AMLO, Président atypique et antisystème du Mexique

Par Hervé B. Pons

L’attention sur l’Amérique Latine a été focalisée ces derniers temps sur l’irruption au pouvoir de Jair Bolsonaro, un homme d’extrême droite (voir notre article « Le Trump américain »), et par la réélection de Nicolas Maduro, le fantasque émule de Chavez et de Castro, au Venezuela. Au point qu’on en oublierait presque l’investiture au Mexique, en décembre dernier, du premier président de « gauche » de ce pays : Andres Manuel Lopez Obrador, surnommé AMLO pour ses initiales.

Il s’agit pour cet écrivain de métier, devenu politicien par conviction et ténacité, de diriger la deuxième puissance latino-américaine et le pays  qui possède deux frontières explosives. Au nord, 3000 km avec les Etats Unis d’Amérique. Et au sud, une frêle ligne de démarcation par où s’engouffre les émigrants des petits pays d’Amérique Centrale, désespérés par la misère et la violence, ainsi que les narcotrafiquants venus de Colombie, du Pérou et de tous les  producteurs de cocaïne et autres stupéfiants.

Le Mexique est en quelque sorte un couloir (tout en longueur d’ailleurs) par où s’infiltrent et passent tous les problèmes de la région. Un peu comme le Maroc avec son rôle géographique et stratégique entre l’Afrique et l’Europe. La différence, c’est que le Mexique est une contrée extrêmement violente, où chacun, ou presque, par tradition, possède une arme à feu. Et que le pays sort de très longues décennies où un seul parti politique détenait les rênes du pouvoir : le PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel).

En fait, après la révolution mexicaine, au début du siècle dernier, et ses héros, Pancho Villa et Emiliano Zapata, qui ne restèrent pas longtemps à la tête du pays, un parti les évinça et s’attribua le droit de diriger le pays à vie : le PRI, justement. Et il resta plus de 70 ans en place, indéboulonnable, les présidents se succédant « al dedazo » comme on disait là-bas, c’est-à-dire que chaque sextennat, le président sortant (au mandat non renouvelé) désignait lui-même (du doigt, « dedazo ») son successeur.

Cette pratique qui enrichit ainsi plusieurs générations de politiciens et leurs comparses, s’acheva en 2000 face aux risques de soulèvement du peuple épuisé d’être dupe. Le multipartisme fut instauré et il eut enfin du changement. Un parti de droite fut élu pour diriger la nation, durant douze ans et deux présidents, mais ce fut un échec et le PRI revint s’installer aux commandes avec Enrique Peina, le président sortant, finalement fortement critiqué et mêlé à plusieurs scandales. C’est là qu’Andres Manuel Lopez Obrador vit que son heure était venue.

Il en était à sa troisième tentative comme candidat à la présidence. Tout autre que lui aurait abandonné, pas lui, et cette fois il fut élu avec une forte majorité le 1er juillet 2018. Politicien populiste, AMLO est un homme du petit peuple, dont il se sent proche, et notamment des populations indigènes (d’origine aztèque et maya) qui ont toujours été discriminés. Il en fut longtemps le représentant dans sa province natale du Tabasco, à l’est du pays.

ZORRO EST ARRIVE ?

Le nouveau président ne porte jamais de costumes-cravate et aime à se montrer en tenue traditionnelle. Grand « sombrero » s’il le faut ou « poncho » du paysan mexicain.

D’entrée, il a refusé de s’installer dans la résidence présidentielle, qu’il considère hantée par les vieux démons de ses prédécesseurs. Il continue donc de vivre dans son appartement personnel. Il a renoncé aussi à l’avion présidentiel et à une garde rapprochée. Il a réduit également son salaire et celui de ses ministres de plus de la moitié. Et il a créé un service téléphonique gratuit où les citoyens peuvent l’appeler et s’entretenir directement  avec lui de leurs problèmes…

→ Lire aussi : Venezuela: un Nicolás Maduro très isolé malgré son investiture

Mais son principal objectif,  qu’il n’a cessé de répéter durant sa campagne, c’est de s’attaquer de toute sa détermination aux trois cancers qui rongent le Mexique : la corruption, la pauvreté et le trafic de drogues. Le reste de son programme reste flou et les milieux d’affaires sont préoccupés.

On se demande si cet homme de 65 ans, à la personnalité volontaire, ne va pas être un autre  Castro, Chavez ou Maduro, ces révolutionnaires latinos qui menèrent leurs pays à la banqueroute. Pour l’instant du moins, Lopez Obrador ne s’en est pas pris aux Etats Unis comme bouc émissaire des difficultés de son pays. Il a même l’air d’entretenir de bonnes relations avec Donald Trump puisque le traité d’accords commerciaux entre les trois partenaires d’Amérique du Nord (Mexique, Etats Unis, Canada) a été réaffirmé et consolidé.

Par ailleurs, le président américain met la pression pour un accord afin que 6000 migrants qui attendent à la frontière, puissent rester au Mexique et éventuellement y demeurer, en attendant qu’on trouve une solution. AMLO, lui, semble se désintéresser de politique internationale. Seul l’obsède la « transformation historique » du Mexique. Son modèle ? Benito Juarez, le premier président mexicain d’origine indigène qui libéra son pays du joug étranger (espagnols, français et américains) et lui donna son indépendance et sa dignité.

AMLO sera-t-il à la hauteur de la tâche qu’il s’est proposée ? La barre est haute et le temps dira si cet ancien maire de la capitale mexicaine, Mexico DF, une mégalopolis monstrueuse de près de 25 millions d’habitants à plus de trois mille d’altitude dans une vallée entre deux volcans impressionnants, y parviendra ?

Ses priorités ? Rehausser le salaire minimum, offrir des bourses aux étudiants démunis, donner l’accès à internet à tous, accroître l’autosuffisance alimentaire et autres avantages sociaux du même genre. Pour remplir les caisses de l’Etat, il n’a pas hésité à annuler quelques grands projets qu’il juge inutiles et superflus, comme par exemple l’ampliation de l’aéroport de Mexico dont les travaux avaient déjà commencés.

Cette décision a provoqué la colère de quelques grands entrepreneurs mexicains dont Carlos Slim, le milliardaire d’origine libanaise considéré comme un des cinq hommes les plus riches de la planète. Et auquel le nouveau président a répondu : « Si vous y tenez tant à cet aéroport, construisez-le avec votre argent ! ».

AMLO va avoir fort à faire avec les clans qui se retrouvent frustrés du pouvoir mais auxquels ils restent des fortunes colossales et des appuis. Ils le traitent déjà de « Messie Tropical » et vont tout mettre en œuvre pour précipiter sa chute. Cependant, la vertu première du nouveau président, c’est la ténacité. Il n’a jamais cessé de croire en son rêve et s’est toujours relevé quand il était battu.

Son parti, MORENA (Mouvement de Régénération Nationale), est bien décidé à convaincre le peuple (plus de cent millions de citoyens) d’un changement de système politique et que, cette fois, ce ne sont pas les étrangers qu’il faut éradiquer du pays, mais les mexicains trafiquants de drogue qui corrompent jusqu’aux membres du gouvernement, de la police, de l’armée même, et qui font régner la terreur.

Ah ce Mexique pourtant si chaleureux, si beau (ces côtes des Caraïbes, du Pacifique !…), si grand (cinq fois le Maroc), mais maudit autant par les séismes, les catastrophes naturelles, que par ses « pistoleros » pour qui « la vida no vale nada » (la vie ne vaut rien)…

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