ses notes jaunies. Rien que ça. Et pendant ce temps, le monde avance, les peuples se décident, les cartes se redessinent… sauf dans les archives du régime algérien où l’on préfère relire les mêmes rapports jaunis comme on relit une tragédie antique, en espérant que la fin changera. Il répète, tel un automate programmé à l’ère boumediéniste, que le Maroc s’opposerait au Front Polisario, cette entité fantoche créée, financée, armée et instrumentalisée par… l’Algérie elle-même.
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Et puis, comble du cynisme, il évoque la souffrance de l’Algérie face à la colonisation ! Une Algérie qui, dit-il sans ciller, soutient « résolument les causes justes ». L’ironie est presque insoutenable. Car si Bendjama se veut le chantre des « causes justes« , il semble frappé d’une amnésie diplomatique sévère. Quelle cause peut être plus injuste que celle de l’enfermement de milliers de Sahraouis dans les camps de Tindouf, sans identité, sans droit de parole, sans droit de retour ? Aucune mention des milliers de Sahraouis séquestrés depuis des décennies dans les camps de la honte. Aucun mot sur l’enrôlement d’enfants, les violations quotidiennes, les détournements d’aide humanitaire, les voix dissidentes réduites au silence sous l’œil bienveillant des autorités algériennes. Bendjama ne dit rien sur cela. Il élude. Il nie. Il détourne.
Ainsi donc, le cœur gonflé d’émotion et la mémoire sélective bien huilée, il a oublié de mentionner les camps de Tindouf, ces zones de non-droit que son pays chérit et protège comme un patrimoine toxique. Non, lui préfère parler des droits de l’Homme… version Photoshop. À la place, il brandit quelques extraits taillés sur mesure du rapport du Secrétaire général de l’ONU, en prenant soin d’écarter sciemment tout ce qui dérange notamment les références à la coopération exemplaire et constante du Maroc avec l’ONU, son rôle essentiel dans la stabilité régionale, ses avancées démocratiques dans les provinces du Sud, et la reconnaissance croissante du Plan d’autonomie comme seule issue réaliste, sérieuse et crédible.
Mais l’apogée de cette tragi-comédie est atteinte lorsqu’il dérape, inconsciemment, ou peut-être sincèrement. « Nous encourageons le Comité des 24… », lâche-t-il. Ah, les joies de l’inconscient diplomatique… Ce « nous » est un aveu, un lapsus lourd de sens, une phrase qui vaut mille pages. Car enfin, l’Algérie ne cesse de jurer qu’elle « n’est pas concernée » par le différend sur le Sahara marocain. Et pourtant, elle s’exprime comme un acteur principal, comme l’auteur d’un scénario dont elle ne veut surtout pas perdre les droits. Ce « nous » n’est pas une erreur. C’est une confession.
Oui, le monde le sait : l’Algérie est la matrice du Polisario. Elle en est le ventre nourricier, le tuteur militaire, le mécène diplomatique et le dernier défenseur. Elle est le cœur stratégique, financier et idéologique du problème. Sans l’Algérie, le Polisario ne serait qu’une voix éteinte dans le désert or avec elle, il devient un prétexte géopolitique, un levier contre le Maroc, une obsession héritée de frustrations mal digérées. Et voilà Bendjama qui, dans un final déroutant, appelle à des « négociations directes et substantielles » entre le Maroc et le Front Polisario. Un Maroc qu’il accuse, un Polisario qu’il maquille, et une Algérie qui se cache… tout en tirant les ficelles. Lui qui prétend ne pas être partie prenante, joue pourtant les chefs d’orchestre. Kafka lui-même s’y perdrait.
Et pendant que le Maroc trace sa voie, renforce ses alliances stratégiques, tisse des ponts avec le monde, engrange des reconnaissances internationales et développe ses provinces du Sud avec audace et vision, gagne du terrain diplomatique avec plus de 85 pays ne reconnaissant plus le Polisario, et que la solution d’autonomie sous souveraineté marocaine est saluée comme “sérieuse, crédible et réaliste” par les grandes puissances, l’Algérie, elle, tourne en rond. Prisonnière de son propre mirage, elle s’enlise dans un récit d’un autre temps, répétant les mêmes incantations dans un théâtre de plus en plus vide. Et alors que Bendjama déclame et gesticule à l’ONU, son pays héberge un mouvement sécessionniste armé, dont les pratiques se rapprochent dangereusement de celles des groupes terroristes. Un mouvement que de plus en plus de voix, aux quatre coins du globe, appellent à inscrire sur la liste noire du terrorisme international.
Mais l’Algérie, telle une actrice vieillissante refusant de quitter la scène, continue à protéger, à financer, à promouvoir son illusion diplomatique, à rejouer la même pièce sur une scène vide. Même au prix de son isolement, même au détriment de sa crédibilité. Au fond, ce qu’a fait Bendjama à New York, ce n’est pas de la diplomatie, c’est du théâtre, un monologue pathétique dans une salle qui ne l’écoute plus. Un discours de vent qui tente de couvrir le silence d’un isolement grandissant.
Mais le rideau est déjà tombé. Et le monde, lui, est passé à autre chose.