Au-delà du PJD, les devoirs de Benkirane

 

C’est mardi 2 février que la Chambre des représentants tiendra sa séance plénière consacrée aux questions orales portant sur la politique générale du gouvernement. Abdelilah Benkirane répondra donc aux questions des députés et leur apportera ainsi les éclaircissements nécessaires sur un certain nombre de questions qui font l’actualité. Si l’exercice est inscrit dans une tradition constitutionnelle, s’il impose au chef du gouvernement une certaine tenue, de la franchise et notamment des réponses convaincantes, on est en droit d’attendre aujourd’hui de lui un peu plus que la rhétorique habituelle. On souhaiterait qu’il se débarrasse du style de moquerie et de goguenardise auquel il nous a habitués depuis maintenant presque cinq ans d’exercice du pouvoir.

L’époque n’autorise plus la dérision, ni la légèreté du propos, et la situation du Maroc, confronté aux difficultés en tous genres, nous interpelle gravement pour ne pas nous inciter à exiger une clarification. Pour ne parler que de la sécheresse, elle survient à un moment où des interrogations se suivent sur nos capacités à relever des défis majeurs qui se profilent en cette année 2016, annoncée comme étant charnière et extrêmement difficile. Tout le contraire de l’année 2015 qui a constitué pour le PJD au pouvoir – et de la majorité qui l’accompagne – un ou des motifs de satisfaction : une pluviométrie exceptionnelle, un prix très bas du baril de pétrole, situé à 30 dollars, une consommation exponentielle des ménages, une certaine sérénité sociale, des recettes au titre de la fiscalité, etc…

Et puis, ces séquences virant au cocasse ayant mis aux prises le chef du gouvernement avec trois de ses ministres, et non des moindres : Aziz Akhannouch, ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime à propos de la gestion du Fonds consacré au monde rural, au montant de 55 milliards de dirhams qui a défrayé la chronique en octobre dernier ; ensuite le vif échange public avec Rachid Belmokhtar, ministre de l’Education nationale au sujet de la langue française, ensuite ce cafouillage désastreux avec le ministre de la Santé, Houcine El Ouardi au sujet du service civil des étudiants en médecine ; enfin et ce n’est pas le moindre couac qui n’en finit pas de faire couler de l’encre, la confrontation avec les professeurs stagiaires qui ont combattu deux décrets jugés injustes et qui ont été, en revanche,  violemment battus par la police à Inezgane et dans d’autres villes du Royaume…C’est peu dire que ces événements ont entaché la gestion d’un gouvernement qui, d’une violence à l’autre, semble préférer l’épreuve de force au dialogue et à la concertation. L’incohérence est devenue sa marque de fabrique, à telle enseigne que, vrai ou faux, le chef du gouvernement censé imprimer la coordination n’a de cesse d’affirmer qu’il ignore parfois ce qui se passe au sein de son équipe. Il feint d’apprendre les choses après coup, s’efforce – plutôt difficilement – de se justifier devant l’opinion publique, et verse dans le dérisoire. Comme si ses ministres prenaient de leur propre chef des initiatives à contre courant de la discipline et du principe de solidarité intergouvernementale…

Chef du gouvernement nommé en novembre 2011 par le Roi, Abdelilah Benkirane ne s’est jamais départi à vrai dire de son obsessionnelle propension à être aussi et surtout le « chef du PJD ». Il n’est pas difficile de relever que parfois – et certains le rappellent  fréquemment – cette « casquette-là » prend  souvent le dessus et fait de lui un partisan invétéré, plus qu’un responsable du gouvernement. L’année 2016 sera marquée, dominée même par la perspective du scrutin législatif annoncé pour octobre prochain. La campagne électorale a d’ores et déjà commencé, ne serait-ce qu’au niveau des états-majors des partis en lice, aussi bien dans l’opposition qu’au sein de la majorité. Ils sont mobilisés et déjà la petite guerre de la date du scrutin, contestée par l’opposition, nous donne l’avant-goût de ce que sera la grande bataille des mois à venir. L’opposition rejette la date du 7 octobre, fixée unilatéralement par le chef du gouvernement et entérinée en Conseil de gouvernement par sa majorité, au motif que les «concertations préalables nécessaires avec toutes les composantes politiques » n’ont pas été engagées, ni respectées. L’opposition, USFP, le PAM notamment y voient comme un « coup fourré » et dénoncent « l’opportunisme et le favoritisme » du PJD. La date du 7 octobre pourrait-elle être retenue si les partis politiques de l’opposition la contestaient ? Si, comme leurs leaders l’affirment, elle donne au PJD une longueur d’avance en termes de préparatifs et d’organisation ?

Abdelilah Benkirane devra composer en somme. Le chef du gouvernement qui a voulu offrir un modèle conciliant islamisme et politique, inspiré du régime d’un Erdogan en Turquie, ne se doute pas que la contestation politique et sociale, amplifiée par des mouvements comme ceux des professeurs stagiaires, les étudiants en médecine, les jeunes en chômage, risque de prendre une tournure inédite ? En définitive, que devrait-on retenir de sa gouvernance, hormis ce que beaucoup qualifient de réformettes ? La réforme des retraites piétine, les promesses de lutte effective contre la corruption se sont évaporées, l’instauration d’un rapport de confiance entre l’Etat et le peuple peine à son tour…

Le Maroc s’apprête, officiellement, à être confronté à l’une des pires sécheresses de son histoire, menaçant d’un coup, campagne céréalière, agriculture en général et surtout les paysans et le cheptel. Sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, un budget exceptionnel de 4,5 milliards de dirhams vient d’être débloqué, articulé sur un train de mesures non moins exceptionnelles pour parer au plus pressé. Cette fois, chef de gouvernement et ministre de l’Agriculture et de la pêche maritime sont conviés à travailler la main dans la main, à enterrer la hache de guerre au nom de la solidarité et de l’intérêt national.

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