Anthony Blinken ou pourquoi reconstruire un nouveau partenariat maroco-américain

Hassan Alaoui

Celui qui dirigera la politique étrangère des Etats-Unis, autrement dit qui sera le secrétaire d’Etat de Joe Biden, n’est pas étranger au Maroc. Il est plus proche que l’on n’imagine. Anthony Blinken, puisque c’est de lui qu’il s’git , 62 ans, cultive des attaches indirectes mais prouvées avec le Maroc.

Au brillant et riche parcours professionnel , il faut ajouter les composantes d’une enfance et d’une jeunesse marquées au sceau de la diversité et du cosmopolitisme. Il convient de souligner que notre pays pourrait se réjouir de cette nomination,  parce qu’elle reflète un changement profond de la politique des Etats-Unis et le retour au réalisme.

Anthony Blinken est le fils adoptif de Samuel Pisar, le grand avocat de réputation internationale et conseiller de John Kennedy , il a défendu de grandes personnalités américaines comme Marlon Brando , il est surtout l’un des plus jeunes rescapés de la Shoah, impénitent défenseur des droits de l’Homme. Anthony Blinken a grandi dans l’ambiance des grandes causes, baigné dans les combats que sa maman , grande artiste chorégraphe engagée à New York, a menés.

Elle a quitté son mari, un grand financier pour se remarier avec Samuel Pisar et s’installer à Paris avec lui et son fils Anthony Blinken. Celui-ci aime à raconter son amour pour sa « deuxième » patrie , la France, son enfance entre 9 et 18 ans passée sous les combles de la ville des Lumières, son attachement à la langue française qu’il maîtrise parfaitement. Le nouveau secrétaire d’Etat américain, au profil d’un Kennedy jeune, a aussi une sœur au profil emblématique, Leah Pisar, qui a grandi avec lui sous la protection du père Samuel Pisar , homme exceptionnel nourri des valeurs de l’humanisme et de la tolérance absolue.

Leah, dont la maman Judith Pisar est Ambassadrice extraordinaire de l’UNESCO,  connaîtra également un destin singulier, des plus exaltants : après les études brillantes à la Faculté de droit d’Assas à Paris, elle rejoint l’Université de Harvard et Sciences Po, rue Saint Guillaume. Bardée de diplômes, elle intègre le cabinet du président Bill Clinton, et s’imprègne aussitôt de l’ambiance effervescente que lui offre la politique menée par le président démocrate, féru de multilatéralisme. Elle devient Directrice de la Communication au Conseil de Sécurité Nationale des Etats-Unis : elle occupe une place dans « une petite équipe au centre de l’action », dira-t-elle non sans fierté, mais surtout modeste.

Dès 2009, elle est portée sur le projet Aladin , dont André Azoulay, Conseiller de Sa Majesté le Roi est membre fondateur et Président du Comité de Conscience . Ce projet est d’une portée universelle . Son  objectif est d’éveiller les consciences face à la montée des extrémismes religieux, de l’antisémitisme, du racisme et autres fléaux d’exclusion. ‘une « L’Appel à la conscience » est la déclaration de principe du Projet Aladin. Il a été signé par le président Abdoulaye Wade, Jacques Chirac et Simone Veil lors de la conférence de lancement du Projet Aladin, à la Maison de l’UNESCO. Politiques, intellectuels, parlementaires, historiens, personnalités religieuses, universitaires, auteurs, artistes et acteurs de la société civile de différentes confessions et cultures venant d’une trentaine de pays ». disait le document qui lançait l’initiative. » Elle en deviendra la présidente.

Il faut rappeler la force et la dimension du projet Aladin , la symbolique qu’il a prise lorsque des Assises importantes ont été organisées en mars 2009 à Marrakech, réunissant les représentants des trois communautés religieuses, si imbriquées et unies. Sa Majesté le Roi Mohammed VI avait alors adressé un message aux participants dont voici des extraits :

 « Quel choix et quelle responsabilité d’avoir fait appel au mythe d’Aladin pour nous inviter collectivement à réfléchir autrement à l’un des stigmates les plus tragiques et les plus indicibles de l’histoire contemporaine. Responsabilité en effet et choix singulier s’il en est, car aucun d’entre nous, Mesdames et Messieurs, ne peut prétendre à une lecture de l’holocauste qui ne soit pas totale, irréfragable et sans concession ou compromission.

(…) Si J’en esquisse aujourd’hui le rappel, c’est justement pour qu’Aladin, votre groupe de Réflexion se fixe l’objectif prioritaire de dire enfin au reste du Monde, ce qu’a été la résistance au nazisme des Pays qui, comme le Mien, à partir de l’espace arabo-musulman, ont su dire non à la barbarie nazie et aux lois scélérates du gouvernement de Vichy.

 Le Roi Mohammed VI n’en démord pas dans sa démonstration : « Dans quels instituts ou carrefours intellectuels en Europe ou aux Etats-Unis discute-t-on de l’attitude exemplaire et historique de Feu Mon Grand-Père, Sa Majesté le Roi Mohammed V que Dieu le garde en Sa Sainte Miséricorde. Lui qui malgré un pouvoir bridé par les réalités implacables du protectorat français, avait su s’opposer à l’application des lois racistes de Vichy aux citoyens Marocains de confession juive. (…) C’est notre lecture au Maroc du devoir de mémoire que nous dicte la Shoah

A la Conférence de la COP22 organisée en 2016 à Marrakech, Anthony Blinken, alors secrétaire d’Etat adjoint auprès de Barack Obama , il a fait le voyage dans la ville ocre, avec Joe Biden. Non qu’il s’agisse du voyage déterminant dans sa relation avec le Maroc, mais sa présence lors de cet événement historique organisé à Marrakech témoignait de l’importance que les Etats-Unis, et notamment l’administration démocrate accordent aux questions du climat.

De telles accointances sembleraient a priori bien évidemment fortuites. Mais elles forment un bienheureux puzzle qui, conjuguées, confèrent au hasard une dimension surprenante. L’arrivée des démocrates au pouvoir aux Etats-Unis ne contrarierait pas forcément notre destin. Le Maroc demeurera constamment le pays de cohabitation religieuse et culturelle, les mosquées côtoient les synagogues et les églises, les populations fidèles aux trois confessions vivent ensemble, perpétuant un héritage qui transcende les siècles et les différences.

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